"Sur les parois et les murs verdissait le lierre, verdissait.
Une ombre bienfaisante de hautes allées. Souvent.
Au soir, au matin, nous étions là.
Disant mainte chose et nous regardant plein de joie".
Ce recueil rassemble les deniers poèmes écrits par Hölderlin. La langue, aussi bien que les thèmes - les saisons, le temps qui passe - procurent pourtant une forte impression de simplicité et de limpidité. Ce sont les accents, les intonations, le timbre et le phrasé même d'une voix qui portent les traits singuliers d'un lyrisme extrême.
« J'ouvre Hölderlin. Je lis, je relis et je suis envahi d'une stupeur immense. Soudain le monde, qui me paraissait voué à une fermeture définitive, se déploie ».
Philippe Sollers
«La présente édition reproduit les Odes, les Élégies et les Hymnes tels qu'ils figurent dans la Bibliothèque de la Pléiade, les seules modifications concernant les traductions d'André du Bouchet, pour lesquelles nous avons tenu compte des retouches apportées dans l'édition du Mercure de France ; d'autre part, pour les hymnes L'Unique et Mnémosyne, nous avons substitué les traductions d'André du Bouchet à celles de la Pléiade.
On sait que Hölderlin, qui publia plusieurs poèmes en revue, n'a pas connu avant les années de la folie leur édition en volume. Notre recueil se limite à la période des grands poèmes (1800-1806), pour laquelle nous avons, à la suite de la Pléiade - et en nous conformant au choix de celle-ci au sein des Odes, des Élégies et des Hymnes -, repris le classement par genre de l'édition de Stuttgart.»
«Holderlin, lorsque parut, pour les Pâques de 1797, le premier volume de son roman grec, Hypérion, était presque totalement inconnu. Né en 1770 à Lauffen, sur le Neckar, et destiné à une carrière théologique, mille essais poétiques l'avaient occupé dès l'adolescence. Les cinq années qu'il passa au Stift de Tübingen, où il fut l'ami de Hegel et de Schelling, entre 1788 et 1793, furent celles des enthousiasmes décisifs:pour la Révolution française, pour la philosophie de Kant, pour la poésie et la personne de Schiller alors en pleine gloire, mais plus profondément encore pour la Grèce antique, celle d'Homère, de Pindare, de Sophocle et de Platon. Si Schiller voulut bien accueillir dans sa revue, la Thalia, le fragment d'un premier Hypérion qu'on lira plus loin, puis engager Cotta à publier le roman définitif, il devait, peu après, se détourner pour toujours de son jeune compatriote souabe; et ces deux publications passèrent presque inaperçues. Or, Hypérion est le seul livre de Holderlin qui ait paru avant 1806, c'est-à-dire avant que le poète ne sombre dans la folie.» Philippe Jaccottet.
Pour la première fois se trouve rassemblé dans ce volume, en traduction française, l'essentiel de l'oeuvre d'un poète actuel entre tous. Soit : la totalité de ses Lettres, les trois états et les plans de sa tragédie inachevée, Empédocle, son roman, Hypérion, précédé de son ébauche la plus accomplie, la totalité de ses Essais achevés ou inachevés. L'éditeur ne s'est permis de procéder à un choix que dans l'oeuvre poétique antérieure à 1800 et dans celle des dernières années (largement représentées toutes deux néanmoins) ; en revanche, il n'est pas un plan, pas un fragment, à plus forte raison pas un poèmes achevé des années suprêmes (1800-1806) qui ait été écarté, à l'exception des variantes. L'édition groupe cet ensemble de textes (dont un grand nombre était inédit en français) selon un plan chronologique inspiré de l'édition de Hellingrath, en cinq périodes : Années d'études, Hypérion, Empédocle, Grands poèmes, Dernières années ; elle est conçue, dans son ordre comme dans son appareil critique, pour permettre au lecteur l'accès le plus naturel à une oeuvre dont le développement est profondément organique. Le texte lui-même est fondé, sauf exceptions signalées en notes, sur l'édition la plus récente, celle de Fr. Beissner. (Bulletin Gallimard, 1967)
"Hölderlin est la poésie en personne. La tâche du traducteur est ici d'affronter la tension - sans résolution possible - entre herméneutique et poétique. Une stricte littéralité conduirait à l'abscons. Une "belle infidèle" se déroberait à l'étrangeté de l'original. Cette nouvelle traduction s'attache à reformuler l'énigme du poème, à saisir ce qu'il y a d'achevé dans l'inachevé, à tourmenter notre langue, comme Hölderlin tourmenta la sienne, au bord de l'éclatement et de la folie. II faut répondre en poète au poète, avec ceci de particulier dans La Mort d'Empédocle que le poème dramatique est destiné à être joué et non pas seulement lu."
HÖLDERLIN
Hypérion
« N'envie pas les hommes libres de souffrance, les idoles de bois auxquelles rien ne manque, tant leur âme est pauvre, qui ne posent pas de questions sur la pluie et le soleil parce qu'elles n'ont rien qu'elles doivent cultiver.
Certes ! Certes ! il est tout à fait facile d'être heureux, d'être tranquille avec un coeur sans profondeur et un esprit borné. On peut bien vous en accorder la faveur ; qui donc irait se fâcher que la cible de planches ne gémisse pas de douleur quand la flèche s'y fiche, ou que le pot creux rende un son si mat quand on le jette sur le mur ?
Simplement, braves gens, il faut vous y faire, il faut même qu'en grand silence vous soyez étonnés de ne pas comprendre que d'autres ne soient pas si heureux, ne soient pas non plus si satisfaits d'eux-mêmes, vous devriez même vous garder de faire de votre sagesse une loi, car ce serait la fin du monde si l'on vous obéissait. »
Achevé en 1799, Hypérion est le premier et ultime roman du poète Hölderlin. Peu connue en France, cette oeuvre écrite dans une langue harmonieuse et brûlante est l'un des grands classiques de la littérature allemande.
Traduction, présentation, notes, chronologie et bibliographie par Jean-Pierre Lefebvre
La vie de hölderlin (1770-1843) nous apparaît comme coupée en deux.
Ses trente-six premières années lui firent don des grandes oeuvres, roman et poèmes, qui attestent son génie et ont fait sa gloire : il y invente en effet un singulier lyrisme dont l'écho n'a cessé, jusqu'à nous, de se faire entendre comme un son absolument neuf. mais s'ensuivirent encore trente-six autres années, que le poète passa dans une tour, chez un menuisier qui le recueillit lorsque le monde se fut accordé à dire qu'il avait perdu la raison.
De cette seconde moitié de sa vie, nous restent une cinquantaine de poèmes, dont on trouvera ici un essai de traduction. ces poèmes dits " de la folie ", que hölderlin confia à ceux qui vinrent le voir comme une attraction ou un modèle, témoignent d'un non moins singulier tournant dans son existence et son oeuvre : pendant trente-six ans, il n'aura plus fait que regarder autour de lui, bornant son travail à rendre, poétiquement, le passage du temps sur ce paysage.
De cette simplicité ressassée, oú il s'applique à effectuer en lui la réconciliation de la nature et de l'esprit, s'élève pour nous, très étrange, une autre beauté.
Voici traduit dans vingt et quelques langues de la terre, et s'invitant à toutes les autres, un " poème des poèmes " venu de la proche Allemagne au siècle dernier, une sorte de bateau ivre armé par un adolescent de 33 ans dans le souvenir d'un voyage en France, un poème qui donne à penser et donnant à penser a déjà fait le tour du monde : Andenken de Hölderlin.
Traversant les derniers feux du XVIIIe siècle et les premières rigueurs du XIXe, Friedrich Hölderlin (1770-1843) devient l'emblème de l'énigme poétique, tissant des liens indéfectibles entre philosophie et poésie, créant une langue limpide et riche d'inépuisables secrets. Chaque poème donne ainsi témoignage de la force révolutionnaire de la langue : mais de quelle révolution parlait-il, lui qui, dit-on, finit reclus et fou à la tour de Tübingen. Une voie d'accès au texte, renouvelée de fond en comble par les auteurs au terme de nombreuses années de travaux.
Depuis trois-quarts de siècle, la figure de Friedrich Hölderlin (1770-1843) s'est progressivement dessinée non seulement comme l'une des plus grandes de la poésie de langue allemande, mais de la poésie tout court, tant sa thématique
personnelle et surtout sa prosodie absolument singulière ont ouvert un espace neuf, où vint s'engouffrer une bonne part de la poésie européenne du XXème siècle. Formé à la lyrique la plus classique, nourri d'une solide culture philosophique et de la fréquentation des Anciens, Hölderlin aurait pu n'être qu'un Romantique allemand de plus, entrelaçant dans de beaux vers peines d'amour et désespoirs métaphysiques, auquel cas il n'occuperait pas, à coup sûr, la place éminente qu'il occupe dans la conscience des contemporains, et la vénération que beaucoup lui réservent.
Mais c'est que Hölderlin, tout en réactivant les formes les plus traditionnelles dont les Grecs surtout lui avaient donné le modèle et l'envie (l'Hymne, l'Ode, l'Elégie, etc.), en est peu à peu venu, lentement mais sûrement, à les miner de
l'intérieur, portant la langue allemande à une sorte de paroxysme, mêlant le style familier au sublime, pratiquant aussi bien l'ellipse brutale que l'orchestration ample, et surtout jouant, avec un art consommé et inégalable, de l'ordonnance ordinaire de la syntaxe, la faisant de plus en plus se contorsionner avec grâce, sans toujours lui éviter la fracture.
L'espèce de mystère qui en résulte, d'une profondeur frôlant donc parfois (mais seulement frôlant) l'inintelligibilité, est une des raisons, et sans doute la principale, du culte hölderlinien moderne.
C'est sur cette thématique intellectuelle, orchestrée d'images puissantes et d'un lyrisme souvent vibrant, que vint se greffer, dès 1934, l'interprétation de Martin Heidegger, lui-même tout occupé des Grecs et en quête d'une autre
Allemagne, et qui donc voulut dégager de l'oeuvre de Hölderlin non seulement un enseignement sur le destin grec de l'Allemagne, mais sur l'essence même de la Poésie. Dès lors, Hölderlin devint, pour certains, Le Poète. Et puis enfin, si Hölderlin séduit tant, c'est aussi pour ces trente-six années passées dans une tour, à partager la vie simple d'un menuisier, sans presque plus écrire, rien qu'une quarantaine de courts poèmes apaisés traitant du paysage, des saisons.
Ce qu'on appelle "les poèmes de la folie".
Encore faut-il qu'il soit traduit. S'illustrèrent à le faire en français, d'abord Gustave Roud et Geneviève Bianquis, puis Michel Deguy, Philippe Jacottet, François Fédier, bien d'autres encore.
La présente édition réunit, sans autre règle de choix que le goût personnel, des poèmes écrits par Hölderlin entre 1796 et 1804. Ils sont classés dans l'ordre chronologique, pour autant qu'on puisse les dater. Les premiers sont encore d'une facture classique, mais bientôt la singularité se fait jour. Certains sont des hymnes, d'autres des élégies, parfois n'en restent que des fragments, des esquisses, belles comme des ruines.
Friedrich Hölderlin (1770-1843) is now recognized as one of Europe's supreme poets. He first found his true voice in the epigrams and odes he wrote when transfigured by his love for the wife of a rich banker. He later embarked on an extraordinarily ambitious sequence of hymns exploring cosmology and history, from mythological times to the discovery of America and his own era. The 'Canticles of Night', by contrast, include enigmatic fragments in an unprecedented style, which anticipates the Symbolists and Surrealists. Together the works collected here show Hölderlin's use of Classical and Christian imagery and his exploration of cosmology and history in an attempt to find meaning in an uncertain world.
In den ersten Jahren der Mündigkeit, wenn der Mensch vom glücklichen Instinkte sich losgerissen hat, und der Geist seine Herrschaft beginnt, ist er gewohnlich nicht sehr geneigt, den Grazien zu opfern. Ich war fester und freier geworden in der Schule des Schicksals und der Weisen, aber streng ohne Maß, in vollem Sinne tyrannisch gegen die Natur, wiewohl ohne die Schuld meiner Schule. Der gänzliche Unglaube, womit ich alles aufnahm, ließ keine Liebe in mir gedeihen. Der reine freie Geist, glaubt ich, konne sich nie mit den Sinnen und ihrer Welt versohnen. Ich kämpfte überall mit dem Vernunftlosen, mehr, um mir das Gefühl der Überlegenheit zu erbeuten, als um den regellosen Kräften, die des Menschen Brust bewegen, die schone Einigkeit mitzuteilen, deren sie fähig sind. Stolz schlug ich die Hülfe aus, womit uns die Natur in jedem Geschäfte des Bildens entgegenkommt, die Bereitwilligkeit, womit der Stoff dem Geiste sich hingibt; ich wollte zähmen und zwingen. Ich richtete mit Argwohn und Härte mich und andre.
Der liebe Vaterlandsboden gibt mir wieder Freude und Leid.
Ich bin jetzt alle Morgen auf den Hohn des Korinthischen Isthmus, und, wie die Biene unter Blumen, biegt meine Seele oft hin und her zwischen den Meeren, die zur Rechten und zur Linken meinen glühenden Bergen die Füße kühlen.
Besonders der Eine der beeden Meerbusen hätte mich freuen sollen, wär ich ein Jahrtausend früher hier gestanden.
Wie ein siegender Halbgott, wallte da zwischen der herrlichen Wildnis des Helikon und Parnaß, wo das Morgenrot um hundert überschneite Gipfel spielt, und zwischen der paradiesischen Ebene von Sicyon der glänzende Meerbusen herein, gegen die Stadt der Freude, das jugendliche Korinth, und schüttete den erbeuteten Reichtum aller Zonen vor seiner Lieblingin aus.
Aber was soll mir das? Das Geschrei des Jakals, der unter den Steinhaufen des Altertums sein wildes Grablied singt, schrockt ja aus meinen Träumen mich auf.
Wohl dem Manne, dem ein blühend Vaterland das Herz erfreut und stärkt! Mir ist, als würd ich in den Sumpf geworfen, als schlüge man den Sargdeckel über mir zu, wenn einer an das meinige mich mahnt, und wenn mich einer einen Griechen nennt, so wird mir immer, als schnürt' er mit dem Halsband eines Hundes mir die Kehle zu.
Und siehe, mein Bellarmin! wenn manchmal mir so ein Wort entfuhr, wohl auch im Zorne mir eine Träne ins Auge trat, so kamen dann die weisen Herren, die unter euch Deutschen so gerne spuken, die Elenden, denen ein leidend Gemüt so gerade recht ist, ihre Sprüche anzubringen, die taten dann sich gütlich, ließen sich beigehn, mir zu sagen: klage nicht, handle!