Ce petit livre amical témoigne d'un séjour automnal à Venise (2016) en compagnie de Geneviève, Anne et Bruno Grégoire, Janine et Biagio Pancino - sorte de cicérone à nos yeux. Biagio donc : « Mai 1936, je sors de l'hôpital ! Les pieds bots, le plâtre, c'est fini !!! Sandales aux pieds, enfin libre. Campo Santi Giovanni e Paolo, je cours vers la statue équestre de Colleoni provoquant une envolée de pigeons... ».
Jusqu'à ce que le jour vous sépare : une réponse à la dernière bande de beckett ? une réponse ? plutôt un écho.
Un écho tantôt loin, dans l'espace et aussi dans le temps, tantôt tout près de monsieur krapp, le héros solitaire de la pièce de samuel b. un écho tantôt faible, contradictoire, mutilé, tantôt fort, fortifié, magnifié. pour cela j'ose appeler ce monologue - écho, un drame - un très petit drame - comme la dernière bande, est un drame, un très grand. beckett a achevé, avec cette pièce, la réduction parfaite, nécessaire, du théâtre, tout en se libérant des restes du symbolisme et des opinions sur l'existence dans ses autres grandes pièces.
La dernière bande incorporise peut-être le point final ou le terminus du théâtre, d'un pur théâtre. c'est une pièce primaire, essentielle et ludique. après beckett ne sont arrivées que nos pièces secondaires, comme par exemple jusqu'à ce que le jour vous sépare : plus de réduction, plus d'espace zéro possible - que des traces des égarés (ici : une [1] égarée. ) mais il fallait, il faut peut-être s'égarer, dans l'intérêt de la scène, dans l'intérêt du théâtre ? comme je me suis dit un jour : "je vais résolument m'égarer".
Egarés, nous ? ou embarqués ? egarés et embarqués ? comme a écrit pascal : "nous sommes embarqués !" - "echo", si je me rappelle bien, signifie dans la mythologie grecque aussi une personne, une petite déesse ou une nymphe (dictionnaire : "déesse d'un rang inférieur, qui hantait les bois. ") - en tout cas une femme, une voix féminine.
Par ces vers, James Sacré nous renseigne sur le motif qui a présidé à l'écriture des cette suite de poèmes. Et la brouette est sans doute l'un des premiers instruments agricoles que ce poète a vu, avec laquelle il a joué dans son enfance de paysan vendéen. La métaphore du véhicule langagier, écrit dans ce style si particulier à l'auteur, n'a rien de gratuite pour un homme qui n'a jamais vraiment quitté les grande et petites richesses terriennes. Quelle soit maniée au Maroc (à Chichaoua donc,), en Italie, aux Etats-Unis (il y a longtemps vécu et enseigné) ou dans sa Vendée natale, la brouette de James Sacré « c'est toujours du rêve et du réel emmêlés »...
- L'amour est une expérience primesautière, un savoir d'école maternelle.
- À l'image de ceux qui font chanter la célèbre comptine aux enfants, celui qui se défie de l'amour ou s'en amuse s'abuse grandement.
- L'amour est un grand chasseur qui nous étourdit sans façon. Lui seul détient le secret du «?miroir aux alouettes?».
Le prochain Docteur aux Droits signe alors un monumental ouvrage de 400 pages, composé d'un entassement de sonnets qu'entrelardent assez erratiquement de longs morceaux de bravoure pieuse (prières, oraisons, odes et syndérèses - il aime les syndérèses !) qui sont à vrai dire plus pesants (étouffe-chrétiens) que propres à magnifier son talent (n'étaient certaines laisses exemplaires qu'on lira dans le choix subséquent). Mais il faut considérer cet amas - sorte d'encyclopédie très modernement construite, baroque dira-t-on - pour ce qu'il est sans doute : le témoignage d'une urgence autant que la preuve d'une frénétique inspiration juvénile. Il n'est pas étonnant, alors, de lire dans ces poèmes la détestation d'un homme jeune pour la prochaine décrépitude de son corps, qu'il va « illustrer » jusque dans les détails les plus épouvantables de cette avanie promise !
Rainer Maria Rilke offre un cas qui ne laisse pas d'être assez extraordinaire ; un poète profondément germanique, qui figure, sous sa forme la plus aiguë, la plus fragile, le rameau extrême du romantisme allemand au point où il va rencontrer les derniers prolongements du monde spirituel slave, découvre sa véritable identité au contact d'une ville française. Ce poète allemand trouve à Paris non seulement un domicile passager et des amitiés plus ou moins durables, mais une inspiration qui le guide vers les formes secrètes de son être.
Pendant douze ans il y reviendçra presque année après annés, heureux et malheureux d'y retrouver des joies ou des souffrances toujours neuves et un paysage presque éternel. Cette ville lui prêtera le cadre et les thèmes d'une oeuvre par laquelle il a le sentiment de s'exprimer jusqu'au bord de l'indicible, jusqu'à envisager et accepter d'un coeur tranquille la mort au terme d'un livre dans lequel il a conscience d'avoir concentré toute la sève d'une vie.
Notes pour Aria Guetter - consigner dans l'attente la notion de probabilité d'apparition.
Acter chaque jour ou presque que des lieux élus (ou un lieu pluriel), assidûment fréquentés, auront comme harponnés la langue, la forçant alors à reconsidérer son chant - son ton, tantôt raidi, tantôt assoupli, et droit dans les yeux changeants des lieux, assujetti à leurs humeurs variables, son rythme qui assimile les noeuds d'émotion. En faisant office de ponctuation, les lignes déliées et sinueuses de la plasticienne Tomoko Kitaoka viennent renforcer l'étoilement dans lequel se trouve parfois piégée la langue du poème, elles sont têtes chercheuses et tendraient à connecter, dirait-on, des coups de foudre simultanés.
Le premier volume du cycle Lémistè, sous-titré « Liber America », était une approche par la parole de l'univers culturel et langagier du monde amérindien, à travers le choc entre les cultures européenne, africaine et caraïbe, qui se traduisit notamment, du point de vue de la langue et donc de la littérature, par l'invention à travers le créole d'une langue particulièrement sensuelle. Dans le présent volume, Partition noire et bleue , Monchoachi explore, à sa manière, le continent africain, sa puissance symbolique, son énergique vitalité - manière d'axis mundi idéal de la tradition créole, quête de l'harmonie universelle, aussi bien que « force de fermentation du monde des commencements » (Richard Blin à propos de Lémistè). La grande originalité de la prosodie ce livre, - où l'incantation la plus mystérieuse et la réalité langagière la plus immédiate et triviale répondent par la parole poétique au génie tragique de l'Afrique, - est de métaphoriser par une langue particulièrement riche et parleuse ses rites, ses masques, toute cette force merveilleuse qui « consiste à être relié par toutes les fibres du corps aux puissances de l'univers ». Monchoachi magnifie le Continent noir et ses riches cosmogonies face à l'emprise étouffante et froide de « la rationalité rapetissante, standardisante, nivelante, le fatalisme morne généré par un culte obtus rendu à l'évolutionnisme ».
On peut dire, à propos de Partition noire et bleue, ce qu'Yves Bergeret écrivait au sujet de Lémistè : « Par un travail gigantesque d'immersion de l'auteur et de collecte extrêmement patiente dans les îles ce livre réunit une somme considérable de documents populaires oraux et gestuels. Non il n'est pas seulement cela. Il est magnifique par sa dignité éthique, qui, tout en donnant enfin à entendre la voix multiple et habituellement étouffée des peuples des Antilles, montre magistralement que dans cet archipel la modernité universelle se cherche et se joue d'une manière profondément originale par précisément cette polyphonie turbulente de la pensée symbolique ».
Le grande originalité de cette prosodie où l'incantation, la plus mystérieuse et la réalité langagière la plus immédiate et triviale aux rites, aux masques, aux éléments, cosmogonie
Reprenant le travail commencé avec Bouche entre deux, Christine Bonduelle poursuit ici son travail poétique sur la conversation telle qu'elle la lit dans la tradition maniériste du Dix-septième siècle. Les métaphores au sein d'une synthaxe elliptique très rythmée emmènent le lecteur dans l'observation des moyens physiques qui rendent la conversation possible, d'abord comme un phénomène corporel où les syntagmes les plus sobres sont les emblèmes du ressort dynamique du vers élémentaire...
« La bêche est un indice pour la terre, la terre un indice pour penser que cela ne suffit pas car chaque pensée est avant tout le signe que ce qu'elle fait, elle le fait mieux que la bêche, mieux que la terre. Pourtant, sans elles, pas de pensée, rien à creuser pour trouver quelques restes, aucun tuyau à faire arriver jusqu'au coeur. Voilà pourquoi brait l'âne.» Patrick Wateau
Cet ultime recueil de poèmes, achevé quelques mois avant sa mort, Petr Kral avait choisi de l'accompagner lui-même, avec trois dessins d'une extrême rigueur qui font écho à la fermeté qui caractérisa et sa vie et son oeuvre. Cette manière d'intransigeance, on la retrouve dans sa prosodie si particulière construite sur l'alliance d'un réalisme imparable (cru même) et d'un humour teinté parfois de nonsens qui explicite l'absurdité des situations, des relations, des échanges.
Marqué par Hrabal, Hasek, le Surréalisme et le cinéma muet (il écrit la-dessus des livres qui ont fait date), Kral élabore des saynètes qui dessinent un univers mélancoliquement banal que seul l'humour grinçant rend habitable...
Nous l'attendons au balcon de son bureau sis au théâtre municipal. Une discrète mise en scène s'opère dans mon esprit. Les audiences du poète, bien que n'ayant assisté à aucune d'elles, la première fois que voilà me permet d'y entrer de plain-pied. C'est que j'y ai participé à de nombreuses reprises pour avoir visionné des films, des reportages, des actualités. On y voit entrer sa voiture dans cette même cour.
Ce matin, le chauffeur fait les mêmes manoeuvres. Je me tiens au lieu exact où les caméramans captent leurs images.
Tashuur, qui désigne dans la langue mongole, le fouet qui sert à dresser les chevaux, est un ensemble de poèmes né des notes de voyage prise par Pascal Commère lors d'un séjour en Mongolie, à l'automne 2005.
Passionné par les chevaux, il était allé sur les traces des fameux cavaliers des steppes et de leur non moins fameuses montures ! On retrouve dans ces pages toute la singularité langagière de cet auteur qui, tant poète que prosateur, est certainement une figure éminente de la littérature contemporaine. Une vraie connaissance des hommes proches de la terre et des bêtes, de leurs douloureuses aventures et de leurs bonheurs forts, donne à ce livre une gravité non dénuée d'humour mais qui est marquée par une empathie réelle nourrie par la vérité de ce monde difficile.
Ainsi le cavalier (mongol ou autre) fait-il corps avec son cheval, et réciproquement. Mais ce que Pascal Commère analyse le mieux, et transfigure par le poème, est l'affrontement des savoirs ancestraux et mystérieux avec la modernité : la yourte et Internet, le hurlement du loup et le vrombissement d'une Jeep sur la steppe... Quant à la langue du poète, précise et rugueuse mais toujours attentive à un certain lyrisme narratif fermement contraint, elle rend parfaitement les gestes, les paroles et les faits quotidiens des hommes enchâssés dans un univers strict, qui les dépasse et que pourtant ils tentent de maîtriser.
Certains passages de Tashuur ont paru en revue, notamment dans PO&SIE.
Jan Voss, qui a réalisé la suite de vignettes pour cette édition, dit qu'adolescent, à Hambourg, il apprenait par coeur des pages de ce poème, comme tous les élèves d'Allemagne alors. Rédigé en 1899, à son retour d'un voyage en Russie, et publié en 1904, le Chant de l'amour et de la mort du cornette Christoph Rilke narre la vie brève et aventureuse d'un ancêtre de R M Rilke, mort au combat contre les Turcs, à la fin du XVII ème siècle, et dont le corps ne fut jamais retrouvé. A mi chemin du légendaire et de la dure réalité de la guerre, cette longue et dense prose lyrique est l'un des sommets de la prosodie de langue allemande. A la fois sensuelles, mélancoliques, héroïques et nostalgiques, ces pages magnifiques, d'une grande puissance évocatrice, contribuèrent grandement à la notoriété naissante du poète tant en Allemagne que dans le reste de l'Europe.
Essayer de communiquer avec le mystère de vivre, est-ce entrer dans les ténèbres ? Verticale du secret semble l'affirmer tout d'abord, avec des figures de solitude et de fragilité comme Jacob, mais se termine sur l'évocation de la tutélaire Isis. Trajet difficile, à la fois tragique et sensuel, pour le "pigiste de la vie" qu'est le poète. Conscience qu'on porte la mort et la maladie en soi, tentation des magies noires et des désespoirs, impossibilité de pénétrer son propre corps... Mais la lumière, pour le "feudataire des riens" qu'est aussi le poète, vient d'intercesseurs très humbles, rues quotidiennes, insectes, pierres, tout comme de grands paysages ou de l'amour. Chaque partie du recueil va du noir à cette clarté qu'on tente de dire en mots rigoureux : précaire, mais porteuse d'énergie. M.-C.B.
Avec Sous la cendre les étoiles, Maurice Kamto nous dévoile "l'aube primordiale" d'un très grand chant où se mélangent l'enfance du poète et celle d'une nation. D'un côté, l'insouciance et le geignement de l'enfant bousculé par l'absence brève mais profonde des figures de l'amour. De l 'autre, la difficile parturition d'un nouveau pays. Alors se déploie un panorama où l'attention du poète se manifeste aussi bien à l'égard des enfants des rues, des femmes, des arbres que pour la geste continentale.
L'espoir soutient chaque vers, cha - que syllabe. Ce pourrait être la définition du poème. Léopold Sédar Senghor trouve en Maurice Kamto un digne continuateur de la poésie épique, mais réinventée, transfigurée.
Ce premier volume de la collection Les Placets invectifs est consacré à Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889), l'un des maîtres du genre pamphlétaire de notre littérature.
Ces textes sont extraits des nombreuses chroniques que Barbey d'Aurevilly donna dans la presse, et notamment dans la revue satirique Le Nain jaune, entre 1863 et 1866, et qu'il reprendra dans Les Ridicules du temps. On le voit moquer rudement ici les travers du monde littéraire, et son humour parfois féroce est servi par une langue remarquablement efficace... Pour faire suite à ces charges, nous donnons cinq des fameux Quarante Médaillons de l'Acculémie française (1864) consacrés à Cousin, Musset, Hugo, Thiers et Sainte-Beuve.
La préface, de la plume d'un autre célèbre irascible, est un fragment de l'étude dédiée par Léon Bloy au " Connétable des Lettres " dans Un brelan d'excommuniés (1889).
"DONA (du latin Donum, don, présent, offrande) est une série de 46 poèmes dédiés principalement à des personnes, mais aussi à des lieux et des heures. Ce sont des envois, des hommages, à des vivants et des défunts, commémorés avec une certaine "piété" . Les destinataires peuvent être des amis chers, des parents, des poètes aimés (contemporains et classiques), des prophètes, des philosophes admirés ; mais aussi bien une nuit parisienne et un matin de février, un quartier de Lyon ou une station balnéaire normande ou un village breton...
Tous et toutes m'ont parlé, inspiré, ouvert à une réalité autre qui est celle de la poésie, produit d'une interaction entre l'espace intérieur et le monde extérieur. Un va-et-vient incessant parcourt ce livre, entre la sphère de l'intime, du présent, et le murmure du passé, que nous transmettent la tradition et la mémoire". Gravures de Frédéric Couraillon
Poursuivant son « enquête » poétique monumentale sur l'aventure de la poésie à travers les cultures et les langues, par le prisme élocutoire du créole, Monchaochi présente ainsi, ce troisième volume de son cycle Lémistè: « Fugue vs Fug ouvre ainsi sur la circonstance décisive en Grèce antique, de l'avènement des voyelles ("Les Saintes Filles") dans une écriture alphabétique jusqu'alors consonantique, par conséquent sans voix. Ce "sans voix" loin d'être une carence, appelle au contraire le répondeur, le juste de voix, l'homme dont la vocation est de bailler à hauteur la voix égale, d'être un entretien avec le monde et, plus encore, un chant (Hölderlin). Là où il existe par conséquent dans l'écriture, le sans voix est cela même qui ménage et aménage le lieu de l'homme. Captant et captivant ainsi la voix, l'écriture alphabétique gréco-latine ouvre à une totalité insigne, suffisante, qui menace à terme de taire l'entretien en faisant retraire le répondeur. Ce terme, c'est cette nuit épaisse en laquelle présentement sont noyées les solitudes fébriles, tâtonnant sans fin sur la toile leurres et simulacres. »