Les concepts de Pierre Bourdieu font école tant et si bien qu'au-delà même de la sociologie critique, on les retrouve dans la littérature journalistique, dans les textes d'organisations, dans les discours politiques...
Le livre de Simon Lemoine, docteur en philosophie, professeur de lycée, veut éclairer pour un public non savant les articulations principales d'une pensée qui s'est vouée à la connaissance des mouvements de la société.
Comment les dominants dominent-ils ? La sociologie peut-elle servir à transformer les rapports de pouvoir, quelle est la puissance de la violence symbolique, qu'est-ce que l'habitus, la distinction, comment fonctionne la reproduction sociale?? Autant de questions qui animent ce «?Découvrir?» et en font une introduction essentielle à la sociologie de Bourdieu, et à la compréhension du présent.
Qu'est-ce qui dans nos vies nous amène à entretenir une participation active à notre propre asservissement ? Le talent de l'auteur est d'être à hauteur de scènes familières. A contre courant des analyses sur les résistances individuelles et collectives pour l'émancipation, Simon Lemoine propose de mettre à découvert les étayages qui participent à la fabrique du dévouement, des bancs de l'école, au travail salarié usé par les pratiques du new management enrôlant le salarié à sa propre surveillance ou à une disponibilité toujours accrue. Ainsi que le dévouement soit exploité ou simplement suscité, la perte de la libre disposition de son usage demeure bien l'expérience quotidienne d'une dépossession.
La violence de la guerre et du terrorisme fait la une des journaux et nourrit en permanence fictions et films. Brutale, intentionnelle, elle se donne à voir et fait parler d'elle. Au contraire, la micro-violence dont nous parle ce livre est imperceptible, minuscule, diffuse. Elle est dans l'« ordre des choses », « naturelle ».
La violence est dans les détails. C'est ainsi que, quotidiennement, nous endossons des rôles uniformisés sans toujours savoir ce qui nous pousse à ces conduites. Dire, ne pas dire, faire, ne pas faire, montrer de soi certaines choses, les cacher : au travail, en voiture, au supermarché, en classe, ce type de violence canalise nos conduites, sans que nous en prenions conscience.
Des exemples, appartenant à notre vie de tous les jours, illustrent le propos de l'auteur. Ils mettent à nu les mécanismes à l'oeuvre dans leur simplicité, leur pauvreté, leur répétition ; ils montrent comment nous y adhérons, comment nous acquérons le comportement exigé. Ainsi se découvre un pouvoir dispersé et profus, produisant un individu participant à son propre asservissement.
Reconnaître, expliquer et contrer la micro-violence, tel est l'objectif de cette démonstration salutaire.
Citons Surveiller et punir de Foucault : "Le pouvoir produit ; il produit du réel ; il produit des domaines d'objets et des rituels de vérité. L'individu et la connaissance qu'on peut en prendre relèvent de cette production". L'individu et le savoir que l'on élabore à son sujet sont produits par des dispositifs de pouvoir (école, usine, prison, hôpital, caserne, etc.). Le pouvoir traversant ces dispositifs étant diffus, ceux-ci gouvernent les sujets insensiblement (on parlera alors d'assujettissement dans une "microphysique" du pouvoir).
Plus précisément, c'est un réseau d'aménagements discursifs, optiques et architecturaux, qui permet de "conduire les conduites", dans un exercice du pouvoir à la fois insaisissable et profond (une "âme" est produite, nous dit Foucault). Parce que nous assistons, de nos jours, comme Foucault l'avait annoncé, à une "grande montée des dispositifs de normalisation", et parce que l'échelle du dispositif, peu étudié par la philosophie, permet d'adopter une perspective nouvelle sur la constitution du sujet, cet ouvrage entend montrer qu'il est nécessaire d'engager aujourd'hui une "philosophie des dispositifs".