En France, le jeu de séduction réciproque galant développé à la Cour dès le règne de François Ier définit l'homme comme séducteur, actif, au contraire de la femme séduisante, passive, créant lentement pour les privilégiés une illusion d'harmonie relative entre les sexes. Paris, reine du monde érotisée, produit en contrepoint les conditions nouvelles d'une séduction féminine capitale, longtemps diabolisée sous les traits de la femme fatale opposée à l'épouse chaste et obéissante, avant de s'apaiser, depuis les années folles, à travers le mythe de la Parisienne au charme exceptionnel. Les 19e et 20e siècles connaissent pourtant subrepticement un retour en arrière misogyne, issu d'une réactivation laïque de l'antiféminisme, car pour les bourgeois triomphants le seul rôle féminin décent est, éternellement, celui de conjointe et de mère. À notre époque, le vieux modèle paternaliste basé sur la primauté multiséculaire du mariage hétérosexuel a volé en éclats. Utilisant des productions marquantes, oeuvres littéraires, films, bandes dessinées, pour repérer les théories et les pratiques, ce livre souhaite faire découvrir les extraordinaires métamorphoses de la séduction amoureuse une grande passion française constitutive de l'identité nationale.
Ce livre n'est pas une biographie supplémentaire d'Henri IV, promu au à la fin du XXe siècle idole monarchique des Français. Tentant de résoudre la plus extraordinaire énigme criminelle du temps des guerres de Religion, l'empoisonnement du prince de Condé à Saint-Jean d'Angély en 1588, Robert Muchembled a vu une piste initiale banale (cherchez la femme) bifurquer vers la responsabilité assurée d'un commanditaire dissimulé, père naturel, qui plus est, du fils posthume du prince assassiné : Henri de Navarre, futur roi de France.
C'est donc une histoire (incomplète) de la personnalité secrète du Béarnais qui est ici proposée. Si elle diffère de la mythologie traditionnelle appliquée à son souvenir, elle lui rend toute son humanité : ses qualités et ses succès vont de pair avec des traits moins glorieux, indispensables, probablement, pour survivre et triompher durant l'une des périodes les plus tragiques du passé français : dénué de scrupules moraux ou religieux, confiant (superstitieusement) en son étoile, il élimine sans pitié ceux ou celles qui le gênent ; maître de la désinformation, grand producteur de fausses nouvelles, il forge lui-même sa propre légende, dispose de l'un des plus efficaces services secrets du temps, cumule les maîtresses comme un Sultan oriental et traite durement son fils secret (héritier au trône intermittent, puis rival de Louis XIII après le régicide).
Bien qu'il véhicule des images fortes, d'ambitions effrénées, de sang, de poison, de violence, de désirs charnels, dignes de romans historiques ou policiers, le récit, chronologique, appuyé sur les documents d'époque (parfois inconnus, ou souvent mal mis en perspective) présente des faits réels et des personnages qui n'ont rien de fictif. Il invite à découvrir un exercice du pouvoir suprême plus chaotique, baroque et dramatique que celui évoqué par les manuels scolaires : en suivant les acteurs dans les coulisses, où ils ôtent un masque hiératique pour vivre pleinement leurs passions, apparaissent de nombreux mystères ; leur résolution colore de suspense la narration et rappelle que la grande Histoire (la geste des souverains et des dominants) aurait pu être profondément différente de celle qui s'est imposée.
En parfaite harmonie avec sa caste, la grande aristocratie guerrière prédatrice, le Vert-Galant impose aux filles et aux femmes nobles (aux autres aussi) une domination masculine absolue, renforcée par la croyance au pouvoir fécondant exceptionnel du « super mâle » royal (qu'il a vaillamment démontré). Bousculés depuis un demi-siècle par d'irrésistibles mutations sociales et culturelles, les nostalgiques de la grandeur nationale perdue qui encensent sa figure tutélaire ne tentent-ils pas, subrepticement, de moderniser le mythe du monopole viril du pouvoir (en particulier au sommet de l'État), inconsciemment mais puissamment relié à l'ancienne monarchie française salique et sacrée ?
À partir de la Renaissance, la dépréciation des sens et du corps bestial s'élargit à divers cercles laïques. La civilisation des moeurs décrite par Norbert Elias développe le savoirvivre, la pudeur, le refus des inconvenances. Vue et ouïe deviennent de plus en plus les sens nobles, évocateurs du divin, au contraire des sens de proximité, trop liés à l'animalité et à la sexualité.
L'odorat est le plus visé par les moralistes, car pour eux le diable est dans les déchets, les vapeurs de peste, les excréments humains, le bas du corps, féminin en particulier.
Si bien que l'autocontrôle de ces enfers, notamment de celui du nez (dont la forme et la longueur sont réputées traduire celles des organes sexuels masculins et féminins), fait l'objet de tous les discours savants, alors que les puanteurs règnent dans cet univers, surtout dans les grandes villes comme Paris ou Naples. Un mécanisme de culpabilisation multiforme invite à rejeter et à sublimer cette part puissamment animale de l'humain.
Mais il ne s'agit pas encore de faire disparaître les mauvaises odeurs. On traite en effet le mal par le mal, en chassant la peste par l'odeur encore plus épouvantable d'un bouc et en protégeant les orifices du corps et de la peau par des substances odoriférantes fortes. Les parfums, souvent d'origine animale (musc) servent à chasser le démon, mais sont aussi considérés comme des pièges sataniques. Cette ambivalence ne cesse qu'à partir du milieu du XVIIIe siècle, lorsque les parfums, de plus en plus floraux, prennent une place nouvelle dans un monde plus hédonique. Ils participent alors à un processus de sublimation en produisant une barrière olfactive contre les puanteurs externes et les odeurs corporelles.