Considéré parfois comme le malin génie ou le deus absconditus de la philosophie française d'après-guerre, tant ses leçons paradoxales et provocatrices auront attiré les brillants esprits d'alors (de Lacan à Queneau, en passant par Bataille, Merleau- Ponty et Michel Leiris), le jeune Kojève (1902-1968) s'inscrit pourtant d'abord dans la philosophie russe et ses débats. Et, parmi ces derniers, il y est souvent question de bouddhisme. La Russie, en effet, s'est toujours réfléchie comme une frontière ou comme un point de passage et de mélange entre l'orient et l'occident, entre l'Europe et l'Asie.
Le noyau de cet ouvrage est formé par les notes prises de janvier 1933 à mai 1939 au cours que fit Alexandre Kojève à l'École pratique des Hautes Études, sous le titre La philosophie religieuse de Hegel, et qui était en réalité une lecture commentée de la Phénoménologie de l'Esprit. Chaque année de cours est complétée par le résumé publié dans l'Annuaire de l'École des Hautes Ètudes. De plus, les trois premières leçons de l'année 1937-1938 et toute l'année 1938-1939 sont données dans leur texte intégral. Enfin, en guise d'introduction, on trouvera la traduction commentée de la section A du chapitre IV de la Phénoménologie de l'Esprit, parue dans Mesures (14 janvier 1939).
Alexandre Kojève est connu pour être l'homme de l'Histoire et de sa fin : oe ne sait pas encore qu'il est aussi l'homme de ce qui n'est pas historique en l'homme. Or, si le Système du savoir parle de l'Histoire dont il y a discours parce qu'elle est celle de la philosophie, il parle aussi de ce qui en l'homme ne tient pas du discours. Il parle du silence de l'homme, et parle entre autres choses du théisme. Par ce dernier, dit-il, l'homme se rattache à quelque chose qui n'est pas de ce monde, qui ne tient pas du temps.
Rédigé en 1931 alors que Kojève n'a que vingt-neuf ans (deux ans avant le début de son cours sur la Phénoménologie de l'esprit), L'athéisme présente l'amorce d'une anthropologie et théiste et athée, que l'auteur reprendra plus de vingt ans plus tard.
Par cet ouvrage de jeunesse, Alexandre Kojevnikoff, avant d'être connu, annonçait la possibilité de parler, ne serait-ce que par réfraction, de ce qui en l'homme ne tient ni des temps ni de leur fin.
L'athéisme représente donc, aux côtés de l'Introduction à la lecture de Hegel, une deuxième et fondamentale Introduction anthropologique au Système du savoir.
En proposant une histoire de la philosophie pré-chrétienne, de Thalès aux Néo-platoniciens, Kojève développe en fait une réflexion sur la philosophie elle-même, et il jette les bases d'une reconstruction générale et systématique des discours philosophiques. Il affirme de manière provocatrice, d'une part que la philosophie, en tant que discours systématique, s'est achevée avec le Système du Savoir de Hegel, d'autre part qu'il est donc possible de présenter logiquement un développement cohérent (du point de vue historique également) de tous les discours philosophiques décisifs. Il faut donc d'abord les présenter en fonction de la place logique qu'ils occupent : Thalès, Parménide, Héraclite, Socrate, Platon, Aristote, les Sceptiques, les Stoïciens, Plotin et Proclus.
Kojève entend donc reconstituer un système, ce qui implique la tâche considérable d'analyser la naissance de la philosophie et ses premiers développements, tout en ne cessant d'analyser la singularité du discours philosophique. L'axe général de cette histoire systématique obéit à un moteur essentiel : la tension entre le Concept et le Temps, présente dès l'origine du discours philosophique dont le but est de «résoudre» cette tension dans un système.
Cette histoire philosophique de la philosophie est, au XXe siècle, unique en son genre.
Contrairement à ce que l'on a toujours cru, Kojève n'a pas consacré ses leçons à l'Ecole pratique des hautes études uniquement à la Phénoménologie de l'esprit de Hegel.
Il a fait un cours sur Pierre Bayle en 1936-1937 dont procède le texte inédit publié ici. Ce détour constitue un moment important dans l'élaboration de l'anthropologie athée qui occupe alors Kojève. Une lettre à Leo Strauss donne l'idée de l'enjeu qu'il attachait à cette lecture : « Ce qu'était pour Bayle l'opposition protestants-catholiques, c'est aujourd'hui l'opposition fascisme-communisme. Je crois que les mobiles et le sens de la «position intermédiaire» sont, chez Bayle, plus clairs que chez les actuels «démocrates» ».
La philosophie a commencé d'exister comme une réflexion sur les discours des rhéteurs et des sophistes : elle interroge donc les discours sur leurs conditions de possibilité et sur leurs finalités. Cette question elle-même est discutée, et elle obéit à une perspective commandée par la logique et l'exigence qui la fonde, c'est-à-dire l'exigence de vérité.Parler en philosophe c'est parler tant de l'essence des choses que du sens des discours qui s'y rapportent : mais tenir un tel discours signifie qu'on se tient sur un terrain de relative extériorité : on tient un discours qui n'est ni tout à fait essence ni tout à fait sens, mais qui apparaît comme participant des deux registres - c'est cela le point de vue du concept.Le concept comme unité de l'essence et du sens est ce qui supporte ainsi, et en tant que tel, la vérité. Or celle-ci est découverte à un moment donné de l'histoire, mais prétend aussi être nécessaire, donc, intemporelle : cette tension fait obligation de penser le temps. Ainsi les trois dimensions, discours, concept et temps, s'articulent-elles.Ce texte est la plus importante et la plus achevée des ébauches inédites du système philosophique propre de Kojève.
Dans son introduction à son Essai d'une histoire raisonnée de la philosophie païenne, Alexandre Kojève avait amplement développé sa «thèse» qu'entre Platon, Aristote et Hegel, il n'y avait eu qu'un seul grand philosophe, à savoir Kant ; mais, lorsqu'il voulut publier son manuscrit, il avait égaré cette partie qui a été retrouvée dans ses papiers après sa mort, en 1968. Il la remplaça par quelques lignes,mais elle faisait la matière d'un livre entier que nous proposons au lecteur. Ce Kant «kojévien» forme donc avec l'Essai d'une histoire raisonnée de la philosophie païenne et l'Introduction à la lecture de Hegel une histoire complète de la philosophie occidentale, telle que l'avait envisagée Alexandre Kojève.
En proposant une histoire de la philosophie pré-chrétienne, de Thalès aux Néo-platoniciens, Kojève développe en fait une réflexion sur la philosophie elle-même, et il jette les bases d'une reconstruction générale et systématique des discours philosophiques. Il affirme de manière provocatrice, d'une part que la philosophie, en tant que discours systématique, s'est achevée avec le Système du Savoir de Hegel, d'autre part qu'il est donc possible de présenter logiquement un développement cohérent (du point de vue historique également) de tous les discours philosophiques décisifs. Il faut donc d'abord les présenter en fonction de la place logique qu'ils occupent : Thalès, Parménide, Héraclite, Socrate, Platon, Aristote, les Sceptiques, les Stoïciens, Plotin et Proclus.
Kojève entend donc reconstituer un système, ce qui implique la tâche considérable d'analyser la naissance de la philosophie et ses premiers développements, tout en ne cessant d'analyser la singularité du discours philosophique. L'axe général de cette histoire systématique obéit à un moteur essentiel : la tension entre le Concept et le Temps, présente dès l'origine du discours philosophique dont le but est de «résoudre» cette tension dans un système.
Cette histoire philosophique de la philosophie est, au XXe siècle, unique en son genre.
Dans « L'origine chrétienne de la science moderne », Alexandre Kojève soutient une thèse originale : le christianisme n'a pas fait obstacle à la révolution copernicienne ; il en a au contraire créé les conditions discursives. Pour faire tourner la Terre dans le Ciel, où Copernic l'avait projetée, les fondateurs de la science moderne ont fait descendre les mathématiques du Ciel sur la Terre. Du Ciel, que les Grecs païens divinisaient. Sur la Terre, où Dieu s'était incarné selon les chrétiens. Le triomphe de l'héliocentrisme et l'avènement d'une physique nouvelle furent théologiquement conditionnés.
Ce texte bref et incisif aide à dissiper le malaise dans la civilisation qu'entretient la méconnaissance des fondements de notre modernité. Paru initialement chez Hermann en 1964 au sein d'un ouvrage collectif, il est aujourd'hui enfin publié à part, accompagné d'un commentaire de Julien Copin, « Mathématiques et Incarnation », qui éclaire l'ensemble de l'oeuvre de Kojève.