« Avec des mots implacables, l'écrivaine s'adresse à une mère qui n'existe peut-être pas. Et raconte avec force l'exil, les ruptures, la soumission amoureuse... ».
Télérama.
Une femme s'adresse à sa mère. Sa mère qui vient de mourir, sa mère qui répétait, les derniers mois de sa vie, comme un refrain de liberté : Je ne répondrai plus jamais de rien. Quelles raisons, quels mystères justifiaient cette phrase obstinée ? Linda Lê explore les rapports qui lient une mère et sa fille, abandonnées par un « mari » qui a refusé d'être un « père ». Cet homme n'a jamais renoncé à son amante, additionnant le mensonge à l'esquive ou la tricherie. Comment répondre à la rivalité ? Comment ne pas céder à la mélancolie destructrice, relever le défi, refuser la défaite ?
Née au Vietnam en 1963, Linda Lê est l'auteur d'une importante oeuvre littéraire essentiellement publiée chez Christian Bourgois, dont Lame de fond (finaliste du prix Goncourt 2012), À l'enfant que je n'aurai pas (prix Renaudot du poche 2011), (Cronos prix Wepler 2010).
Linda Lê, auteur d'une oeuvre récompensée par de nombreux prix, est décédée en mai 2022. Ce livre constitue un hommage à son oeuvre en recueillant les articles qu'elle a écrit pour le site En attendant Nadeau.
On connaît l'écrivain Linda Lê, romancière et essayiste saluée par la presse, accueillie par la librairie, couronnée par les jurys, célébrée par le public. Son immense et singulier talent fait que son oeuvre discrète et forte traversera le temps.
On sait moins que Linda Lê fut aussi une lectrice passionnée, une critique remarquable et une fantastique éveilleuse à ce que signifie l'amour du texte. Mais aussi la rigueur de la langue, l'ascèse de l'écriture, le métier de littérature.
Nous faisant découvrir ses auteurs d'élection à travers les diverses chroniques qu'elle a livrées, dont celles qui sont ici rassemblées pour la première fois, Linda Lê, si secrète, se dévoile un peu elle même comme en un miroir. Mais celui qu'à son tour elle nous tend est bien l'apprentissage, à sa suite, de la lecture en tant qu'expérience existentielle.
Un recueil qui, à sa manière, dit que la vie l'emporte sur la mort.
Née à Ðà L?t en 1963, arrivée du Vietnam en France en 1977, décédée à Paris en 2022, Linda Lê publia son premier livre en 1986. Son oeuvre, où se succédèrent les romans, les nouvelles et les essais, compte près de trente titres qui, traduits dans de nombreuses langues, lui valurent le Prix de la vocation, le Prix Renaissance, le Prix Fénéon, le Prix Wepler, la Bourse Cioran, le Prix Renaudot du livre de poche et le Prix Prince Pierre de Monaco. En 2021, elle avait grandement honoré les Éditions du Cerf en publiant, dans la collection " Les Sept péchés capitaux ", Toutes les colères du monde.
Enterré au cimetière de Bobigny, Van monologue depuis son cercueil. Il a laissé derrière lui les trois femmes de sa vie. Lou, son épouse un peu banale, trop jalouse, qui l'a renversé en voiture. Laure, sa rebelle de fille qui sèche les cours et fume des joints. Ulma, sa fascinante demi-soeur avec qui il a entretenu une relation incestueuse. Tour à tour, les membres de ce quatuor bien cabossé font leur examen de conscience : des récits portés par l'amour, qu'il soit familial, conjugal ou passionnel.
« L'un et l'autre rappelaient aux oublieux ce que le XXe siècle avait de fascinant et de monstrueux. Aller à leur rencontre c'est découvrir les deux visages de l'entre-deux-guerres, qui vit l'avènement des dictatures de tous bords. Le premier, Hô Chi Minh, avait un parcours qui épousait un siècle de guerres. Il avait été l'homme de Dien Bien Phu, le résistant contre l'armée française, puis contre les GI. Le second, Ossip Mandelstam, assassiné par les sbires de Staline, fut un martyr des purges qui virent la mort de millions de Russes. Qui se souvient de Dien Bien Phu comme de la Colline des anges ? De la présence française comme de l'occupation américaine ?
Mandelstam reste un des plus grands poètes du XXe siècle. Hô Chi Minh s'est essayé à la poésie, ses vers décrivent la réalité d'un prisonnier anticolonialiste, ils montrent un homme de culture, plein d'appétence livresque.
La voix de Hô Chi Minh est un ordre renvoyé par mille porte-voix, celle de Mandelstam un cri répété par mille sentinelles. ».
Ecrivaine de l'intime, Linda Lê restitue une histoire oubliée : celle de deux géants du 20e siècle qui se sont rencontrés en 1923 à Moscou. L'un est le poète Ossip Mandelstam, l'autre deviendra l'inventeur d'une révolution, défenseur de l'anticolonialisme, Hô Chi Minh.
Ils ont toute leur existence « écouté le bruit du temps », comme l'écrit Ossip Mandelstam qui observe le « tact inné » de Hô Chi Minh. Leurs destins ont été bien différents, mais ils ont été des résistants, incompris, persécutés, broyés par la fureur de ce siècle politique. Linda Lê dit les rêves d'un monde meilleur, le fracas de la désillusion face à l'émergence du totalitarisme, dans un récit littéraire qui éclaire notre présent.
De personne je ne fus le contemporain nous ouvre les yeux sur ces deux destins, singuliers et universels, et nous saisit par son écriture.
Quel rapport y a-t-il entre Bruno Schulz et Joë Bousquet, Ida Lupino et un voyage chez les fous en compagnie de Wang Bing, la sirène Ondine et les premiers films de Sharunas Bartas, les duos de soeurs et un roman sur la guerre du Vietnam, les lettres de Rainer Maria Rilke sur la nécessité de se mettre sans cesse en danger quand on prétend créer et la fameuse « Lettre à un ami lointain » de Cioran, la philosophe Maria Zambrano qui se définissait comme une éternelle étrangère et les « veilleurs de nuit, de jour et de rêve » chez Stanislas Rodanski ? Aucun rapport, sans doute, sinon que ce sont, à travers l'évocation de ces figures ou de ces singularités, autant de tentatives d'élucider le mystère des passants qui choisissent l'ombre, se dissimulent dans l'ombre, ont été rejetés dans l'ombre, autant de tentatives aussi de faire parler la bouche d'ombre, de permettre à la part obscure d'entonner l'éloge de ce qui chante dans les ténèbres. Il y a une griserie à se projeter en pleine lumière, mais il y a peut-être une ivresse plus grande pour les artistes présents dans ces pages à se tenir en retrait et à être les habitants de cette « Nuit obscure » tant vantée par saint Jean de la Croix : ceux-là savent que c'est dans les zones d'ombre, si riches de contradictions, de paradoxes, de questionnements, que naissent les intuitions les plus fécondes.
Un étudiant lecteur de Kafka engage une correspondance avec une photographe après avoir vu, dans une galerie des bords du Léman, un de ses clichés où elle a capté l'image d'une célèbre chanteuse vietnamienne exilée aux États-Unis puis à Paris. Elle a fait partie des « fuyards » qui s'étaient sauvés à l'étranger juste avant la capitulation de Saigon, la capitale du Sud-Vietnam, le 30 avril 1975, devant les troupes communistes du Nord.
L'étudiant et la photographe, tous deux nés en Europe de parents vietnamiens qui avaient émigré en France et en Suisse, vont, sans s'être jamais rencontrés, enquêter ensemble sur la fameuse chanteuse, connue aussi bien pour ses ritournelles sentimentales que pour son avidité et ses amours scandaleuses.
L'art, l'amour, la guerre, la révolution, l'exil : les deux enquêteurs, sans s'avouer qu'ils sont de plus en plus attirés l'un par l'autre alors qu'ils ne se sont jamais vus, vont se découvrir et découvrir qu'ils sont peut-être en train d'écrire ensemble le livre des fuites, le livre des doubles, le roman de toutes les nostalgies mais aussi de toutes les résistances, manière d'offrir une consolation à ceux-là, ou plutôt celles-là, qui rêvent d'une impossible réconciliation avec l'« amère patrie », d'un impossible retour vers ce qu'elles n'appelleraient pas le paradis perdu mais qui, dans leur imaginaire, est quand même le lieu où auraient pu se réparer les déchirures.
Les sept péchés capitaux, ce n'est pas seulement de la théologie, c'est aussi de la littérature. Il fallait Linda Lê, l'autrice de Lame de fond, pour nous raconter la vérité et la folie du courroux.
«À côté des bilieux qu'il faudrait seulement purger de leur humeur acariâtre, il serait instructif de placer ces tragiques figures d'une colère impuissante face à Dieu (ou à son absence), face à ce qui est perçu comme une injustice, comme une atteinte à leur liberté, leur intégrité quand elles subissent les coups de boutoir de la réalité : ces guerriers n'écrivent, ne vivent, ne s'exposent qu'à seule fin de se dresser contre ce qui les meurtrit ou les indigne.»
Sola a changé la vie du narrateur.
Elle écrit des romans et comme dans ses romans, un ange noir plane sur le frais bonheur qu'ils vivent. thomas, le frère ennemi du narrateur, s'immisce entre les deux amants. le duo devient triangle. sola ne choisira jamais entre les deux hommes : un matin de printemps, elle renonce pour de bon, ne laissant pour explication qu'un mystérieux manuscrit.
Elles sont trois, réunies un dimanche après-midi dans une cuisine pleine d'odeurs alléchantes. Elles sont trois, comme les filles du roi Lear. Comme les trois régions du Viêt-nam. Comme les trois Parques qui dévident, nouent, tranchent le fil de la destinée. Elles sont trois, comme les Tristesses penchées sur le lit de Thomas de Quincey : la plus âgée, la Madone des Larmes, porte à la ceinture des clefs avec lesquelles elle ouvre toutes les maisons, pénètre dans les chambres, où elle divague, gémit, tempête contre le Ciel, réclame d'être aimée ; la seconde, la Soeur des Soupirs, ne se révolte plus - elle a jeté ses clefs, elle visite les parias et les vagabonds, elle se glisse auprès d'eux, les yeux baissés ; la plus jeune soeur, elle, pose sur le monde un regard de tigre, elle n'a pas de clef - " quand il lui est permis d'aprocher une porte, elle s'en empare d'assaut et l'enfonce ". La première nourrit de larmes l'inconsolé, la seconde donne le baiser au proscrit, que la troisième reçoit contre son sein pour le perdre à jamais.
Il s'agit d'un roman de haine entre une mère monstrueuse et un fils philosophe avorton. Cramponné à son fauteuil de paralytique, le jeune homme décrit sa mère et toute une série de personnages grimaçants. " Il y a là la Mandragore qui s'ennuie à crever avec ses amies les rombières, les "lapeuses de thé", et qui passe ses nerfs sur son fils et lui reproche de ne pas l'aimer. Il y a son amie Mildred, hystérique comme elle, mais qui a réussi à ce que son fils, bonasse, reste à ses côtés pour l'entendre se plaindre. Il y a encore le vieux Ragot qui a trouvé en Mortesaison une compagnie, avant que celle-ci ne fuie et n'entre à l'agence Maya. Là, elle écrit des simulacres d'articles de presse élogieux aux oubliés de la gloire qui, voluptueusement, se contemplent dans ce miroir factice, comme Mildred, du temps où elle était (si elle l'a jamais été) "l'adulée".
Toute littérature, disait Roberto Bolaño, porte en elle l'exil, peu importe si l'écrivain a dû prendre le large à vingt ans ou s'il n'a jamais bougé de chez lui. Cet essai revient sur ces agents de la subversion que sont certains écrivains « hors la loi », contraints de prendre la route de l'exil, où ils deviennent des proscrits. Partant d'une réflexion sur la figure de l'étranger, toujours suspecté d'être un fauteur de rébellions et un semeur de division, Linda Lê nous invite à pénétrer dans l'univers de quelques-uns de ceux qui ont fait oeuvre extraterritoriale, qui ont été des exilés toujours en quête et qui, comme Klaus Mann, se définissaient comme les pionniers d'une civilisation universelle. Ces artistes, dont Segalen aurait dit qu'ils savent à quel point c'est par la Différence et dans le Divers que s'exalte l'existence, sont parfois étrangers dans leur propre pays. À côté d'un Gombrowicz qui a connu l'exil argentin, d'un Cioran ou d'un Benjamin Fondane qui non seulement ont quitté leur pays mais ont changé de langue, il y a tous ces exilés de l'intérieur qui ont toujours vécu une forme d'exil transcendantal. Cet essai rend hommage à ceux-là, qui ont été déplacés, transplantés, ou qui tout simplement ont fait sécession, devenant, comme Roger Laporte, Jean Améry ou Alejandra Pizarnik, entre autres, des créateurs hétérodoxes, dont l'oeuvre naît d'une dissidence envers la vie.
Stevenson disait de l'artiste qu'il est fils de joie, comme il est des filles de joie.
C'est une définition qu'on appliquerait volontiers au lecteur, s'il sait reconnaître ce qu'il attend et, en lisant, parler avec son double intime, ce frère secret que chaque livre révèle en soi. Fils de joie, il écoutera le choeur pathétique des hommes comme un épithalame, il ira là où il est étranger, là, disait Ungaretti, " où ce n'est pas un péché, un sacrilège d'être curieux de soi dans les choses qu'on aime ".
Linda Lê est née en 1963. Elle habite Paris. Depuis Dalat, sa ville natale du Viêt-nam, jusqu'à Paris, il y a eu de nombreuses étapes : Saïgon d'abord et ses études au lycée français, puis après la chute de Saïgon, son rapatriement en France avec sa mère française et sa soeur. Après trois livres parus lorsqu'elle était très jeune, elle a publié Les Evangiles du crime dont une presse unanime a salué l'originalité exceptionnelle. En 1993, Christian Bourgois a édité son cinquième livre, le roman Calomnies (traduit et publié aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et au Portugal) puis en 1995, Les dits d'un idiot. Les Trois Parques et Voix ont paru chez Christian Bourgois Editeur en 1998, Lettre morte en
1999, Personne en 2003 et Kriss/L'homme de Porlock en 2004.
Reeves C. est retrouvé mort dans un hôtel. Il voulait être écrivain. Il ne fut que le mari d'une romancière célèbre. Il lui disait : « Il ne faut pas aimer son double, car c'est un amour qui naît d'un oubli momentané de la haine qu'on a pour soi. » Le Professeur T. s'est pendu dans la cave de son immeuble. Son seul ami, c'était « Plus-dure-sera-lachute ». Avant de mourir, le Professeur T. avait écrit dans son journal : « Chacun porte en soi un frère assassiné, il faut vivre en le ménageant. » Dans la nuit du 14 août 1990, une femme, gantée de blanc, se jette du hait d'un immeuble de La Défense. Elle s'appelait Klara W. Dans son agenda, elle avait noté ce bref dialogue extrait d'un film : « -ne vous en faites pas, je m'en vais. - Où ? - En moi-même. » Vinh L. se prépare à rentrer dans son pays. Auparavant, il écrit dix lettres, dans lesquelles il raconte son histoire : pour survivre, il a mangé de la chair humaine. Longtemps, il s'est tu. Maintenant, il parle. « Le crime, dit-il, ressemble à l'amour : tant que les sentiments sont sincères, ils s'entourent de silence. On se met à jacasser quand l'émotion est morte. »
À Zaroffcity, le pouvoir est détenu par deux absolutistes : le Grand Guide, intronisé après un coup d'Etat, et son ministre de l'Intérieur, Karaci, surnommé la Hyène par des habitants qui vivent sous le régime de la terreur.
Alors que les exactions se multiplient, alors que les opportunistes se rangent sous la bannière des nouveaux dirigeants, s'élève une voix, celle d'Una, fille d'un ancien astronome devenu sénile, qui a dû le sauver en acceptant d'épouser Karaci. Soeur d'un comédien exilé, elle lui écrit en secret des lettres sur sa solitude de captive, exprimant son amertume, ses indignations, ses rancoeurs, mais aussi son amour pour son vieux père, pour un gamin des rues venu, malgré les dangers, lui apporter une consolation, pour un insurgé, auteur de pamphlets subversifs. Peu à peu, une métamorphose s'opère en elle : d'abord résignée, elle rejoint les opposants et se mue en conspiratrice au moment où elle apprend qu'elle va être mère. Fable politique, tragédie mettant en scène les excès d'une dictature, les compromissions des arrivistes, la corruption par l'argent et le musellement des rébellions, Cronos est aussi le chant d'amour d'une Antigone, résolue au sacrifice.
Ecrire, c'est aussi reconnaître sa dette d'amour envers ceux que rené char appelle les alliés substantiels, c'est lire des épitaphes cryptées, aborder des îlots de solitude, déserter l'ici et maintenant en glissant sur des luges de nuit pour gagner les frontières de l'invisible avec comme guides des émissaires de l'autre côté.
Ces pages, roman d'une lectrice, sont des hommages aux maquisards qui ont fait oeuvre délictueuse, s'assignant le but de renverser les normes, de lancer des brûlots au flanc de l'académisme, d'exorciser les peurs et de proposer au lecteur un voyage oú il se débarrassera de sa pusillanimité, de ses préjugés, et se laissera emporter par une bourrasque vers des territoires inconnus.
La mise au jour d'une fiction n'équivaut pas à l'éclosion en soi d'un germe de vie.
Un jeune homme s'adresse à une femme aimée.
Lui a manqué son suicide et vit depuis dans l'obscurité que lui renvoie ses yeux aveugles. elle, c'est vega, sa lectrice devenue son amante. la souffrance fut longtemps le lot de ces deux écorchés vifs dont les déchirements d'un désastre familial pour l'un, la violence d'un père pour l'autre, massacrèrent l'enfance. mais aujourd'hui, l'aube se lève enfin sur leurs vies. on retrouve ici les thèmes qui ont fait la matière des romans de linda lê, la folie, la culpabilité, l'enfermement dans la solitude, la mort.
Mais se dégage aussi de ces aubes une incroyable sensualité et la grâce incantatoire d'une écriture qui vient littéralement illuminer le destin des personnages.
Ce livre est tissé de plusieurs livres.
Celui qu'écrit l'auteur, entraîné par son personnage. Lequel s'appelle Personne, et est présenté comme un personnage rétif. Celui qu'a écrit Tima, et qui est constitué de carnets. Personne a découvert ces carnets et les retranscrit. Tima y évoque un séjour à Prague qui l'a rendue à elle-même, et les salles du Musée où elle veille sur les gisants. Quelques autres personnages surgissent : Katimini la détective, Falmer le collecteur de rebuts, Ebua l'imprimeur.
Deux histoires évoluent en parallèle, et l'enquête autour de Personne, comme celle autour de Tima, s'entrecroisent. Et finalement, on s'aperçoit que le livre que nous lisons est celui que Personne, au premier chapitre, décide d'écrire.
Ce livre est l'aboutissement des deux qui avaient précédé : Les Trois Parques et Voix. La folie et la mort sont les thèmes obsédants de la trilogie. Ici, la narratrice, dans un long monologue, parle à un interlocuteur muet, Sirius, et revit ce qui l'a terrassée pendant les dernières années : la mort du père et la mort d'un amour. Le père est mort seul dans son pays lointain, jamais nommé. Et l'homme pour qui la narratrice a nourri une passion violente se révèle un amant cynique, désinvolte, médiocre. " Les morts ne nous lâchent pas ", dit la première phrase du livre. Le père mort revient hanter sa fille, à travers les lettres qu'il a envoyées pendant les vingt années de séparation. Elle lit, relit les lettres et s'accuse d'avoir abandonné son père, de l'avoir laissé mourir seul.
Livre du deuil impossible, chant d'amour au père et chant de désespoir amoureux, c'est aussi le livre de la vie renaissante à l'aube qui se lève au bout de la nuit souffrante.
« De quoi souffres-tu ?
De l'irréel intact dans le réel dévasté ».
Ces mots de René Char auraient pu servir d'exergue à ce livre des nuits, de la déraison et des passions qui exilent : une femme vient d'échapper à la mort, elle part à la recherche de cet Autre qui lui tiendrait lieu de frère de substitution, de jumeau perdu et retrouvé, de double sublimé. Elle le découvrira peut-être en la personne d'un inconnu nommé Roman.
" Je me suis assise sur le banc d'un long corridor éclairé par des néons.
Je ne sais pas où je suis. Dans un centre de crise, comme on m'a dit, ou dans un théâtre avec des comédiens qui jouent leur partie et m'enrôlent en me laissant le choix des répliques. Près de moi, une femme au chapeau, un chapeau d'homme à bord rabaissé de dessous lequel jaillissent de belles boucles noires, passe la main sur son ventre, gémit. J'ai faim, puis répétant le même geste. Mon bébé, mon chéri, où es-tu ? Elle porte une longue jupe noire fendue, un gilet beige, des tennis roses maculées, et fume des cigarettes légères.
Elle se lève, déambule dans le corridor, revient vers moi. J'ai envie de t'assassiner. Elle se rassied, se serre contre moi, tremble de tout son corps. J'ai peur. On est en prison ici. On devient fou... "
Appartenant à la constellation des martyrs russes comme Maiakovsky, Pasternak, Blok et Essenine, Marina Tsvetaïeva ressent profondément un malaise identique à celui de ses frères en poésie. Elle refuse de se plier à la loi, à la politique, à un bonheur triste et résigné. Sa mort même (exilée volontaire, elle se pend le 31 août 1941 en Tartarie, où le lieu précis de sa sépulture n'est pas identifié) constitue une énigme et une provocation face aux limites dogmatiques imposées par l'Etat.Linda Lê avec à la fois distance et sensibilité nous fait approcher l'expérience paroxystique de la douleur propre à Tsvetaïeva.Elle nous fait entendre ses vers où ressurgissent nos propres douleurs. Parce qu'il faut avoir vécu l'insupportable et entrevu la mort pour ressusciter la lumière.
Ylane et Ivan sortent à peine de l'adolescence. Ils se cherchent une identité qui leur échappe. Ils ont en commun une inaptitude à vivre. Leur rencontre a lieu à l'hôpital psychiatrique, au pavillon Benjamin Ball. Leur amour est un arbre incandescent. Mais bientôt, la réalité, avec ce qu'elle comporte de brutal, les sépare. Conte de l'amour bifrons est un roman qui dit la désespérance
d'une passion perdue et la quête d'un absolu qui se trouve hors de la portée des protagonistes.
C'est une histoire d'amour fou. C'est une évocation du possible qui sommeille en chacun. C'est un livre qui tend vers une fusion mystique.