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Sciences humaines & sociales
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Voici qu'enfin le Livre des vingt-quatre philosophes retrouve son identité. Cet opuscule latin, apparu de façon anonyme et sans le moindre titre au tournant des XIIe et XIIIe siècles, et qui se compose de vingt-quatre définitions de Dieu, chacune suivie d'un bref et obscur commentaire, a séduit au cours des âges bien des esprits. Cet ouvrage, dont jusqu'ici on voyait mal quelle place lui revenait dans la littérature médiévale, doit être lu comme la résurgence d'un texte bien antérieur, dû à Marius Victorinus. C'est en effet lorsqu'il est confronté aux sources néo-platoniciennes que ce texte donne la mesure de sa richesse et qu'il éclaire d'un jour nouveau les rapports doctrinaux de Plotin et de Porphyre avec Marius Victorinus.
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Si l'on pouvait embrasser d'un coup d'oeil rapide les destinées de la dynastie qui occupe le trône d'Italie, ses agrandissements et ses transformations successives, on aurait assurément un des plus intéressants spectacles que puisse offrir l'histoire des familles souveraines. On y verrait une maison de petits seigneurs politiques et guerriers, tenaces et persévérants comme les races de montagnes, s'attacher aux deux versants des Alpes, accroître de siècle en siècle ses domaines au moyen d'accessions librement consenties bien plus que par la force et la conquête, et fonder avec des populations disparates dont elle forme la seule unité nationale, un petit empire en équilibre sur la crête des monts, solidement lié, penchant au nord ou au midi suivant les besoins de la stratégie et les pressions étrangères, souvent ébranlé par les secousses européennes, mais se raffermissant toujours jusqu'au moment où il tombe enfin de tout son poids sur l'Italie. On y verrait une dynastie douée à un degré rare de la faculté de se rajeunir et de se transformer, passer de la féodalité à la monarchie absolue, de la monarchie absolue à la monarchie contrôlée, changer de lois, d'institutions et même de pays, sans rien perdre de sa vigueur et de sa popularité... En présence d'une fortune royale aussi étonnante, c'est une curiosité naturelle d'en rechercher les causes et d'en considérer les progrès. Plus la maison de Savoie est ancienne, plus on désire connaître d'où elle vient, comment elle a grandi, quelles situations diverses elle a traversées, et par quelle vitalité secrète elle a pu survivre aux événements où tant d'autres dynasties ont péri. Sa grandeur, sa vigueur, sa popularité actuelle, sollicitent la pensée comme la vue d'un grand fleuve à son embouchure dans la mer invite l'explorateur à en remonter le cours. Une vieille ballade allemande décrit poétiquement la joie ignorante et superbe de l'enfant de la montagne buvant à la source inconnue et enjambant le petit cours d'eau qui abreuve plus loin les cités populeuses et porte les grands navires. Il nous semble qu'on peut ressentir un plaisir analogue à considérer dans son humble origine cette antique et glorieuse maison, et qu'on aime à voir pour ainsi dire jaillir du sol le fleuve imposant qui porte aujourd'hui les destinées de l'Italie nouvelle.
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En portant sa frontière au sommet des Alpes, la France a embrassé un pays et une population encore peu connus. Les idées les plus singulières se sont répandues au sujet de la Savoie et des Savoyards, et chaque fois que ce nom est prononcé, il réveille nécessairement l'idée d'un sol aride et nu, d'un climat glacé, d'une population considérablement inférieure en bien-être, en instruction, à celle de la France à l'époque. Ces notions fausses ou incomplètes, que l'esprit français aiguise volontiers en épigrammes, ne sont pas demeurées dans les milieux obscurs où l'ignorance les fait naître et où le préjugé les entretient : elles ont gagné les régions supérieures, les esprits cultivés, et pénétré jusque dans les documents de la politique et de la diplomatie. Une dépêche, qui n'est pas oubliée, est venue apprendre à l'Europe que la Savoie est un « rocher nu, une bribe montagneuse, » et, dans un rapport sur le sénatus-consulte de l'annexion, ses habitants étaient spirituellement qualifiés de « six cent mille malheureux. » En parlant ainsi, en accueillant dans des documents destinés à la grande publicité européenne ces préjugés de la multitude ignorante, on ne voulait pas sans doute blesser un peuple qui avait de vives susceptibilités nationales. On tenait seulement à produire dans l'esprit des diplomates étrangers la conviction que l'importance de la Savoie ne méritait pas les alarmes excitées par l'annexion à la France... La Savoie s'est sentie humiliée ; les sympathies qui l'avaient entraînée vers la France se sont tout à coup arrêtées devant l'opinion chargée de notions fausses et épigrammatiques dont l'esprit des fonctionnaires eux-mêmes n'a pas toujours su s'affranchir ; des froissements ont eu lieu qu'il serait imprudent d'ignorer ; des blessures vives ont été faites à l'amour-propre national, cachées aujourd'hui et sans danger, mais non cicatrisées...