Sommaire : Dominique Bourg, Crise écologique et idée de nature / André Simha, La nature au défaut du discours / Louis Ucciani, Toutes les choses du monde / Stéphane Haber, Les apories de la libération animale : Peter Singer et ses critiques / Jean-Michel Le Lannou, La fonction « Nature »
Edith Bruck, née en Hongrie en 1932 dans une famille juive, vit en Italie depuis 1954. Avec Chi ti ama così, publié en 1959 chez Lerici (Milan), réédité en 1974 chez Marsilio Editori, elle écrit son premier livre en italien, un témoignage déchirant sur sa déportation à Auschwitz, à 12 ans, avec ses parents, ses deux frères et une de ses soeurs. Elle n'est revenue qu'avec son frère aîné et sa soeur.
Edith Bruck fait le récit de la vie quotidienne de sa famille, très pauvre, en butte à l'antisémitisme dans un petit village de Hongrie et de sa déportation en mai 1944. Brutalement séparée de sa mère en arrivant à Auschwitz lors de la sélection, elle a pu rester avec sa soeur Eliz et, ensemble, elles sont allées d'un camp nazi à l'autre jusqu'à leur libération à Bergen Belsen en avril 1945. Elle insiste ensuite sur les années de l'après Shoah où devenue orpheline à 13 ans, elle tente la difficile reconstruction de sa vie. Elle fait le choix d'un récit intime où elle raconte sa vie sentimentale chaotique, commencée beaucoup trop tôt, sans repères, à la recherche éperdue d'affection. Elle décrit son retour en Hongrie où personne ne l'attend, son errance en Europe, les camps de réfugiés installés par l'AJDC. Elle raconte ensuite son voyage puis son séjour en Israël où elle n'est pas restée. À la fin du récit, elle vient juste d'avoir vingt ans et a déjà divorcé trois fois.
Edith Bruck est encore méconnue en France. Un seul de ses livres a été récemment traduit en français avec une introduction de Philippe Mesnard : Signora Auschwitz, le don de la parole, Editions Kimé, 2015 En Italie, Edith Bruck est un auteur connu et reconnu.
Ecrit par Nietzsche entre 1882 et 1885 Ainsi parlait Zarathoustra est l'une des oeuvres majeures de la littérature allemande et l'une des oeuvres majeures de l'histoire de la philosophie.
Sous une forme poétique qui en fait un chef d'oeuvre littéraire mais qui n'a pas facilité toujours l'accès à sa pensée profonde et qui a suscité bien des malentendus Nietzche y réalise une mise en place de tous les grands thèmes de sa philosophie. Il y montre que l'humanité est menacée de découragement et du pire laisser-aller du fait que s'est perdue la foi en Dieu, foi qui constituait depuis des millénaires le socle de la civilisation occidentale.
Il explique comment, pour éviter ce double danger l'homme doit se faire " surhomme ", c'est à dire remplacer Dieu dans son rôle de fondement de la morale et de toute la civilisation, et comment cette nouvelle morale et cette nouvelle civilisation impliquent une nouvelle conception du monde, une nouvelle métaphysique. Il examine enfin, sans illusion mais sans se décourager, la manière dont la civilisation contemporaine - contemporaine à Nietzsche, mais aussi contemporaine à ses lecteurs d'aujourd'hui - est en mesure d'écouter son message.
Nous serions ainsi passés dans une société de contrôle. Un nouveau monde dominé par des technologies nouvelles permettant d'inventer des manières de gouverner et d'être gouverné inédites. Ces changements radicaux impliqueraient un renouvellement total de nos catégories de pensée qui resteraient construites sur des concepts dépassés. La question politique ne serait plus celle de la loi, ni celle de la norme, mais celle de la régulation en temps réel des comportements dans une grande boucle cybernétique de rétroaction. Dit comme cela, la notion de contrôle provenant des philosophies de Deleuze et de Foucault a l'apparence d'un « mythe » politique qu'il serait urgent de déconstruire. Nous proposons ici autre chose. Ne pas céder à la séduction du « plus jamais comme avant », pas non plus à la facilité du « rien de nouveau sous le soleil », mais proposer de mettre le concept de contrôle au travail, au service d'une « analytique critique de la politique ». À partir d'une distinction conceptuelle de trois technologies politiques - la souveraineté, la discipline et le contrôle - nous montrerons comment elles s'articulent toujours dans des dispositifs de pouvoir concrets : d'enfermement, de surveillance électronique, de gestion des risques criminels et de gouvernementalité algorithmique. Dans ces configurations, notre problème n'est donc pas d'être gouvernés « au contrôle », mais d'être à la fois punis, normés et régulés. Éclectisme qui dessine un régime de domination proprement postmoderne caractérisé par la saturation et les injonctions contradictoires entre nouvelles et anciennes manières de gouverner.
A l'origine de ce livre, il y a la volonté de ne plus considérer le nazisme et la Shoah comme un phénomène absolument singulier, unique en son genre et d'une insurmontable opacité. C'est pourquoi François Jacquet-Francillon, d'une part situe le nazisme dans la longue histoire des violences collectives (et meurtrières), et d'autre part entend saisir des points communs entre l'action des militants nazis et, par exemple, les meurtres commis par les catholiques parisiens lors du « massacre de la Saint-Barthélemy » (en 1572), les diverses tueries auxquelles participèrent les foules révolutionnaires de 1789 ou 1792, l'assassinat par les « gardes rouges » de la « révolution culturelle » chinoise, à la fin des années 1960, des éléments soi-disant « révisionnistes » de la société et du Parti communiste, ou encore les attentats suicides commis ces dernières années dans de nombreux pays par les groupes jihadistes se réclamant d'un islam traditionnel des plus rigoureux. Si ce livre s'efforce de montrer que la violence nazie a de nombreux antécédents, ceci, affirme l'auteur, ne conduit pas à en nier le caractère exceptionnel et paroxystique. Quelle est alors la différence entre le nazisme et les situations dispersées dans l'histoire et la géographie qui surviennent en écho ou comme des précurseurs non génocidaires du génocide nazi ? La différence tient à ce que le nazisme a fait de la violence, toujours pratiquée sur un mode de vengeance, un système d'État durable, là où il n'y avait que des explosions sporadiques et limitées (sans parler des conflits guerriers engagés par un État à l'égard d'un autre État). François Jacquet-Francillon affirme aussi que l'abord du cas nazi exige une investigation renouvelée de la violence. Et pour donner corps à ce principe, il s'intéresse non pas aux individus violents et à leur psychologie ou leur inspiration personnelle (idéologique, etc., et... pathologique sans aucun doute) mais avant tout aux collectifs humains enclins à la violence et dans lesquels de tels individus se rassemblent. Ceci mène à un premier constat : ces groupes, ou groupements, au cours de leur vie normale, élaborent et diffusent des pratiques et des croyances spéciales que l'auteur qualifie d'agonistiques. Seules de telles pratiques et de telles croyances expliquent que des individus furieux, grâce à des circonstances favorables, transforment un désir de mort (répandu quand on admet que tout irait mieux si les Juifs n'existaient pas), en volonté de tuer (suivie par la création et la mise en oeuvre de moyens humains et matériels, notamment de dispositifs d'exécution - chambres à gaz au bout du compte). Cette volonté passe, souvent inchangée, des donneurs d'ordre aux exécutants. Il est à noter que l'auteur a utilisé un vocabulaire approprié. D'une part il a défini des « groupements agonistiques » d'autre part, il a caractérisé la mentalité originale de ces groupements en parlant d'« effervescence mentale » et de « désignation de l'ennemi » - ennemi auquel ces groupements (et eux seuls) confèrent un statut de personnes, instances, populations, etc., à abattre. Si la notion des ennemis est ici centrale, elle ne réfère cependant pas à la théorie de Carl Schmitt, qui n'a pas accordé d'attention aux croyances circulant à l'intérieur de ces groupements, des « croyances agonistiques » - dont les récentes « théories du complot », comme on dit aujourd'hui, pourraient n'être que le dernier avatar.
Dans ces pages datées du 10 juin 1887, Nietzsche conçoit un nihilisme européen : concept daté et circonstancié, historique et géographique, philosophique, et tout à la fois moral et politique, bien plus que métaphysique ou mystique. Analysant les valeurs sacrées et éternelles, il prononce la parole déraisonnable de l'imprécateur. Mais son intention est de purifier la société européenne.
Cette traduction nouvelle de la Médée d'Euripide par Florence Dupont est une commande du metteur en scène Laurent Fréchuret, Directeur du Centre de Sartrouville et des Yvelines Centre Dramatique National pour une création en octobre 2009.
Elle est donc destinée à la scène, c'est pourquoi le texte français laisse volontairement de l'espace aux acteurs afin qu'ils s'approprient le texte et ne comprend aucune ponctuation, c'est à chaque acteur en l'oralisant de lui donner forme par ses pauses et ses intonations. Florence Dupont et Laurent Fréchuret ont travaillé ensemble à un projet visant à retrouver la force spectaculaire du théâtre grec ancien, en particulier les émotions directement créées par le "décor sonore" : musique du choeur et voix des acteurs, chantées ou non.
La traduction comme la mise en scène partent de la structure musicale de la pièce et s'organisent à partir des choeurs et de la musique. C'est pourquoi le texte indique par la typographie (italique) les passages chantés afin de les distinguer des passages parlés.
Walter Benjamin est le penseur de la reproductibilité technique au XXe siècle, et il nous a donné de nombreuses pistes de lecture pour comprendre ce que la technique fait et défait dans nos sociétés industrielles fondées sur l'exploitation de l'autre. Déclin de l'aura, disparition de l'original, exposition généralisée, vulgarisation, performance, émergence de la star et du dictateur, choc, contrôle des masses et émancipation, il nous laisse un précieux viatique de fragments, célèbres ou méconnus, qui nous permettent de poser cette question : Comment appréhender le monde digital qui est en train de révolutionner notre siècle ? Dans cet essai, nous faisons l'hypothèse, soufflée par Benjamin lui-même, que nombre de ses intuitions fulgurantes, suscitées par l'essor de la photographie et l'irruption du cinéma, puis de la radio, sont restées en sommeil à son époque, et se réveillent maintenant à la faveur de l'irruption du monde digital. La logique de l'accessibilité mondiale prend racine dans le monde de la reproductibilité mécanique et en révèle le sens. De la même façon que le philosophe a pris au sérieux la technique de la radiodiffusion, au point de devenir lui-même réalisateur d'émissions à la fin des années 20, nous proposons de relire ses textes à l'aune d'une observation matérialiste du monde numérique, où chaque lecteur est en train de devenir auteur et producteur, témoin de sa propre existence en voie de dédoublement. Que se passe-t-il vraiment avec l'appareillage de numérisation du monde ? Quels en sont les effets, non seulement sociétaux, mais politiques ? Et que penser aujourd'hui de la stratégie benjaminienne de la flânerie, « protestation contre la division du travail », à une époque où celui-ci est en voie d'extinction.
Ce livre propose de relire la philosophie de Walter Benjamin à partir de sa cosmologie. Le cosmos de Benjamin n'est pas un univers ordonné, composé de corps célestes identifiables, mais l'occasion d'une expérience fulgurante : dans l'univers post-copernicien de Benjamin, l'intériorité du désir et l'extériorité des étoiles, le politique et le théologique, le présent et le distant passé se rencontrent sans fusionner. Situant Benjamin dans la tradition philosophique (G. W. Leibniz, K. Marx, F. Hegel) tout en s'appuyant sur des pensées contemporaines (J. Butler, S. Hartmann, M. Löwy), ce livre crée une « correspondance » entre Benjamin et notre actualité. Dans un monde soumis aux replis nationalistes, aux virus destructeurs d'altérité et à l'intrusion technologique, le lointain semble s'évanouir. En prise avec l'histoire la plus récente, celle du New Space et de la Sixième Extinction, de Black Lives Matter et des Communes éphémères, ce livre soutient qu'aucune transformation politique radicale, aucune émancipation, aucun communisme n'est possible, et souhaitable, sans relation avec un lointain - telle l'Étoile du Nord que les esclaves en fuite suivaient dans le ciel nocturne pour les guider vers la liberté.
L'idée qui a donné naissance à ce livre était d'écrire non seulement une biographie la plus complète possible de l'auteur des Pensées mais aussi de présenter en contrepoint l'ensemble de ses oeuvres, quelle qu'en soit la nature (scientifique, philosophique, mystique...). Sur les pas de Blaise Pascal entend ainsi combler un manque car s'il pouvait exister des biographies de ce dernier, au demeurant peu nombreuses et souvent lacunaires, ou des présentations de ses oeuvres, il n'existait pas de livre qui réunissait les deux. Ce livre s'attache à répondre à deux exigences : d'une part, être le plus rigoureux possible dans la présentation chronologique de la vie de Pascal et de ses différents écrits en s'appuyant sur les sources les plus sûres ; d'autre part conférer à cette présentation le caractère d'une narration littéraire. Science et lettres unies pour donner vie à la vie de Pascal. Éviter le romanesque, les affirmations erronées qui n'ont d'autre but que donner de l'auteur l'image que l'on voudrait qu'il eût, mais éviter aussi la reconstitution d'une vie de manière froide, accumulant des dates sans laisser vibrer le vécu intérieur. L'histoire de Blaise Pascal, comme l'histoire de ses écrits, s'inscrit dans celle de sa famille, de son milieu et du Grand Siècle. Peindre la vie de l'auteur des Pensées, c'est ainsi faire apparaître les événements de son temps qui en constituent l'arrière-plan. C'est aussi cheminer près de tous les lieux où il a séjourné, depuis la rue des Gras à Clermont-Ferrand jusqu'à ses différentes habitations parisiennes en passant par la ville de Rouen, emprunter les pentes du puy de Dôme ou revenir à la tour Saint-Jacques, s'imprégner de l'espace et du temps où il a vécu. En allant sur les pas de Blaise Pascal, le lecteur peut découvrir une vie d'une remarquable exigence et d'une vraie grandeur, centrée sur la vérité et l'amour qu'il mettait au-dessus de tout.
Dans la note qui précède la « nouvelle version » de Thomas l'Obscur (récit) de 1950, Maurice Blanchot explique avoir travaillé à ce projet d'écriture « à partir de 1932 ». Ce n'est pourtant qu'en mai 1940 qu'il s'est décidé à remettre à Jean Paulhan le manuscrit de Thomas l'Obscur (roman), ouvrage qui paraîtra chez Gallimard en septembre 1941. Entre 1932 et 1940 ce texte de Blanchot a traversé, on le sait, plusieurs états différents. C'est l'une de ces versions, intitulée Thomas le Solitaire, inédite à ce jour, retrouvée dans les archives personnelles de Blanchot après la mort de celui-ci en 2003, qu'avec l'aimable autorisation de l'ayant droit, Mme Cidalia Fernandez Blanchot, et le précieux concours de Eric Hoppenot nous livrons aujourd'hui pour la première fois au public.
Alors qu'il n'était pas vraiment apparu chez Platon, le « philosophe-roi » disparaît complètement dans Les politiques d'Aristote. En revanche apparaît pour la première fois celui de « philosophie politique », en un sens bien éloigné de celui d'aujourd'hui, la théorisation abstraite, détachée de la pratique, réservée aux cabinets de philosophes, voire de consultants. La philosophie politique est entendue non pas comme la théorisation que l'on peut faire de la cité, mais l'étude - theoria - que la cité fait d'elle-même, comme une forme d'autoconnaissance, c'est-à-dire une contemplation de la cité par elle-même. Or cela implique que règne dans la cité non pas un personnage aux capacités extraordinaires, le « philosophe-roi », mais une certaine pratique théorique, celle par laquelle les citoyens s'assemblent pour se connaître eux-mêmes directement. Ainsi, même si les critiques qu'il formule de la démocratie ne sont pas négligeables, Aristote fournit avec son Peri politeia, une définition fortement citoyenne de la philosophie politique.
Ce livre raconte le singulier itinéraire intellectuel d'un anthropologue talentueux, auteur d'une hypothèse ethnologique très ingénieuse sur l'origine des sociétés humaines. Peinant à convaincre ses pairs, il se tourne vers la Bible pour lui faire valider cette hypothèse. Il fallait dévoiler les astuces exégétiques par lesquelles René Girard attribue à la Bible, et surtout aux Evangiles, la connaissance des axes essentiels du savoir ethnologique qu'il avait développé dans son oeuvre majeure, La violence et le sacré. Le coup de force audacieux opéré par Girard est de faire du Livre saint des chrétiens le lieu d'une révélation à caractère strictement scientifique. Jésus, les évangélistes, l'intelligence transcendante qui inspire ces derniers, tous étaient des girardiens avant la lettre, désireux d'informer les hommes sur le meurtre fondateur, la violence de la foule unanime qui le cause et l'innocence de la victime sacrifiée. Voir l'essence du message évangélique dans une telle opération de communication revient du même coup à bouleverser le sens communément attribué à la Révélation néo-testamentaire, notamment à la Rédemption. Quoi qu'il en soit de l'habileté du fringant René Girard, qui aurait eu cent ans en 2023, cette opération, une aberration épistémologique, était vouée à l'échec. Il restait à en dresser le constat et à conclure qu'il faut laisser l'ethnologie aux ethnologues.
Il n'y a pas chez Marx une définition ni une pratique de la philosophie, mais des définitions et des pratiques qui se chevauchent et se recouvrent. Il en revendique tour à tour la réalisation par son lien avec le mouvement révolutionnaire, son devenir monde, sa suppression, son érection en théorie de la connaissance historique, en réflexion critique de l'histoire et du pouvoir.
Ces oscillations sont politiques. Elles se cristallisent dans la figure du communisme. En croyant promouvoir une raison transparente incarnant le début d'une histoire humaine enfin fondée sur la libre association, il façonne une figure de la rationalité comme pouvoir, à laquelle s'oppose une raison limitée, auto-rectificatrice, puissance politique qui en incarne à l'inverse le dépérissement. C'est dans cet espace que se joue l'inachèvement de sa pensée.
Comment des écrivains qui n'ont pas vécu la Shoah racontent-ils cet événement ? En France, cette question s'est posée de manière polémique à la parution des Bienveillantes de Jonathan Littell (2006) et de Jan Karski de Yannick Haenel (2009).
Cet essai est consacré à l'ensemble de la littérature écrite en français par la génération des petits-enfants, soit par vingt-deux auteurs, qu'il s'agisse de descendants de victimes de la Shoah ou d'auteurs qui se sentent héritiers de cette mémoire.
L'analyse de ces oeuvres permet de se pencher sur des questions très actuelles, comme la délicate appropriation d'un héritage, les supposés dangers de la fiction, ou encore l'utopie qui consiste à croire que l'on peut se faire témoin du témoin ou réparer le passé.
Tant par son oeuvre politique importante que par le potentiel créateur de son travail sur la perception, l'expression et l'ontologie, Maurice Merleau-Ponty a exercé une influence peu remarquée sur la pensée politique française. Aux lectures des Aron, Sartre et Lefort qui ont déterminé la compréhension et le sens politiques de l'oeuvre de Merleau-Ponty s'ajoute une postérité immédiate chez ses contemporains. Colette Audry, Tran Duc Thao, Jean-Toussaint Desanti, et Frantz Fanon furent marqués par leur proximité à Merleau-Ponty tout autant que par ses écrits, reprenant chacun une attitude à leur propre compte. Une postérité silencieuse, quelque peu différée, se remarque chez Cornelius Castoriadis, Françoise Collin et Jean-François Lyotard, qui construisirent leurs pensées dans une rupture créative avec celle de Merleau-Ponty. Enfin, la postérité politique de Merleau-Ponty se fait sentir dans le moment qui nous est contemporain : Vincent Peillon, Marc Crépon et Luce Irigaray reviennent ici sur leur relation à sa philosophie et sur ce qu'elle permet de penser. À travers ces postérités, les contributrices et contributeurs de cet ouvrage se penchent ainsi sur les questions de l'engagement militant et philosophique, de la relationalité et de l'altérité, de la racisation et des émotions, du corps et de la parole, de la vie esthétique, l'ontologie et la révolution, le républicanisme, le conflit et les épreuves historiques, ou encore le toucher et la culture politique.
Ce livre se propose de confronter Hannah Arendt (1906-1975) et Cornelius Castoriadis (1922-1997) autour d'une thématique majeure, quoique peu étudiée, de leurs oeuvres respectives : la Grèce ancienne et tout particulièrement la démocratie athénienne - le siècle de Socrate et Périclès plutôt que celui de Platon et Aristote, les moeurs et institutions politiques vivantes plutôt que les doctrines et traités philosophiques abstraits. Pour Arendt comme pour Castoriadis, le « germe grec » constitue en effet, à partir d'un certain moment de leurs parcours, une ressource essentielle pour penser les conditions philosophiques, anthropologiques et politiques d'une véritable démocratie. Dès lors, nombre de leurs thèses et engagements bien connus s'en trouvent éclairés, précisés, affinés : critique du totalitarisme et de la modernité capitaliste, défense de la démocratie directe, analyse des révolutions modernes, du mouvement ouvrier ou des révoltes contemporaines. En suivant notamment Castoriadis dans ses séminaires à l'EHESS de la fin des années 1980 - dans lesquels la référence à Arendt joue un rôle de tout premier plan - on saisit mieux ce qui rapproche indéniablement ces deux penseurs majeurs du XXème siècle, mais aussi ce qui les sépare sur des points décisifs. On peut alors, à notre tour, tenter de nourrir un projet d'émancipation individuelle et collective à la lumière de l'un de ces « rares moments heureux de l'histoire où liberté et politique sont allés de pair » (Arendt).
Le nom de Kafka est le nom propre le plus cité dans l'oeuvre de Blanchot, plus encore que celui très fréquent de Mallarmé. Kafka est le seul écrivain qui ait fait l'objet d'un ouvrage volumineux dans lequel Blanchot a regroupé la plupart des articles qu'il a publié sur l'auteur du Procès.
Jean-Paul Sartre, dès la parution d'Aminadad, soulignait la ressemblance des univers de Kafka et de Blanchot, bien qu'il rapportât dans le même article qu'au moment de l'écriture d'Aminadab, Blanchot affirmait ne pas avoir encore lu Kafka. Une lettre à Paulhan de 1942 indique pourtant qu'au moment où il rédige Aminadab, Blanchot a déjà lu, ou est en train de lire Kafka.
Pas d'écrivain littérairement, mais aussi biographiquement si proche de Blanchot que Kafka, on en esquisserait quelques traits rapides : la forte présence du religieux, la solitude, le célibat, la santé fragile, la vie vouée à l'écriture. Autant de biographèmes, qui sans justifier la totalité de l'intérêt de Blanchot pour Kafka peuvent donner du sens à cette empathie pour l'auteur tchèque, et peuvent avoir été à la source de cette reconnaissance jamais démentie.
L'ouvrage Traduire Kafka, expose un aspect encore totalement inédit de Blanchot : son long et obstiné travail de traducteur. Le lecteur pourra observer de quelle manière l'auteur de Thomas l'Obscur est fasciné par l'oeuvre de Kafka. Si ses traductions ne sont pas datées, elles attestent d'un intérêt immédiat pour la première édition publiée par Max Brod. Fascination qui ne se manifeste que pour les oeuvres les plus autobiographiques de Kafka, le journal intime, mais aussi les lettres, notamment celles adressées à ses amis, et surtout à Felice et à Milena.
Ces traductions offrent au lecteur un aspect encore totalement méconnu de l'oeuvre de Blanchot dont on verra dans les publications futures qu'il est aussi un grand traducteur de la philosophie allemande, notamment de celle de Heidegger. Plusieurs, des fragments traduits par Blanchot montrent à la fois une attention particulièrement fine à la langue de Kafka, mais aussi aux grands thèmes que développe l'écrivain tchèque. Nombre des fragments traduits sont accompagnés de commentaires personnels de Blanchot dont on retrouvera la trace dans ces articles sur Kafka.
Ce volume, issu d'un colloque qui s'était tenu à l'Université de Paris Nanterre en septembre 2016, prend pour objet la réception de Wittgenstein en France des années cinquante du XXe siècle aux années quatre-vingt. Il réunit les contributions d'auteurs et de spécialistes les plus reconnus de la pensée wittgensteinienne, par-delà le clivage communément institué entre philosophie analytique et philosophie continentale. Le prisme ainsi adopté, la réception de la pensée de Wittgenstein dans le contexte de la philosophie française contemporaine, permet une approche renouvelée de thèmes majeurs de l'oeuvre du philosophe autrichien : le langage et les limites du langage, la dimension expressive de la logique, l'articulation du logique et du mystique, l'inscription sociale du mental, la question du formalisme et la contestation des philosophies de la conscience et de l'intériorité, le statut de la fiction et des expériences de pensée dans la recherche philosophique, le sens du tournant grammatical. Simultanément, cette vaste enquête autour de la découverte et des reprises contrastées de l'oeuvre de Wittgenstein par des auteurs français tels que Pierre Hadot, Gilles-Gaston Granger, Jacques Bouveresse, Gérard Granel, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, ou Alain Badiou, est l'occasion d'un regard inédit porté sur les lignes de forces, puissantes autant que contrastées, qui ont animé et donné son souffle à la philosophie française de la seconde moitié du XXe siècle.
Robert Musil est connu comme l'auteur d'un des grands romans du vingtième siècle, L'homme sans qualités, sur plusieurs milliers de pages. Il apparaît cependant que les commentateurs préfèrent gommer l'aspect « romanesque », sentimental de son oeuvre. Comme s'il était indécent d'accorder de l'intérêt aux débats amoureux du héros, quasi feuilletonnesques, de femme en femme, et qu'il convienne de s'en tenir à la teneur morale, politique, épistémologique de l'ouvrage, et que pour le reste, l'on doive s'en tenir à la quatrième de couverture fameuse de Maurice Blanchot qui célèbre « la plus grande passion incestueuse de l'histoire de la littérature. » Est-il vraiment possible d'ignorer cette galerie de portraits féminins, qui jalonnent, scandent, animent tout le récit ? D'ignorer également l'interrogation sur la femme qui nourrit la majeure partie des oeuvres brèves de Musil, moins lues et pourtant révélatrices. Comme le sont les lectures inattendues de Musil, les « mystiques » Maeterlinck et Emerson, l'étrange ethnologue, Bachofen, mais aussi Klages et même « l'enfant de volupté », d'Annunzio. Il s'agissait donc de rendre compte de cette présence continue de la femme, du féminin dans l'oeuvre de Musil, en montrant le rôle qu'il leur attribue, certes dans les relations amoureuses dont le héros principal, très autobiographique, se dit « altéré », mais aussi dans le rapport au réel, qu'il s'agisse de la confrontation scientifique ou sociale avec le monde, où elle apparaît comme la grande conciliatrice identifiée par Simone de Beauvoir, issue du rêve masculin, qu'il s'agisse aussi de l'expérience de l'écriture dont l'ironie musilienne, façonnée par la culture viennoise, atteste qu'elle est une mise à distance. Quand le songe est une vie, quel est le rôle de la femme, des femmes, dans la diversité de leurs caractères, et sont-elles prêtes à admettre la condition que l'époque, Vienne et l'homme en général leur assignent ?
« Poétique du savoir : étude de l'ensemble des procédures littéraires par lesquelles un discours se soustrait à la littérature, se donne un statut de science et le signifie ». C'est de cette façon, en apparence modeste, que Jacques Rancière débute Les noms de l'histoire (1992). Mais comment comprendre cette affirmation a priori paradoxale selon laquelle une telle poétique utiliserait des « procédures littéraires » pour mieux se soustraire à la littérature ? Que penser, en outre, de cette idée selon laquelle l'historiographie telle qu'elle s'est pratiquée jusqu'ici aurait systématiquement occulté les conditions même de toute historicité ? L'essai s'avère rapidement être une critique lucide et radicale des fondements mêmes du savoir historique, prenant appui sur certaines hypothèses majeures que le philosophe n'aura de cesse de développer durant tout son parcours : le nouage entre politique et esthétique, l'alliance entre littérature et démocratie caractérisée par un désordre salutaire de la parole. Pourtant, malgré le caractère familier de ces termes pour le lecteur de Jacques Rancière, l'essai conserve toute sa densité, et même une certaine part d'équivocité : c'est parfois entre les lignes qu'il convient de traquer la position de l'auteur, et surtout de cerner les contours de cette « histoire hérétique » vers laquelle il nous entraîne et qui conserve toute son actualité.
Fruit d'un travail collectif consacré à cet essai, le présent ouvrage a pour ambition de rassembler des contributions dissensuelles : à l'image de la philosophie qui les inspire, celles-ci, en confrontant Rancière à ceux avec qui il entre en dialogue (Michelet, Benjamin, Althusser, Thompson et d'autres), visent à leur tour à éclairer la force, et parfois les zones d'ombre, de la poétique de cette pensée qui se veut elle-même « hérétique ».
Qu'est-ce qu'engage la question « comment juger » ? En quoi celui qui juge est-il en même temps jugé par son propre jugement, sans cesse confronté à l'exigence de juger ? Ces interrogations se plient en deux marges qui s'équilibrent et se croisent l'une à l'autre. D'une part, la loi absente. Point de vue négatif correspondant à une condition positive, à l'avantage d'une contrainte, d'une obligation: il faut trouver la loi. D'autre part, le droit ne coïncide pas avec la loi de nature: il concerne des arrêts que la faculté de juger se prescrit elle-même. Ces aspects s'accordent et se relancent mutuellement dans le reniement de la puissance des origines en faveur de celle de l'alliance : alliance non pas sur la base d'une provenance commune, mais d'objectifs partagés. Ce qui met en jeu la question de la nondérivabilité des critères du jugement. Ou, dit en d'autres termes: afin d'éviter la chute dans le totalitarisme et dans la barbarie, l'action normative ne peut que renoncer à s'imposer à ses objets selon un modèle donné à l'avance qu'il faudrait tout simplement appliquer.
Professeur de Sociologie de la Culture et de la Communication à l'Université Iuav de Venise, il a tenu des cours à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l'Université Sorbonne Paris Nord. Il a édité et introduit le volume Jean-Luc Nancy, Dies Irae, Westminster University Press. Il a publié le manuel Sociologie de la communication (Éditions Bruno Mondadori) et les monographies Sociologie de la culture entre critique et clinique (Éditions Mimesis); Georges Bataille sociologue de la connaissance (Éditions Costa & Nolan), L'appareil et le hasard (Éditions Postmedia), Projet et production artistiques comme action sociale (Éditions Aracne). Ses articles sont apparus dans maintes revues scientifiques internationales.
Ce projet de traduction entend mettre à la portée du public francophone un ouvrage majeur et peu connu d'un des plus grands juristes du XXe siècle. Difficile en effet aujourd'hui de trouver un ouvrage en langue française consacré à la philosophie du droit, à la théorie du droit ou même au droit constitutionnel, dans lequel Kelsen ne serait pas présenté comme un auteur incontournable. Déjà en 1969, Métall, dans la biographie de Kelsen qu'il écrivit, faisait état de la réception dans le monde entier dont avait fait l'objet sa pensée : que ce soit dans la vie politique suisse, à Tokyo où des étudiants travaillaient sur ses écrits, compte tenu aussi de la traduction en braille de sa Théorie générale du droit et de l'État en 1960, ou encore eu égard aux hommages qui lui ont été rendus dans des pays aussi différents que le Pakistan ou la Hongrie, ou enfin comme en témoignait une émission radiophonique française où il était présenté en compagnie d'Albert Einstein et Thomas Mann comme l'une des trois personnalités germanophones les plus importantes de son temps. Encore aujourd'hui, on peut dire sans prendre trop de risques que Kelsen figure parmi les classiques de la pensée juridique mondiale. Il rencontre même actuellement un grand succès en Amérique latine. Toutefois, c'est surtout sa Théorie pure du droit (Reine Rechtslehre) qui est connue et étudiée. Le but de cette traduction est donc de faire découvrir au public francophone un auteur dont l'oeuvre ne se réduit pas à la théorie du droit.