Né Anatole de Bisk à Odessa (URSS) le 28 mars 1919, Alain Bosquet fait ses études à l'Université de Bruxelles et, après la guerre, à la Sorbonne. Secrétaire de rédaction du journal La Voix de France à New York (1942-1943). Chargé de mission au Conseil de contrôle quadripartite à Berlin (1945-1951), professeur de littérature française à l'université Brandeis aux Etats-Unis (1958-1959) professeur de littérature américaine à la faculté de lettres de Lyon (1959-1960), directeur littéraire des éditions Calmann-Lévy (1961-1971), critique littéraire à Combat et au Monde. Membre du Jury du Prix Max Jacob et du Jury du Prix Théophraste-Renaudot, vice-Président de l'Académie Mallarmé, romancier, poète.
Alain Bosquet est décédé à Paris le 17 mars 1998.
Le Livre:
Berthe Turiansky est née à Odessa en 1889, d'un père juif, négociant en peaux et cuirs. Elle étudie le violon avec Léopold Auer, professeur du fameux Jacha Heifetz. Après un premier mariage malheureux et bref, elle épouse, en 1918, en pleine guerre civile, alors que la cité change de mains plusieurs fois, un velléitaire riche et désinvolte, poète à ses heures, Alexandre Bisk, descendant d'une famille alsacienne et belge venue construire les chemins de fer d'Ukraine, au milieu du 19ème siècle.
Berthe Bisk réussit à sauver son mari de la Guépéou : elle quitte aussitôt la Russie, pour la Bulgarie d'abord, pour la Belgique ensuite. En 1940, elle reprend le chemin de l'exil, s'installe un moment dans le sud de la France, et gagne bientôt les Etats-Unis, où Alexandre Bisk, très détaché de son temps, se contente d'acheter et de vendre des timbres-postes rares. Elève, sur le tard, du sculpteur Alexandre Archipenko, elle n'est plus qu'une épouse dévouée et une mère qui attend l'hypothétique visite de son fils - l'auteur de ce livre. A la mort tragique de son mari, elle vient finir ses jours à Paris, où elle meurt en 1977.
Que peuvent être les relations entre une mère et un fils, pendant cinquante ans ? Pour un écrivain, une mère ne devient-elle pas fatalement un personnage de roman ? Quand ce qu'on ressent passe par les mots, tout n'est-il pas remis en cause ? L'expression de la sincérité est-elle déjà un démenti à celle-ci ? Alain Bosquet, dans son roman le plus original et le plus puissant, explore ainsi ce qu'il appelle « l'enfer de la tendresse ».
La solitude est un abîme.
Un homme, pour en émerger, trouve d'autres solitaires, auxquels il s'accroche : n'importe qui. Vivre avec eux lui paraît plus acceptable que de vivre avec soi. La solitude résulte d'un surpeuplement : il faut quitter ses proches, et se quitter. Un homme va de rupture en rupture, comme pour n'avoir ni passé ni présent. Faire le vide : quelle hygiène ! La solitude est une tyrannie de l'identité. Si elle était quelqu'un d'autre -le hasard décidera-, une femme connaîtrait un peu de paix, un peu d'équilibre.
On éprouve toujours de l'ivresse à devenir qui l'on n'est pas. A.B.
Pour sauver l'honneur de son père qui travaille avec les Allemands, Antoine Corbin doit rejoindre De Gaulle.
Oucher Topolsky, dont le fils a épousé une Aryenne, fait tout pour se faire déporter. Maria Diroz, qui se sait condamnée, s'emploie à se faire détester de son fils. Un homme qui doit en tuer un autre, sous contrat, lui propose d'intervertir leurs rôles. Tous les personnages de ces récits d'Alain Bosquet ne sont pas ce qu'ils semblent être. Campés avec un humour décapant, ils sont imprévisibles, ils se métamorphosent, surprennent, à jamais insaisissables.
La notion même d'identité peut être désormais dénoncée...
Ce récit -qui est aussi une satire et une sorte de pamphlet- commence par ces phrases: " Deux centième jour de ma captivité ! Je compte, je recompte.
Je ne peux pas me tromper. Je me trompe. Je suis normal, je suis équilibré: je me le redis. Je dois me le redire sans cesse. En six mois, j'ai vécu plusieurs vies. Je distingue entre le réel et le flou. Mon esprit est intact: non, il s'est dilaté, au point que mon crâne en éclate. " A la fin du récit on trouve ces phrases-ci: " Je ne garde aucune tendresse pour ma patrie: démocratie de la lâcheté, spectacle permanent, décadence de luxe.
Il n'est pas raisonnable de penser ainsi, mais qui oserait exiger un autre comportement de moi ? J'ai été un prisonnier convenable: pourquoi serais-je un homme libre comme les autres ? Je m'arroge le droit de remettre en cause mon être le plus profond, et en même temps, l'ensemble de mes contemporains. J'ai mal à ma planète, ce qui est trop vaste: j'ai mal avant tout à mon Europe et à ma France. " La confession de cet otage -héros lamentable d'aujourd'hui- s'achève ainsi: " Très calme, je voudrais appartenir à une autre civilisation que la mienne.
"
Alain Bosquet, disparu en 1997, a voulu que ce livre soit posthume.
A la fois journal et bilan, il y regarde la mort en face, comme peu d'hommes ont eu le courage de le faire. C'est l'effroyable portrait d'un mourant. Il dit le corps qui se défait, la douleur, la maladie, les nuits infernales, la peur. Dieu n'est qu'une médecine douce. Et d'ailleurs, le vrai créateur, c'est lui-même, le poète. Il note les souvenirs que sa mémoire retrouve en désordre. Ce peut être Utah Beach, le 9 juin 1944, ou le gracieux genou d'une joueuse de tennis, dans les années 30.
" La mémoire n'est pas sérieuse ! " Il révise sa bibliothèque et pense qu'il faut en jeter les neuf dixièmes. Et il donne les noms. De même pour les papiers, les photos, les objets. Il a beaucoup condamné, haï le monde. Maintenant, il écrit : " Je ne m'aime pas : c'est une vieille histoire. Je m'estime de moins en moins. " Un départ se termine par des remerciements sarcastiques. Superbe et ultime tirade d'un écrivain pour qui les mots et l'écriture ont été l'ultime fidélité.
Ces entretiens avec Salvador Dali ont été publiés pour la première fois il y a trente ans. Ils reproduisent une série de conversations tenues dans un même lieu : un hôtel de luxe parisien, comme il les aimait et où il jouait beaucoup plus au pitre, au matamore, au génie philosophique, qu'au peintre proprement dit. Il se plaisait alors dans une atmosphère qu'on peut qualifier d'agoraphile.Il nous a dit, vers 1975 : «Je veux qu'il y ait un faux Dali avec une vraie signature de Dali dans chaque épicerie des cinq continents, depuis Santiago du Chili jusqu'à Katmandou.» Cette flagellation ne peut rien, aujourd'hui, contre les trente ou quarante - pas plus - toiles qu'il a laissées, où l'art s'allie si bien avec le défi sans cesse renouvelé. Salvador Dali n'est-il pas une sorte de Sigmund Freud allongé sur le dos d'une girafe en feu ?A. B.