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Fatou Biramah
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" tout dire, elle ne peut pas.
elle craint toujours qu'on la lise, qu'on la viole aussi par ce bout-ci de son être. et puis qu'on s'en serve pour lui serrer la vis. ses mots, les vrais, sont une arme qu'elle se mettrait dans la bouche. alors elle se censure, se soulage à moitié. c'est terrible. ça prolonge la soumission, ça l'officialise. les dominants ont aussi la mainmise sur l'issue de secours, le journal intime. le journal n'en est pas un puisqu'il ne dit pas tout.
il existe peut-être parce qu'il est le samu, le brancard sur lequel se coucher deux minutes, l'arrêt de jeu furtif. elle v trouve un refuge provisoire, visible d'accord mais a l'abri des coups, comme une cabane en verre. derrière laquelle je me vois aujourd'hui. ou plutôt je vois une autre. enfermée. emmurée à la naissance. dans ce cube transparent, je vois encore les murs. le silence. un poison qui s'est insinué dans mon journal intime pour y faire son lit, je veux le chasser et libérer sa parole à elle, à moi, hier.
".
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Confessions d'un salaud : Histoire vraie d'un braqueur, dealer, taulard
Audrey Diwan, Fatou Biramah
- Denoel
- 19 Février 2004
- 9782207255568
«Je suis un salaud. Un bâtard, un vicieux, un enfant rebelle du système. Je suis noir et musulman, mais ce n'est pas ça qui me définit. Je suis le produit d'un contexte, d'un environnement particulier. Ma réalité, je la connais trop bien. Je suis un professionnel de l'économie parallèle. Dans mon quartier, j'impose ma loi. Toujours en alerte sur le terrain, je localise, je repère. Pas question de baisser la garde. Mon seul mot d'ordre : faire du fric sans y laisser ma peau. J'appartiens à un commando urbain. Dans le secret des cités, nous luttons contre les hommes en bleu. Personne ne peut imaginer ce qui s'y passe vraiment. Chez nous, la violence est une valeur sûre : c'est un outil de travail. Pour se rassurer et vous rassurer, les médias parlent de délinquance. En vérité, notre pays traverse une guerre civile qui ne porte pas ce nom. Je ne cherche pas d'excuses. Je n'ai pas honte de moi. Je représente la marge de cette société, sa marge d'erreur. Cette tranche invisible de la population qui n'a pas de diplômes, qui ne cotise pas, qui n'a ni feuilles de paye ni espoirs de retraite. Une population sans identité, répertoriée sous la mention "cas social" dans les fichiers de l'État. Dans le fond, je sais toujours ce que je fais, mais je ne suis pas sûr de savoir qui je suis.» Fatou Biramah et Audrey Diwan sont journalistes ; elles ont recueilli cette confession au cours de l'année 2003.