De la plaine Monceau aux Champs-Élysées, le Paris de Marcel Proust est essentiellement celui des beaux quartiers. Né à Auteuil, ayant vécu boulevard Malesherbes ou boulevard Haussmann, l'écrivain situe son oeuvre dans le Paris de la Belle Époque. Les appartements cossus donnent sur des avenues plantées d'arbres, les enfants s'amusent dans d'élégants jardins et les réceptions se tiennent dans des hôtels particuliers. Swann, Odette ou la duchesse de Guermantes fréquentent Maxim's, le bois de Boulogne ou les cafés animés des Grands Boulevards. Ces décors et les figures qui ont inspiré le romancier, les voici en images, révélant un Paris 1900 à la fois réel et imaginaire: le monde de Proust.
From the Plaine Monceau to the Champs-Élysées, the Paris of Marcel Proust essentially encompasses the high-end districts. Born in Auteuil, having lived on the Boulevard Malesherbes, as well as the Boulevard Haussmann, the writer's work is embedded within the Paris of the Belle Époque. The Posh apartments look out onto tree-lined streets, children play in elegant gardens and receptions are held in private mansions. Swann, Odette or the Duchesse de Guermantes all socialize at Maxim's, the Bois de Boulogne or the bustling cafés along the Grands Boulevards. These settings and the different characters, who inspired the famous novelist,are hereby presented in evocative images, revealing Paris during the early 1900s, both real and imaginary: the world of Proust.
Le narrateur, Henri, écrivain débutant, amoureux de l'oeuvre de Proust, s'éprend de Luce, une des jeunes filles d'un trio de copines qui habitent le temps d'un été la maison mitoyenne à celle où il atterrit avec un camarade dans un village du sud de la France. Elle se nomme Luce Simonet, avec un seul n, le même patronyme que celui d'Albertine. Elle est étudiante et prépare une dissertation sur Proust. Henri Raczymow réussit ici un double exploit : celui de transformer en roman les questions qu'il s'est posées en se penchant sur le personnage d'Albertine dans la "À la recherche du temps perdu" et celui d'écrire une histoire d'amour incarnée et bouleversante.
Tout écrivain est d'abord un lecteur. Henri Raczymow ne déroge pas à cette règle. Comment exister, trouver sa place dans le catalogue de ces noms auréolés de gloire qui vous ont fait rêver depuis l'enfance ? Où va-t-on quand on commence à écrire ? Est-ce qu'on le sait, comme Ulysse, dont le but du voyage - rejoindre Ithaque - est avoué depuis le départ ? Ou est-ce que, comme Colomb, on croit le savoir même si le lieu où on arrive n'est pas celui qu'on avait prévu de rejoindre ? Et d'ailleurs, pourquoi écrit-on ? Sur un ton qui tient tantôt de la confidence, tantôt du journal intime, Henri Raczymow livre ses interrogations sur sa passion ravageuse de la littérature, ses certitudes de jeunesse, ses doutes d'âge mûr, les destinées imprévisibles, parfois tragiques de ses contemporains dans ce petit milieu pas moins âpre que les autres, où éditeurs, libraires, distributeurs, écrivains jouent, en le sachant ou pas, une partie de poker menteur.
Proust meurt le 18 novembre 1922 à cinquante et un ans au 44 rue Hamelin à Paris. Si toute vie prend son sens en regard de sa fin, celle d'un écrivain se double d'une autre course de vitesse. Deux adversaires s'opposent : le souci d'achever son oeuvre et la mort qui se rapproche. Aura-t-il le temps d'atteindre son dernier mot, de poser le mot « fin »?
Pour Proust, les choses sont encore plus tragiques. Car la Recherche est une oeuvre toujours à reprendre, à corriger, à nourrir. Par principe, elle est sans fin.
Proust malade et se sachant condamné, son attentive et dévouée gouvernante Céleste à ses côtés, lutte non tant pour survivre quelques jours ou même quelques heures mais pour, une fois encore, ajouter, biffer, corriger son immense chef-d'oeuvre interminable.
L'écrivain compose un journal où il revisite une part de son histoire à travers la correspondance échangée avec des lecteurs, des amis ou des connaissances, depuis 1970. Il y aborde des thèmes qui lui sont chers, comme l'érudition, les questionnements sur le couple, la judéité, etc.
«"On aurait cru qu'il mettait tout, argent, esprit, oui, tout, dans l'art de vivre pour plaire aux dames. Et naturellement il en était payé : elles raffolaient de lui. Mais quelle distinction, quel éclat ! Et quel dandy !..." S'agit-il de Charles Swann dans la Recherche ? Non, de Charles Haas. Mais c'est Proust qui parle.
J'avais sous les yeux la reproduction d'un tableau de James Tissot, Le Balcon du Cercle de la rue Royale. Soudain, je remarquai la place qu'occupait Charles Haas : près de la porte, face aux autres et comme à l'écart, comme s'il hésitait à se mêler aux autres, à pénétrer dans la ronde. Et, tout heureux alors, je me dis : Voilà, c'est ça. Haas fait partie du cercle, mais reste à sa périphérie. Et aussitôt je sus nommer cette marginalité : Haas était juif, sans titre, sans lignée prestigieuse, sans immense fortune. Il cumulait tous ces traits négatifs. C'est de ce jour que ce "cygne" me fut un peu moins distant, moins étrange.» Henri Raczymow.
Nous sommes dans les années de l'immédiat après-guerre, dans ce quartier populaire de Belleville où l'on entend encore parler le yiddish. C'est ce lieu et ce temps qu'évoque l'auteur avec, on s'en doute, un rien de nostalgie, mais aussi une immense tendresse à l'égard «des voix chères qui se sont tues», voix des grands-parents, Simon et Mania, venus de Pologne, voix des parents, Étienne et Anna, livrés au chagrin des pertes subies pendant l'Occupation et dans le même temps avides de vivre et de rire. L'auteur ressuscite cette petite communauté par une description minutieuse qui s'attache aux plus infimes détails de la vie quotidienne : nourriture, vêtements, voitures, chansons, publicités radiophoniques... Par sa franchise, sa probité et par le regard singulier qu'il porte sur les siens et ce monde disparu, l'auteur réussit son double pari : inscrire sa vie «dans la mémoire d'une autre» et, nous l'ayant donnée en partage, être compris à son tour, «comme une figure de géométrie en comprend une autre».
Deux Juifs polonais, le narrateur né à Paris et la figure d'un grand-père venu de Pologne, évoquent ensemble leur passé - et même leur avant-passé - dans une petite communauté d'Europe centrale, décimée depuis par la persécution nazie. Par fragments de contes et d'anecdotes sans cesse interrompus, repris, complétés, ils reconstituent un monde autrefois vivant de brocanteurs, rabbins, artisans, circonciseurs, marchands ambulants : tel est leur unique recours contre l'exil et l'oubli. Avec une véhémence poétiquement psalmodiée, ainsi qu'avec humour, les deux hommes s'enfoncent peu à peu dans les ténèbres d'une époque révolue. Cependant, leurs mémoires contrastées défaillent, puis progressivement s'évaporent avant de se dessécher tout à fait. Et le jeu déchirant de leurs imaginations - qu'il s'agisse de réalité ou de fiction - finit par se laisser recouvrir par l'oeuvre irréversible du Temps.
Henri Raczymow nous propose ici un essai sur Emmanuel Berl dont la figure et l'oeuvre sont aujourd'hui quasiment oubliés.
Dans l'introduction, il brosse à grands traits le portrait de Berl et souligne les paradoxes de sa trajectoire (oeuvre irrégulière, engagements politiques, amitiés de tous bords).
L'ouvrage est une relecture du parcours biographique de Berl, rappelant notamment la proximité de sa famille avec la famille de Bergson et la figure de son oncle Emmanuel Lange, brillant agrégatif mort prématurément, dont ne cessait de lui parler sa mère et sa grand-mère, et qui hanta son enfance.
Très jeune, Berl se révèle grand séducteur et brillant causeur. Dans les années 20, il fréquente Proust mais finit par se fâcher avec lui. Il est proche des surréalistes, et de Breton en particulier - à qui il disputera Suzanne Muzard. De Drieu (avec qui il crée un journal, Les Derniers Jours).
De Malraux. De la NRF. Et d'un grand nombre d'autres futurs fascistes et collaborateurs comme Morand ou Bertrand de Jouvenel. Les entretiens menés par d'Ormesson et Patrick Modiano avec Emmanuel Berl sont sur le sujet de précieuses sources.
Dans les années 30, il se lance en politique avec le journal Marianne, sans réelle conviction.
Dans les années 40, il collabore à la rédaction de l'un des plus célèbres discours de Pétain - on lui attribuera plus tard les formules « Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal » et « La terre ne ment pas ». Mais les lois raciales et son mariage avec la chanteuse Mireille, d'origine juive, comme Berl, vont l'obliger à se cacher en Corrèze à partir de 1941.
Intéressant projet que de se pencher sur cette figure qui a littéralement traversé le siècle et fréquenté, pour ne pas dire magnétisé, les plus grands écrivains du XXe siècle. Les louvoiements de Berl sont passionnants, tant ils épousent ceux de son pays. Réfléchir à Berl, c'est aussi réfléchir à notre Histoire.
L'oeuvre de Maurice Sachs, c'est sa vie même. Cette oeuvre-là n'a pas les belles proportions des classiques. Elle est baroque, ou cubiste, ou fauve, ou un sale mélange des trois. Sachs, toute sa vie, fait des coups, des malversations et des saloperies. Il écrit des livres : Alias, Au temps du Boeuf sur le toit, Le Sabbat, La chasse à courre. Il connaît des amours, noue et dénoue des amitiés, se marie, se convertit deux fois. Mais ces insignifiances, c'est pour meubler. D'ailleurs, les meubles, il n'y est pas attaché, surtout ceux des autres. Il les vend. Il «emprunte» et se «refait». En attendant que la vraie vie commence sous des auspices meilleurs que ceux de son enfance : un père tôt parti sans lui dire s'il est juif ou pas, une mère fantasque experte en escroqueries. Sachs, qui fut l'aventurier même dans le Paris de l'entre-deux-guerres dont il se voulut le chroniqueur, rêve d'une vie d'ordre. Il rencontre des jeunes gens passionnés de littérature, beaux et intelligents. Il aimerait à son tour jouer le rôle de Maritain, Cocteau ou Max Jacob à l'égard d'une certaine jeunesse de leur époque, qui les entoura, et les adula. Mais il aurait fallu que le nom de Sachs brillât au ciel de la gloire. Il n'en fut rien. Car sa gloire ne fut pas tardive. Elle ne fut jamais. Le départ de Sachs pour l'Allemagne en novembre 1942, comme travailleur volontaire, n'est pas celui de Rimbaud pour le Harrar : l'un a son oeuvre derrière lui, l'autre devant ; l'un finit dans le négoce, l'autre à la Gestapo. Et on ne pourra pas appeler gloire posthume la réputation sulfureuse du «Juif collabo» abattu par la S.S. sur le bord d'une route au crépuscule du Reich. Sous l'effervescence picaresque d'une vie de drôlerie et de total amoralisme court quelque chose de tragique.
«Faire le tour de la France, ou plutôt un tour en France. Différents endroits susceptibles d'avoir accueilli mes pas un jour ou l'autre. Beaucoup de pas, donc, puisque beaucoup d'années. Un tour, mais non à proprement parler un cercle. Ce serait plutôt un colimaçon, mot enfantin que j'aime bien. Vous savez, l'escargot. Ou l'escalier. Ou le jeu de l'Oie. Ou plutôt, cette figure qui jadis, dans les jeux des journaux populaires, consistait à relier des points entre eux. Et cela vous dessinait un coq, une vache, un chameau. À ceci près qu'ici ces sauts de point en point, à l'arrivée, ne dessineront rien. Pas même une carte de France. Ou alors approximative, une France de l'ère secondaire tout au plus. Un livre ? Peut-être, mais sans grands contours. Un livre à ma guise. Un livre à la va-comme-je-te-pousse. Un livre en zigzags, reliant des points du temps et de l'espace, un peu selon l'idée proustienne de la contiguïté entre le souvenir d'un certain lieu et le regret d'un certain moment. Un livre qui ressemblera à la vie, je suppose.» Henri Raczymow.
Mon frère ,Alain/Ilan (1951-1997) a vécu en Israël dans son extrême jeunesse, de dix-sept à vingt-deux ans, à la fin des années 60, et au début des années 70. Il avait la prétention de contribuer à construire dans ce pays quelque chose comme un Etat " socialiste" et "laïc " où Arabes et Juifs vivraient ensemble, fraternellement. Ce rêve a fait long feu. II est revenu en France, plein d'une douloureuse désillusion. En avril, mai et juin 2009, j'ai entrepris de me rendre sur ses traces : une sorte de pérégrination, avec ma compagne, Anne Amzallag. Mais le pays n'est plus le même, ni moi. Suffit-il dès lors de fouler la même terre (Eretz) pour retrouver le sens et les vestiges, quatre décennies plus tard, de cette improbable utopie qui aujourd'hui n'a plus cours? H. R.
'Elle s'appelle Léna, elle me tend une main franche, spontanée, déterminée. Et en même temps délicate.
- Moi, c'est Richard. Dick en anglais, j'ai cru bon d'ajouter. Richard Federman.
- Ah oui? Pourtant, on ne dit pas Dick Coeur de Lion.
La remarque e
Ce noeest pas le Courbet communard qui moea retenu ici. Coeest Courbet peintre. La manière de Courbet. Ses manières, ses mauvaises manières. Sa grossièreté de paysan (de Franche-Comté) mal dégrossi, de plébéien. Quoeil soit devenu communard, doeailleurs, noeest pas pour étonner. On se moquait de lui : il ignorait les livres, il était sans orthographe. L?école et lui s?étaient très tôt brouillés. Mais Courbet est ailleurs : coeest un peintre-né. Ses manières sont, à tous égards, fort peu académiques. LoeAcadémie ne soey trompait pas : le Salon le rejeta avec constance. Pourtant, les meilleurs, dont Baudelaire son ami, surent voir derrière le scandale (voulu, délibéré) quoeoccasionnaient ses tableaux, une oeuvre inédite, radicale, décisive pour loeart moderne (Monnet, Cézanne) qui surgissait « avec loeallure doeune insurrection ». Courbet, c?était un homme « énorme » ? « hénaurme » eût dit son contemporain, loeautre Gustave du siècle, loeauteur de Madame Bovary, avec lequel il partageait tant doeaspects communs. Cette « hénaurmité » ? cette outrance ?, nous la voyons de façon indissociable dans son personnage tonitruant et dans son oeuvre scandaleuse, lieu doeune vraie jouissance esthétique et sensuelle, ce que nous avons appelé, comme pour rappeler combien loeanimalité noeest jamais loin dès lors quoeon évoque ce peintre, un puissant « effet-boeuf ».
Henri Raczymow
«Aujourd'hui, c'est dit, je prendrai le risque du discontinu, sinon du décousu. Nécessité non de poursuivre, mais de commencer. Ce serait ainsi le Livre des commencements. À chaque fois je commencerai par un point de ma vie, un visage, une date, une époque, un jour entre tous, une ère géologique.
Ce serait le Livre de mes temps morts, où temps morts doit aussi s'entendre à la lettre : les strates géologiques (ou archéologiques) dont nos vies communes sont faites. Ils prendront ici la figure de lieux, d'atmosphères, de liens d'amitié ou d'amour, mais aussi de visages aujourd'hui disparus : mes morts. Le portrait que je fais d'eux est nécessairement partiel ou partial. "On entre dans un mort comme dans un moulin", disait Sartre. Lorsqu'on s'est dépris de son passé (qu'il s'est dépris de nous), ce qui est d'ailleurs un signe de bonne santé, signe que nous nous donnons tout simplement à nous-même l'autorisation de vivre, il est devant nous comme le mort de Sartre, ouvert à notre liberté, à notre tyrannie.»
«J'ai rencontré la figure de Louis Bouilhet, non d'abord par une lecture mais par la contemplation au départ distraite de la couverture d'un fort et savant volume de 780 pages : Louis Bouilhet, Lettres à Gustave Flaubert. Je conservai, sans trop savoir pourquoi, ce livre posé droit devant moi et je le regardais parfois, comme si je tentais de percer un mystère et sans même me douter qu'il y avait bien là un mystère. Cette couverture où figuraient deux photos, l'une pleine page de Flaubert par Nadar, l'autre en médaillon de Bouilhet, me faisait signe, mais c'était comme si, dans la rue, quelqu'un vous adressait un signe sans que vous puissiez identifier le personnage. Ce qui devait arriver arriva. Un jour me sauta aux yeux cette évidence : les deux personnages, le glorieux et le méconnu, entretenaient entre eux une troublante ressemblance...»Henri Raczymow.
Dans le quartier de Belleville des années cinquante, Simon Dawidowicz vient parfois visiter ses petits-enfants. Chemin faisant, il songe aux merveilleux récits qu'il racontera ce soir-là à Mathieu et à Dominique : des histoires de Pologne, les aventures d'un énième faux Messie, l'incroyable géographie des Dix Tribus perdues... À travers l'évocation pittoresque, drôle et chaleureuse d'une petite famille juive, l'auteur nous entraîne à la recherche d'une généalogie ignorée, obscure et farfelue, ainsi que du vaste légendaire juif où fable et mémoire alternent et souvent se confondent.
«Je n'ai pas connu, et pour cause, Heinz Dawidowicz, mon jeune oncle, mort en déportation à l'âge de dix-neuf ans. Ma mère m'en a très peu parlé. Ce qui est certain, en revanche, c'est que son absence m'a constitué. Si bien que le vrai sujet de ce livre est moins l'évocation d'Heinz que l'ombre portée de sa vie et de sa mort. Son absence, je devais l'inscrire noir sur blanc, tenter cette archéologie impossible.» Henri Raczymow.
Le narrateur vit depuis des années avec Régine Clever ; il tombe amoureux de Nina Weil et il hésite. Il faudra qu'une troisième femme, Emma Fisch, lui montre la voie par laquelle c'est surtout de lui-même qu'il devra se départir. Tel le «petit» prophète Jonas se dirigeant aveuglément vers Tarsis - alors que c'est Ninive qui l'appelle -, il doit passer par le «stade du poisson». Dans sa chambre de l'hôtel des dunes, il entreprend le récit d'une singulière déliaison.
«Bluette, je raffolais de ce mot, la couleur de la première syllabe, la modestie ironique peut-être de la seconde. Là, ses cheveux me caressaient, et c'est depuis ce jour. J'avais à peu près l'âge de Bloom. Ah ! les Bluettes ! Louba (Hannah ? Yaffa ? Sonia ?) disait que c'était biblique ; mais j'étais très loin des geihas rêvées. Le Sahara progresse, dit Rose, il fut autrefois un vert paradis. Quant à moi, mon mutisme est total, j'avance dans la nuit ; et ce lamento gris-bleu n'est pas sur moi sans séduction. Tant pis. Ou bien, cette image est celle d'un enchevêtrement, ou mieux d'un entrelacs, ou encore de deux, trois, peut-être quatre fils épissés ensemble en un cordage unique et relativement stable. Mais tant de réflexion me donnait vite la migraine. Et pour l'instant le sang coule. Je navigue sur ce fleuve qui m'éloigne de la source...» Henri Raczymow.
Étienne se rend en pèlerinage à Lyon sur les traces de son passé de résistant communiste. Anna, elle, reste à la maison, éternelle Pénélope toute à ses fourneaux de mère juive. Le narrateur, leur fils aîné, tisse un «récit d'enfance» dans la nostalgie ambiguë d'un va-et-vient entre autrefois et aujourd'hui. Comme pour donner tort à l'Ecclésiaste qui dit que les hommes seront effacés de la mémoire de ceux qui les suivent. Écrire, ça servirait alors surtout à ça : inscrire des noms, des instants et des lieux promis autrement à l'oubli.
Né à Paris en 1906 dans une famille loufoque, non-conformiste et peu scrupuleuse, Maurice Sachs eut une vie sulfureuse, aujourd'hui encore entachée d'opprobre. C'est qu'il a mal fini : bien que juif et homosexuel, il achève sa « carrière » dans la Gestapo de Hambourg. Il n'avait pas 39 ans. À sa naissance, son père, Herbert Ettinghausen, s'éclipse rapidement et sa mère, Andrée Sachs, qui vit d'expédients, ne tarde pas à l'abandonner dans un internat de style anglais où Maurice découvre tout à la fois sa judéité, son homosexualité, son goût du vol et son amour de la littérature.
Ce Cahier de l'Herne qui lui est consacré ne vise pas on ne sait quelle réhabilitation. On ne le sauve ni ne l'accable. Ce Cahier a la seule ambition de faire le point - sans rien omettre - sur cet écrivain qui fut un témoin essentiel de la vie artistique et littéraire du Paris de l'entre-deux guerres, l'ami entre autres de Cocteau, qui le fascine, de Jacques et Raïssa Maritain, de Max Jacob, de Gide, de Violette Leduc, et l'auteur d'au moins deux livres majeurs : Le Sabbat et La Chasse à courre, parus tous les deux après la guerre, de façon posthume. Maurice Sachs, personnage combien troublé, hante aussi toute l'oeuvre de Patrick Modiano. Il se fera abattre en avril 1945 sur une route d'Allemagne.