«Partout le chaos règne, mais ne vous en souciez pas, continuez d'écrire. Ce sont les paroles de mon éditeur. Je lui réponds que j'essaie, que je viens même de terminer un court texte, un récit plus ou moins tragique, une histoire saisissante, je crois.»
«J'avais vu juste, elle n'a personne dans sa vie actuellement. De son côté, elle sait que je suis séparé. Elle a été mariée, a divorcé, n'a pas d'enfants. Elle sort peu, mais elle aime aller au restaurant. Parler sans fin en mangeant est également un de mes grands plaisirs.»
«Parler avec toi, être à côté de toi, me semble une expérience surhumaine, et pour ainsi dire divine.»
Le roman Ozu est inspiré de la vie du cinéaste japonais Yasujirô Ozu (1903-1963), qui a réalisé plus de cinquante films, dont les célèbres Voyage à Tokyo (1953) et Le goût du saké (1962). Cinéaste de l'intime, du couple, de la famille, mais aussi de l'amitié, dans un Japon d'après-guerre tiraillé entre modernité et tradition, Ozu fascine par la perfection formelle de ses films et le jeu retenu de ses acteurs. Ses films n'ont été découverts en France qu'au début des années 1980 !
La vie d'Ozu est inséparable du cinéma auquel il se consacrera corps et âme. La littérature, la musique, la peinture compteront également pour lui. Et le saké, qui l'accompagnera sa vie durant.
Travail, drames et succès, amours et ivresse... Marc Pautrel réinvente fidèlement la vie étonnante d'Ozu dans un roman limpide et habilement construit, plein de tendresse, de surprises, de cinéma, de vie, où le portrait, les situations, le décor - Tokyo, Kyoto, Tateshina, Kamakura, ville ou montagne -, les aléas, les retournements, tout s'enchâsse naturellement. Fluidité d'un récit qu'on ne lâchera plus jusqu'à la fin, une fin qui n'en est pas vraiment une.
«Son heure semble arrivée. Soudain la mort surgit au loin, elle fond sur lui au galop, elle l'atteindra bientôt. C'est une charge de cavalerie qui remonte toute la rue. Manet a voulu voir les émeutes de trop près. Ne t'approche pas des troubles, lui avait pourtant dit son père, mais il a dix-neuf ans, il est un jeune chien fou, il veut toucher les choses du doigt, sentir la colère populaire contre le coup d'État, les manifestations, les cris, les pillages, les barricades en flammes.»Révélation : Édouard Manet (1832-1883) ne serait pas seulement le peintre inventeur de la modernité, il aurait aussi créé dans ses tableaux des centaines d'hommes et de femmes parfaitement vivants et dépositaires d'un grand secret sur eux-mêmes.
«Il regarde la grande roue tourner et donner un sens à l'eau, il a la bizarre sensation qu'il est lui-même devenu à la fois la roue et l'eau, comme le fruit d'une inéluctable union, il est en même temps l'artisan et l'outil. Parce que ses questions sont immenses et que toujours il voudra découvrir le lieu où vont se cacher les morts, ses découvertes elles aussi sont devenues immenses.»
«Chardin sait que la révolution se prépare, à Paris et dans le reste du pays, tout va basculer, c'est inévitable, les encyclopédistes vont triompher, le futur est en marche, la guerre du Vrai contre le Faux ne fait que commencer. Ses piètres collègues nouvellement acclamés, les peintres historiques, exposent partout dans les salons leurs grandes toiles néoclassiques, didactiques et poussives ? Soit : il leur oppose ses études de têtes au pastel, le portrait de jeunes enfants, un par un, heureux et très sûrs d'eux, pas du tout inquiets, ou également, maintenant, son propre portrait, l'étude de tête de Monsieur Jean-Siméon Chardin réalisée par lui-même.»
C'est un homme trop doué pour son espace de vie, né au pied d'un immense château fort au coeur d'une petite ville, et qui subit sans plainte année après année les mauvais coups du sort. Mais il ne cède pas à la colère, il refuse cette guerre que lui font les fantômes. Avec sa femme, il part habiter aux portes de la ville : il construit face à la forêt et s'entoure de secrets. Il marche dans la ville, il parle à tous ceux qu'il rencontre, il regarde, il écoute, il parle encore, il entretient sa mémoire, il garde le souvenir des lieux et de leurs habitants, il les connaît tous et il n'oublie jamais rien. Il se cache dans la forêt et envie ces milliers d'arbres qui soutiennent le ciel.
«Elle veut cacher ses larmes mais elle n'y parvient pas. Quand il lui dit qu'il n'aura pas le temps, que son travail l'absorbe trop et qu'il faudra remettre, qu'il ne pourra pas l'inviter à dîner, ce rendez-vous qu'ils s'étaient promis en riant, quand elle réalise qu'il est comme tous les autres, qu'il ne s'intéresse pas à elle, elle sent que les larmes apparaissent, c'est impossible de les retenir, rien à faire. Elle prend un air fermé puis d'un coup elle sourit.»
«Le temps est splendide, encore estival, les grands arbres, les pelouses, tout est d'un vert éclatant, vif, lumineux, euphorisant. Je marche, je la cherche autour du bâtiment, je ne la vois pas. Je croise des patients qui ont un air vraiment bizarre, qui errent seuls et me regardent avec hébétude, curiosité, agressivité peut-être. Certains sont silencieux, d'autres marmonnent tout bas, ils tournent en rond, ils marchent sans but, ils me semblent terriblement malheureux, nos regards se croisent, ils devinent que je ne suis pas des leurs. Une ou deux fois j'ai peur en les voyant qui avancent lentement dans ma direction. Aucune trace d'elle.»
On trouvera ici : une table de ping-pong, une grosse enveloppe de la NASA, un fusil, une part de flan renversée, de nombreuses heures de colle, des diapositives du Sahara, un crâne humain exhumé et brisé, plusieurs vélos, un hôpital psychiatrique, un petit carnet décrivant la planète Mars, un voyage éclair à Bruges et un autre à Venise, des pins parasols, un immense bateau et un minuscule voilier. Et aussi, sans cesse, partout sous les pieds du narrateur, des caves sombres pleines de bouteilles. Autant d'étranges souvenirs que Marc Pautrel interroge pour nous dire : « Je est un autre, je est une surprise... j'écris, je suis une surprise. » Je suis une surprise, Claudine GaléaVoix intérieures. Jeanne Bastide et Marc Pautrel mènent, chacun à sa façon, une enquête sur l'être et le non-être. Aux éditions de l'Amourier et chez In8.Sujets et objetsLucie se sent enfermée. Prisonnière d'une absence. Celle d'André, mais pas seulement. L'espace de la maison est devenu oppressant. Pour se reconnecter au monde réel, celui des sensations, elle s'allonge à même la terre. Plus tard, à la fin, elle franchira la porte, sortira. Jeanne Bastide raconte le lent réapprivoisement d'une femme par elle-même. Un silence ordinaire décrit l'histoire d'une perte qui est peut-être davantage celle du sentiment d'exister que de l'être aimé.Ce sont les objets qui prennent en charge le manque, le vertige. Il y a quelque chose de l'univers de la peinture dans ce lent et pointilleux récit d'un retour à la vie.Aux natures mortes de l'univers intérieur, s'opposent les éléments de l'extérieur, de la brume hivernale au renouveau de la lumière printanière. Jeanne Bastide prend la mesure du temps, et réussit à créer une suspension atmosphérique, entre asphyxie et reprise d'air. C'est une plongée en soi qui évite tout pathos et toute explication au mystère de la disparition. L'autre est un miroir où Lucie s'est peut-être perdue. Parfois, on frôle l'hallucination dans une sorte de syncope du verbe. Pour retrouver la continuité d'existence qui lui permettra de demeurer vivante, Lucie écrit. Une deuxième voix s'élève dans le livre, plus fluide, gaie, avec de forts accents d'oralité. Une voix de vivante, heureuse de l'être.Marc Pautrel est le sujet de son récit Je suis une surprise. Tout à lui-même - il écrit à plein temps, son temps lui appartient jusqu'à l'obsession -, la scène du Je lui est familière ! Et pourtant, écrit-il, en moi, tellement de morceaux me sont étrangers. Remontant le fil d'une existence où les déménagements successifs de ses parents le préparèrent à la solitude et au détachement dont il use avec ivresse une fois devenu adulte, l'auteur-narrateur impose l'idée d'un décollement de soi plutôt qu'un dédoublement.La collection Alter & Ego, pour laquelle il a écrit ce récit, est un écrin parfait à l'aventure en chambre de cet anti-héros. Il aurait désespérément aimé franchir les frontières de la fiction au point d'habiter le seul pays des mots,
«Un jour, elle qui n'écrit presque jamais, elle m'envoie une lettre. Je suis bloqué dans la capitale, je ne reviendrai dans sa ville que dans deux semaines, le trajet est long, et cher, nous nous sommes séparés trois mois avant, puis nous nous sommes réconciliés, mais c'est peut-être fragile, je ne sais pas. Elle me reproche de toujours dire cette phrase : Je ne sais pas. Mais le monde de l'avenir nous est inconnu, nous ne savons presque rien sur la suite.»