Il arrive qu'à certaines questions la réponse de l'idiot ne soit pas entendue. On se targue d'être profond en demandant « Qui suis-je ? », et l'on congédie avec mépris le naïf qui répond : « Je suis un homme ». Cette assertion, pourtant, est loin d'aller de soi. La réduire à un jugement prédicatif revient à négliger le procès original que son énonciation implique. Car elle relève d'une logique collective par laquelle un sujet s'identifie à un groupe. C'est cette logique qu'il s'agit d'élucider à travers le commentaire d'un article de Jacques Lacan : Le temps logique et l'assertion de certitude anticipée.
Le problème des prisonniers sert de fil directeur. Sa résolution fait exploser le cadre classique de la logique en restituant le mouvement de toute identification, oublié dans son résultat. Face au malaise contemporain, cette révolte logique prescrit un universel ensembliste. Celui dont le sujet de la civilisation scientifique a besoin pour ne pas retourner contre son prochain une ségrégation qu'il prétend dépasser.
Dans « L'origine chrétienne de la science moderne », Alexandre Kojève soutient une thèse originale : le christianisme n'a pas fait obstacle à la révolution copernicienne ; il en a au contraire créé les conditions discursives. Pour faire tourner la Terre dans le Ciel, où Copernic l'avait projetée, les fondateurs de la science moderne ont fait descendre les mathématiques du Ciel sur la Terre. Du Ciel, que les Grecs païens divinisaient. Sur la Terre, où Dieu s'était incarné selon les chrétiens. Le triomphe de l'héliocentrisme et l'avènement d'une physique nouvelle furent théologiquement conditionnés.
Ce texte bref et incisif aide à dissiper le malaise dans la civilisation qu'entretient la méconnaissance des fondements de notre modernité. Paru initialement chez Hermann en 1964 au sein d'un ouvrage collectif, il est aujourd'hui enfin publié à part, accompagné d'un commentaire de Julien Copin, « Mathématiques et Incarnation », qui éclaire l'ensemble de l'oeuvre de Kojève.