«On ne peut aimer véritablement que ce qui vous domine, une femme qui nous soumet par sa beauté, son tempérament, son esprit et sa volonté, qui agisse en despote envers nous.» Le chef-d'oeuvre de Sacher-Masoch est empreint d'une sensualité trouble, d'un constant sentiment de culpabilité, de l'angoisse du péché et du mal.
Le bonheur alterne sans fin avec la douleur, comme si l'un ne pouvait venir que de l'autre.
Traduit de l'allemand par Aude Willm
À la fin du XIXe siècle, un professeur de psychiatrie de l'université de Vienne forgeait le mot " masochisme " pour définir un certain type de perversions sexuelles. Du nom de l'écrivain Leopold von Sacher-Masoch qui, dans de nombreux récits, met en scène de superbes femmes dominatrices et cruelles qui réduisent à leur merci, parfois à coups de fouet, des amants entièrement soumis. Léopold von Sacher-Masoch allait être lexicalement immortalisé, mais détruit en tant qu'homme de lettres.
Né en 1836 en Galicie et mort en 1895 en Allemagne, cet écrivain autrichien de langue allemande était un esprit brillant formé par une éducation raffinée ; aristocrate libéral, héritier des Lumières, il enseigna dès 20 ans à l'université et, à 28, était un auteur reconnu et apprécié. Il a beaucoup publié au cours de sa carrière, et des ouvrages très divers, mais reste aujourd'hui largement méconnu. En France, seule une petite partie de son oeuvre a été traduite et, même parmi ces textes, très peu ont été réédités depuis les premières traductions, parues du vivant de l'auteur. Même ramenés à leur part érotique et " masochiste ", ces romans et nouvelles sont relativement mal servis : seuls quelques-uns ont bénéficié de rééditions récentes, et l'offre reste éparse. Sans même songer à révéler ses ouvrages oubliés, mettre à la disposition du public ses oeuvres maîtresses sous la forme commode d'un volume unique est d'un intérêt capital.
Le livre contient deux romans et dix-neuf nouvelles d'ampleur variée, présentés dans l'ordre chronologique, parmi lesquels le plus célèbre, La Vénus à la fourrure. C'est aussi le plus actuel : adapté pour le théâtre par Christine Letailleur en 2009, il est porté à l'écran par Roman Polanski en 2013 - mais le cinéaste a adapté une adaptation, une pièce écrite par David Ives créée en 2010 à New York, Venus in Fur. À la faveur de cette actualité, retrouver l'oeuvre littéraire s'impose. Souvent réédité, ce roman gagne ici à être présenté au sein d'un ensemble plus vaste : il est ainsi mis en perspective. Il importe aussi de souligner que ce recueil comporte un nombre non négligeable de ces textes qui n'avaient plus été repris depuis leurs premières traductions, notamment " Le cabinet noir de Lemberg ".
Il s'agit de retrouver l'essence littéraire des clichés qui se sont développés à partir d'un concept psychiatrique déjà injustement réducteur ; c'est à cela que vise ce volume : permettre un retour aux sources romanesques du " masochisme ", qui ont inspiré des écrivains comme Georges Bataille ou Michel Foucault, jusqu'à l'auteur de Cinquante Nuances de Grey.
Ce volume contient :
La Vénus à la fourrure.
Le Cabinet noir de Lemberg.
La Pêcheuse d'âmes.
Les Batteuses d'hommes.
La Pantoufle de Sapho et autres contes.
Jamais réunies en français de son vivant ou après sa mort, les dix nouvelles « Femmes slaves » de Sacher-Masoch font contrepoint à La Venus à la fourrure (Stuttgart, 1870). Publiées en édition originale de 1889 à 1891 dans la Revue des deux mondes qui a largement contribué à faire connaître l'écrivain en France, elles ont pour décor l'empire austro-hongrois alors éclaté en de multiples provinces et nationalités à la fin du XIXe siècle. Sacher-Masoch ouvre son carnet de portraits de femmes vengeresses, de paysannes humiliées par les nobles, entre exotisme et cruauté et parfois une certaine drôlerie. Dix nouvelles destinées au grand public qui reposent sur un habile mélange de roman historique, d'érotisme discret et d'un soupçon d'exotisme slave qui nous emmènent en Pologne, Slovaquie, en Bosnie, en Serbie, en Croatie, au Monténégro. Dans « La journée de Gatzko », Sacher-Masoch est sur les traces d'une femme combattante qui sauve son mari lors d'une bataille contre les Turcs. Dominatrices, sûres d'elles, indépendantes, ces femmes slaves valeureuses ne sont pas faites pour l'ornement d'un harem. La nouvelle « Le Banc vivant » sonne le glas des vieux Don Juan. Une paysanne courtisée par son maître qui l'accuse de vol retourne la situation en faisant de lui son « baudet, son divan », ou plutôt son banc vivant sur lequel elle reçoit l'épouse trompée venant chercher son mari. Quand elle ne sont pas vêtues de la fameuse kazabaïka (« fourrure »), elles sont prêtes à monter sur les barricades ou à cheval lors des insurrections nationalistes qui troublent l'empire. Ainsi l'amazone de Prague meurt-elle sur une grande barricade « avec le sourire féroce d'une amazone bohême ».
Republiée pour la première fois en texte intégral, l'étude de Thérèse Bentzon « Un romancier galicien : M. Sacher-Masoch » parue en 1875 dans la Revue des deux mondes démontre que « sa tâche est celle d'un peintre de la nature sauvage et de l'homme primitif, celle d'un pionnier ». La critique de Bentzon s'inscrivait dans le mouvement de reconnaissance que la France portait à l'écrivain apprécié aussi pour ses sentiments anti-allemands. Il fut décoré de la Légion d'honneur en 1883 par décret du Président de la République française.
Warwara Gondola a de qui tenir : déjà son père, notable galicien, pressurait les paysans sans vergogne. Très vite la jeune femme se révèle froide, inflexible. Apparemment dénuée d'élans sentimentaux, elle n'a qu'une passion : les ducats ! Elle songe aussi à devenir actrice. " Le monde est un théâtre, proclame-t-elle, et j'ai toutes les facilités pour y jouer très bien mon rôle. " Sa jeunesse et sa beauté lui servent d'abord à faire, en manoeuvrant, un mariage d'argent : elle épouse le baron Bromirski - se réservant toutefois le plaisir de garder à ses pieds un amant, Maryan Janowski. Car Warwara aspire aussi à une certaine forme d'amour. mais toujours " avec avidité ". Elle cherche à dominer, enchaîner son amant. Devenue veuve, elle en vient d'ailleurs à acheter littéralement Maryan à sa propre épouse, contre argent, par contrat. Quand Maryan disparaît à son tour, la passion de Warwara pour l'or tourne peu à peu à la folie. Elle laisse péricliter ses domaines, enferme son argent dans ses coffres. Au soir de son existence, tombant elle-même sous la coupe d'une servante intéressée qui rêve d'hériter, Warwara fait un ultime pied de nez à l'humanité : elle lègue toute sa fortune à son petit chien.
Je veux être maltraité et trahi par la femme que j'aime. Plus elle sera cruelle, mieux cela vaudra. C'est aussi une jouissance.
Sans doute, La Vénus à la fourrure est-elle l'une des premières oeuvres marquantes de la littérature du XIXe siècle ; dans une certaine lignée avec le roman courtois, elle s'attache à décrire de manière précise, et sans concession, une relation amoureuse, sensuelle et érotique, entre un homme et une femme, sous la forme d'un esclavage librement consenti et dont les clauses sont celles d'un contrat.