Dubuffet est resté longtemps paralysé par l'idée que l'art devait imiter l'art. Ce sont les auteurs d'Art Brut, découverts dans les années 40, qui l'ont engagé à n'accepter désormais de leçon de personne, et surtout pas d'oeuvres d'Art Brut. Non que Dubuffet se soit muré dans l'autisme. Disons que son inspiration, il l'a trouvée dans l'intimité des matières, de la terre, du gaz carbonique ou même de la radioactivité, plutôt que dans les tableaux de Van Gogh ou de Picasso. Pour cette raison, nous ne pouvions analyser cette oeuvre selon les procédures habituelles de l'histoire de l'art, c'est-à-dire par référence à la tradition et au contexte artistiques. Il fallait opérer transversalement à la discipline proprement esthétique.
La première partie de cette étude, intitulée «?Le suicide antérieur?», a un caractère documentaire et méthodologique. Elle commence par une biographie, dans laquelle nous avons inséré de nombreux témoignages directs de personnes qui ont connu Louis Soutter. Étant donné l'importance que peuvent prendre certaines déterminations psychologiques ou sociologiques en l'occurrence, nous nous sommes efforcés de rassembler le maximum de renseignements et de pratiquer le principe de non-omission, quitte à ce que certains traits paraissent insignifiants de prime abord. Nos sources biographiques sont, pour la quasi-totalité, des témoignages oraux dont nous citons les auteurs, sauf dans les cas qui exigent une certaine discrétion. Dans le deuxième chapitre de cette première partie, nous tentons une première interprétation psychologique et sociologique de ces documents, en marquant bien que, dans un cas aussi complexe, il ne saurait s'agir que de conjectures. Enfin, à travers la lecture critique des ouvrages et des textes déjà parus sur Louis Soutter, nous esquissons une vue d'ensemble de l'oeuvre et nous posons le problème de ses liaisons avec la tradition et le contexte artistiques, en ajoutant quelques considérations méthodologiques. La seconde partie, intitulée «?L'écriture du désir?», est consacrée à l'étude de l'élaboration graphique et des agents plastiques. Nous essayons de mettre en évidence l'origine psychomotrice de la ligne, les rapports de l'espace imaginaire avec celui du corps propre, la structure anagrammatique des figures, et l'analogie entre la scénographie des dessins et celle du rêve. Dans la troisième partie, «?La figure et le texte?», nous commençons par un recensement iconographique des principaux thèmes. Puis nous nous attachons à faire ressortir leur convertibilité métaphorique, ainsi que l'action sous-jacente de certains schèmes «?préfiguratifs?» qui assurent cette convertibilité. Enfin, après une analyse des rapports complexes entre les figures et les inscriptions, nous tentons de montrer que la production de Soutter dans son ensemble peut être assimilée à une écriture plastique indéfiniment expansive : son origine se perd dans les ténèbres psychophysiologiques, et elle poursuit son mouvement au-delà du dessin proprement dit dans la lecture qu'elle engage. Aussi excède-t-elle et met-elle en question les termes sur lesquels s'articule ordinairement l'analyse esthétique : l'oeuvre, l'artiste le réel.
Le XVIe siècle est anachronique. Si l'on entreprenait l'histoire de ses avatars à travers les âges, compte tenu de ses productions artistiques à effet retard, on constaterait qu'il se superpose curieusement au nôtre?; et même, qu'il nous le révèle pour en avoir été le chantier. Ainsi, l'oeuvre de Hans Holbein, virtuelle, en puissance, aura attendu notre postmodernité pour libérer son énergie symbolique. On pourrait dire d'une certaine manière que Holbein a été influencé par Andy Warhol, comme s'il avait pressenti une lecture postmoderne de ses oeuvres. Ce livre est un essai d'histoire de l'art inversée, qui substitue au déterminisme réducteur l'aimantation libératrice d'un regard futur? : le nôtre.
Ouvrage de référence sur l'Art Brut dans l'écrire, revu et complété, portant sur les documents rassemblés par Jean Dubuffet et Michel Thévoz à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. NDerrière les murs de l'asile, ou dans la solitude de leur retraite, certains proscrits de notre société s'expriment par l'écrit, secrètement et assidûment. Exclus de l'échange social, tenus pour irresponsables, ils tiennent le langage de ceux qui n'ont plus rien à perdre, et qui n'ont plus à respecter les règles de communication : langage de la rupture et de l'intensité, qui transgresse insolemment la frontière entre l'écrire et le dessiner, et qui nous révèle l'envers de notre culture.
Le cadre, cet accessoire excentrique, qui n'est ni dehors ni dedans, et qui échappe à toutes nos catégories, vient paradoxalement au centre de l'attention philosophique en raison même de son indétermination.
D'autant que, au-delà de la toile peinte, il se reconduit comme le principe régulateur de l'espace urbain, des artefacts, de l'organisation sociale et de l'ordre symbolique en général.
Les auteurs d'Art Brut, qui, par définition, ne sont pas assujettis à nos conventions culturelles, en font un usage insolite et déconstructeur, qu'il serait par trop expéditif de verser dans le registre de la pathologie.
Car, justement, de telles irrégularités nous amènent à envisager le cadre sous une incidence d'étrangeté.
Peut-être son office de protection physique et de suspension murale n'est-il qu'un alibi utilitaire au formatage idéologique dont il détermine les axes.
S'il est vrai que le pathologique éclaire le normal, on franchit en l'occurrence un seuil de réversion : c'est le cadre lui-même, dans son principe et son usage culturel, qui est susceptible d'une pathologie, sous l'éclairage de l'Art Brut.
Avec le temps, une oeuvre d'art s'éloignera fatalement du sens que, par provision, son auteur lui donne. Celui-ci, néanmoins, escompte secrètement cette méprise future comme une solution possible à son énigme. S'il est vrai que «le fondement même du discours interhumain est le malentendu» (Lacan), on devrait considérer l'art, ou la relation artistique, comme un malentendu spécialement productif, paradoxal et initiatique. Ce ne sont ni les peintres ni les regardeurs qui font les tableaux, mais la conjugaison de l'inconscience des uns et des bévues des autres : ils se déchargent l'un sur l'autre de la responsabilité d'un sens qui n'en finit pas de leur échapper. Le présent ouvrage évoque quelques-unes de ces méprises en symétrie inverse, indéfiniment reconduites, et qu'on peut considérer finalement comme des «ratages réussis». Ce n'est pas le moindre intérêt de l'histoire de l'art que ces coups de théâtre qui rendent le passé lui-même imprévisible.
Tenant à la fois de l'histoire de l'art et de l'analyse des moeurs, ce livre, conçu comme une visite guidée à travers les siècles, offre avec autant de finesse que de jubilation une approche nouvelle de quelques grands noms de la peinture afin de mettre en lumière ce que l'auteur considère comme un oxymore : l'« art suisse ».
L'artiste est un individu apparemment atypique, parfois anormal ou déviant, dont pourtant la complexion psychique se trouve être du diapason de l'inconscient collectif - " un ambassadeur du monde muet ", disait Francis Ponge ; ambassadeur du futur aussi bien, sourd à la tonalité ambiante, mais sensible à des harmoniques subtiles. On ne sait quel hasard biographique l'investit du pouvoir divinatoire de jouer ses propres fantasmes comme un prélude aux temps à venir. Ainsi le troisième millénaire est-il né sous le signe de la pulsion de mort, et sous le parrainage d'artistes qui, dans leur vie comme dans leur oeuvre, ont fait vibrer la consonance du symbole et de l'absence. Le suicide, dans leur cas, n'a pas nécessairement pris la tournure brutale d'un passage à l'acte, il a trouvé son efficacité symbolique, il a même pu être différé une vie durant. En tant que processus de disparition visible ou intelligible, il prend un sens qui excède la sphère personnelle, illustrant ce paradoxe de Kafka : " Loin, loin de toi se déroule l'histoire mondiale, l'histoire mondiale de ton âme ". C'est la vérité de notre temps qui transparaît dans l'oeuvre de ces êtres métaphoriques qu'on peut qualifier de suicideurs plutôt que de suicidés.
« La Merveilleuse encyclopédie brute de François Jauvion » Michel Thévoz Le premier volume du panthéon de l'art brut, singulier et inclassable de François Jauvion : 97 planches minutieusement dessinées au crayon feutre noir et colorées à l'aquarelle, faisant chacune le portrait de l'un de ces maîtres, ou de ses congénères actuels. D'Aloïse à Michel Nedjar d'Henry Darger, Gaston Chaissac à Niki de Saint Phalle, mais aussi de Catherine Ursin à Pétra Werlé, de Gotlib à Di Rosa, l'artiste a réuni ici ses héros, issus indifféremment de l'art brut, de l'art singulier, de la bande dessinée ou de l'art contemporain. Tel un enlumineur médiéval propulsé au 21e siècle, François Jauvion, artiste plasticien polymorphe, imagine depuis 4 ans les portraits de ces artistes. Épinglés ainsi, tels des papillons, chacun se donne à voir d'une manière inédite, spectaculaire, intime.
Nous avons coutume d'envisager la production académique comme une « peinture à sujets », idéologique par son contenu, transparente quant à sa forme. Il est vrai qu'elle affecte une exactitude photographique. Mais la photographie ne s'est-elle pas réglée d'emblée sur des normes académiques de représentation ? Pour prévenir toute pétition de principe sur une objectivité décidément introuvable, il convient de renverser la perspective, et d'envisager l'« effet de réel » lui-même comme le grand fantasme idéologique de notre culture. Rien n'échappe à l'impérialisme de la visibilité spéculaire. Ainsi, on parle de peinture « littéraire » à propos de l'académisme, dans le temps même où des analyses sémiologiques établissent que le code de référence de la littérature réaliste est toujours pictural. Cette présomption mutuelle d'objectivité que les arts plastiques et la littérature s'offrent tautologiquement procède effectivement d'un système de récurrence généralisée constitutif du mirage réaliste. La peinture académique peut être alors interrogée comme le paradigme grossissant de ce dispositif spéculaire - ce que tente ce livre, à propos du peintre Charles Gleyre. Son tableau Les illusions perdues, mettant en scène les rêveries d'un poète aveugle, a bouleversé le public du Salon de 1843. La cécité hystérique de Gleyre lui-même, dont les tableaux apparaissent comme autant de fantasmes substitutifs, traduit électivement ce qu'avec Sartre on pourrait appeler une « névrose objective ».
La réimpression de ce livre, épuisé de puis plus de 10 ans, est liée à l'exposition sur Charles Gleyre qui se tiendra au musée d'Orsay du 30 novembre 2015 au 13 mars 2016. Vous trouverez au verso le texte de présentation de cette exposition.
«Comme Michel Foucault l'a montré, la folie n'est pas un fait de nature, elle ne se déclare pas comme un rhumatisme ou une infection ; c'est un phénomène de culture : elle varie dans sa définition même et dans son extension selon le contexte social, politique, idéologique, familial, etc. Elle relève donc moins de la médecine que de l'histoire, de l'ethnologie ou de l'anthropologie.» Nouvelle édition, revue et augmentée d'une préface inédite de l'auteur.
En dépit de l'absence de vestiges (les plus anciens tatouages conservés de corps momifiés datent de 3000 ans avant J.-C.), plusieurs indices semblent accréditer l'idée que l'homme a pris son propre corps pour premier support de la peinture. Malgré la richesse et l'extraordinaire variété des décorations corporelles dans toutes les sociétés dites «primitives», il est possible de déterminer certaines fonctions générales nettement distinctes?: Les peintures corporelles, qui ont un caractère éphémère, et qui sont associées à des fêtes, des cérémonies, des pratiques magiques. Elles nous font pénétrer dans le domaine du sacré, c'est-à-dire de la transgression rituelle des tabous. Aussi manifestent-elles des dispositions psychiques qui, dans la culture occidentale, sont réprimées ou affectées d'un caractère psychotique. Les marques les plus durables, par tatouage ou scarification, qui équivalent à une inscription sur le corps de l'ordre culturel de la communauté et de la situation sociale des individus. Avec l'invention de l'écriture et la constitution des États, l'inscription est transférée du corps des individus à une peau plus anonyme?: le parchemin. Le corps, pour être désormais intact, n'en est pas moins l'objet de retouches visant à l'assujettir à sa propre image: cosmétique, maquillage et opérations esthétiques de toute nature. La séduction joue sur la limite entre l'occultation et l'aveu de ces artifices. Cependant, la marque corporelle est délibérément assumée dans certains domaines marginaux?: le tatouage des forçats, des aventuriers, des prostituées, le maquillage des acteurs et des clowns, le grimage des enfants, etc. L'évolution de la. peinture moderne peut être interprétée comme la réactivation anti-illusionniste de l'épiderme de la toile. De fait, au terme de cette évolution, le corps est à nouveau assumé dans sa fonction de support originel de la peinture, notamment dans les mouvements du Body Art et du Transvestisme.
Sauter du coq à l'âne, en obéissant au cours réel de la pensée, ou au tout-venant d'une conversation de bistrot, plutôt qu'au protocole de la dissertation, c'est le propos de ce livre, bavard et imprévisible, contrariant et provoquant, pessimiste et hilarant.
On y envisage la politique d'un point de vue esthétique, la religion sous son aspect économique, l'éthique sous l'angle people, le crime dans sa relation à la sexualité, ou l'inverse, en piétinant allègrement les plates-bandes disciplinaires. l'heure d'hiveroe ce pourrait être aussi bien l'effet de serre, qui fait fondre les glaciers, qui déprime la météo, qui brouille les cycles naturels, et qui éteint l'imagination.
Nous suppléons à l'indistinction généralisée par le décalage horaire. plutôt que d'admettre que nous avons raté un ultime rendez-vous avec l'histoire et l'environnement planétaire, nous déréglons notre montre, nous décalons le temps, l'espace, le réel, pour simuler la vie. autrement dit, l'heure d'hiver désigne plus généralement l'hibernation mentale, l'engourdissement massmédiatique, la stérilisation artistique, bref, l'esprit du temps.
Culturellement, nous entrons seulement dans l'ère jurassique que nous avions cru pouvoir antidater dans la préhistoire. a l'heure d'hiver, c'est-à-dire de coma anthropologique, il ne nous reste plus qu'à conserver pieusement ce qui reste, à aménager notre planète en musée de ce que fut l'humanité, et à en rire si c'est possible
Épuisé