Sylvie Durastanti a été la compagne du cinéaste Jean Eustache, pendant les dernières années de sa vie.
Pour le réalisateur de La Maman et la Putain, elle a écrit trois scénarios : Offre d'emploi, Un moment d'absence et Nous Deux roman-photo. Jean Eustache a réalisé le premier. Il préparait le tournage des deux autres, avant sa mort en 1981.
Durant quatre décennies, Sylvie Durastanti a gardé ces deux derniers textes par-devers elle. Plus que des scénarios, Un moment d'absence et Nous Deux roman-photo nous apparaissent aujourd'hui avec la force d'oeuvres littéraires à part entière, impressionnantes de dépouillement et de crudité.
Une troisième partie complète cet ensemble : Pourquoi j'ai écrit certains de mes textes, qui expose, sans pudeur inutile, les circonstances particulières du travail de Sylvie Durastanti pour Jean Eustache.
Une femme attend, depuis vingt ans, le retour de son mari parti à la guerre. Leur fils a grandi sans connaître son père. Les intrus, qui ont envahi la demeure et convoitent cette épouse esseulée, se montrent de plus en plus agressifs et pressants. Pour continuer à attendre, elle doit encore gagner du temps, envers et contre tout.
Même s'ils ne sont nommés qu'à la fin du roman, le lecteur comprend vite qu'il s'agit des personnages de L'Odyssée.
En adoptant le point de vue de celle qui attend, c'est une nouvelle histoire qui est racontée. Sur cette île grecque, dans ce monde pourtant ancien, tout semble familier et étrangement actuel. Nous ne sommes plus témoins du courage et de la ruse d'Ulysse dans son périlleux voyage, mais de la patience et de l'intelligence de Pénélope, face à une barbarie ordinaire.
Par la profondeur des sentiments, la beauté des descriptions, l'écriture simple et intense, la lenteur du rythme mais aussi la multiplicité des scènes saisissantes et l'incroyable crescendo final, Sans plus attendre est un livre qui frappe durablement l'imagination du lecteur.
La traduction littéraire est certainement un travail de chartreux, contraignant parfois à une existence de carmélite.
Mais il faut bien avouer que le métier de traducteur a quelque chose d'interlope. Un faux air déplaisant : apache de l'édition, voyou de la littérature... Pour s'y lancer, s'y attacher, et s'y tenir, pour l'exercer en somme, il faut donc avoir chevillé au corps le goût de traduire. Traduire, c'est partir à l'aventure. La traduction ouvre à la découverte d'un paysage mental particulièrement parlant aux uns, mais risquant d'en laisser d'autres désorientés.
Désorientés devant de nouvelles voies ouvertes inopinément à la réflexion - traverses, raccourcis, clairières lumineuses, pistes complexes aux discrètes balises, fragiles passerelles oscillant au-dessus d'on ne sait quel vide. Si n'importe quel texte devient Pierre de Rosette, c'est celle d'une langue inexistante. Son décryptage ne livre pas de secret définitif - pas d'autre secret que celui du plaisir.