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Point Du Jour
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L'asile des photographies
Philippe Artières, Mathieu Pernot
- Point Du Jour
- 14 Septembre 2013
- 9782912132758
Le photographe Mathieu Pernot et l'historien Philippe Artières ont travaillé trois ans à l'hôpital psychiatrique de Picauville (Manche). Ce lieu résume toute l'histoire de la psychiatrie. Fondé en 1837 par une aristocrate philanthrope, il fut longtemps administré par des religieuses. Il témoigne, avec son haut mur d'enceinte et ses vastes dortoirs, de l'asile au XIXe siècle. Victime des bombardements de juin 1944 en Normandie, il est en partie reconstruit dans le style caractéristique de l'après-guerre. Dans les années 1970, il applique la politique de « sectorisation » selon laquelle les patients sont suivis dans de petites unités de la région ou en consultation à Picauville ; aujourd'hui, très peu d'entre eux effectuent de longs séjours sur place. Enfin, la Fondation Bon-Sauveur, gestionnaire de l'hôpital, entreprend de l'ouvrir encore davantage, en détruisant le mur d'enceinte devenu inutile et les vieux bâtiments désaffectés.
Quand Philippe Artières et Mathieu Pernot arrivent à Picauville, c'est ce lieu de mémoire stupéfiant qu'ils découvrent, mais surtout des archives exceptionnelles, notamment visuelles. À côté des dossiers médicaux et de divers documents, ils exhument des centaines d'images. Anonymes pour la plupart, celles-ci ont été réalisées par des religieuses, des infirmiers, des photographes locaux, des patients peut-être. Elles montrent l'hôpital, son fonctionnement quotidien autant que les événements festifs et les sorties à la mer. Frappés par la force de ces images, Philippe Artières et Mathieu Pernot décident d'en faire la matière même de leur travail. En écho, le photographe réalise des images des espaces et des objets tandis que l'historien raconte son expérience du lieu à travers un montage d'archives écrites.
L'Asile des photographies est à la fois ce recueil d'images oubliées et une mémoire rendue aux anonymes qui furent les sujets.
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Première monographie de Mathieu Pernot, La Traversée réunit des séries réalisées entre 1997 et 2013. La situation de groupes marginalisés y est toujours appréhendée via des formes qui tiennent du documentaire et de la mise en scène. Celles-ci détournent souvent des genres photographiques établis, du portrait d'identité au reportage d'actualité. Ainsi, ce travail critique n'engage pas simplement à dénoncer des injustices mais bien à s'interroger sur nos propres modes de représentation.
Depuis ses études à l'Ecole de la photographie d'Arles, Pernot n'a cessé de s'intéresser aux tsiganes. Une série de photomatons d'enfants suggère, sous le jeu photographique, le contrôle par l'image. Saliers, enquête sur un camp d'internement créé par Vichy, confronte des portraits de police et ceux des mêmes personnes un demi-siècle plus tard. Enfin, en Roumanie, Pernot photographie des familles devant leur maison, à la manière d'un photographe itinérant.
Le second sujet de La Traversée est l'enfermement carcéral. Les Portes forment un inventaire à l'intérieur des prisons tandis que les Hurleurs montrent des gens qui s'adressent aux détenus depuis l'extérieur en criant : leurs corps tendus sont l'image d'une violence subie comme des difficiles tentatives pour la contrecarrer.
Troisième sujet, l'habitat populaire moderne est abordé dans les séries extraites du Grand ensemble (Le Point du Jour, 2007). Des photographies d'implosions de barres sont suivis de cartes postales de ces mêmes quartiers, au temps de leur splendeur. Mathieu Pernot rapproche là deux représentations médiatiques des « banlieues », successivement porteuses de tous les espoirs et de tous les maux d'une société.
Reliant les sujet du livre, trois séries montrent, envahis par la végétation, des cours de prison désaffectées, des appartements HLM promis à la destruction et des campements clandestins désertés ; à chaque fois, des lieux de relégation dans lesquels une forme ambiguë de vie perdure. Le livre s'achève sur les images les plus récentes : les premières montrent les corps de migrants emmitouflés sous des couvertures dans la rue ; les secondes seront des portraits de Tsiganes, éclairés par une caravane en flammes.
La Traversée suggère peut-être aussi une autre perspective. Dans son texte « Sortir du gris », Georges Didi-Huberman, évoquant Baudelaire, la résume ainsi : « Un siècle et demi plus tard, le photographe de la vie moderne ne doit-il pas, lui aussi, extraire, fût-ce en noir et blanc, toute cette beauté, toute cette mémoire involontaire, toute cette énergie vivante qui a décidé - là est la nouveauté, mais elle date de Goya - de ne pas se plier à l'ordre de l'intolérable ? »