"Très cher père, tu m'as demandé l'autre jour pourquoi je dis que je te crains.
Comme d'habitude, je n'ai rien su te répondre, en partie justement à cause de la crainte que j'ai de toi, en partie parce qu'il me faut, pour expliquer cette crainte, entrer dans une foule de détails dont je ne pourrais rendre compte oralement avec tant soit peu de cohérences. et si j'essaie ici de te répondre par écrit, ce ne sera encore que de manière très incomplète, parce que, même à l'écrit, la crainte et ses conséquences entravent ma relation avec toi et parce que le sujet, par son ampleur, excède de beaucoup ma mémoire et mon entendement.".
Charity Royall s'ennuie à mourir dans le petit village de North Dormer, en Nouvelle-Angleterre, où elle a été recueillie enfant par un avocat. Un jour de début d'été, elle voit apparaître dans la minuscule bibliothèque municipale où elle travaille, un jeune architecte, Lucius Harney, venu dessiner les vieilles demeures de la région. Très rapidement, la jeune femme s'éprend de lui.
" niels lyhne" va maintenant s'ouvrir devant vous, livre de splendeurs et de pénétrations.
Plus on le lit, plus il apparaît que tout y est : du parfum le plus léger de la vie à la pleine saveur des fruits les plus lourds. il n'en est rien là qui ne soit compris, saisi, ressenti, et - à la résonance vibrante du souvenir - reconnu. rien n'y est petit. le moindre événement se déroule comme une destinée, et la destinée elle-même s'y déploie comme un tissu, ample et magnifique, dont chaque fil, conduit par une main infiniment douce, se trouve pris et maintenu par cent autres.
Vous allez connaître le grand bonheur de lire ce livre pour la première fois. vous irez, comme dans un rêve, d'étonnement en étonnement. et je puis vous dire que, dans la suite, vous serez toujours à travers ces pages le même marcheur émerveillé, car elles ne sauraient jamais rien perdre du charme féerique, de la puissance miraculeuse de leur première rencontre. on en jouit chaque fois davantage. elles vous rendent toujours plus reconnaissantts, meilleurs, plus simples de regard, plus pénétrés de foi en la vie, et, dans la vie même, plus heureux et plus grands ".
Rainer maria rilke, lettre à un jeune poète.
Oui, je baiserai ta bouche, iokanaan.
Je te l'ai dit, n'est-ce pas ? je te l'ai dit ? eh bien, je la baiserai, maintenant. mais pourquoi ne me regardes-tu pas, iokanaan ? tes yeux qui étaient si terribles, qui étaient si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. pourquoi sont-ils fermés ? ouvre tes yeux ! soulève tes paupières, iokanaan. pourquoi ne me regardes-tu pas ? as-tu peur de moi, iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? .
Et ta langue qui était comme un serpent rouge dardant ses poisons, elle ne remue plus, elle ne dit rien maintenant, iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. c'est étrange, n'est-ce pas ? comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? tu m'as dit des choses infâmes. tu m'as traitée comme une courtisane, comme une prostituée, moi, salomé, fille d'hérodias, princesse de judée ! eh bien, iokanaan, mois je vis encore, mais toi, tu es mort et ta tête m'appartient.
On avait ouvert le piano à queue, la partition des noces de figaro était sur le pupitre ; la fiancée, accompagnée par le baron, chanta l'air de suzanne dans la scène du jardin, oú l'on respire la douceur de la passion comme les parfums d'un soir d'été.
Les joues colorées d'eugénie furent un instant d'une extrême pâleur ; mais aux premières notes, qu'elle donna d'une voix claire, son trouble disparut ; elle souriait, portée par la musique et fort émue à la pensée qu'un pareil moment serait unique dans sa vie.
Mozart était visiblement ravi. lorsqu'elle eut fini, il s'approcha d'elle et lui dit dans sa manière naturelle et spontanée :
" quel compliment vous faire, aimable enfant ? vous êtes comme le soleil qui se donne à soi-même la plus belle louange en répandant sur tous le bien-être.
A vous écouter, on est comme l'enfant dans son bain, qui rit et admire et ne sait rien de plus beau au monde. ".
De Borges à Pierre Michon, nombreux sont les auteurs qui, au XXe siècle, ont écrit à l'enseigne des Vies imaginaires. Au gré de sa fantaisie et de son érudition, Schwob réinvente dans ce livre unique le genre de la biographie, croquant par le menu une vingtaine de personnages, illustres ou méconnus, de l'Antiquité au milieu du XIXe siècle : l'acteur Gabriel Spenser, les assassins Burke et Hare, la «matrone impudique» Clodia, le «pirate illettré» Walter Kennedy, le «poète haineux» Angiolieri...
Une délicieuse série de tableaux, dont Colette, s'adressant à Schwob, dira : «J'ai ici tes admirables Vies imaginaires, heureusement, et la perfection irritante de quelques-unes me fait mal dans les cheveux et des picotements dans les mollets. Tu ne connais pas ça, qu'on ressent en lisant quelque chose qui vous plaît trop ?»
Précédé d'une autobiographie inédite, Paroles d'un Européen réunit un ensemble très complet d'interviews et de réponses à des enquêtes accordées en français par Stefan Zweig à des journaux et des revues francophones (entre 1924 et 1940) et jamais recueillies en volume. Parallèlement à des déclarations consacrées à l'évocation de sa vie et de son oeuvre, Zweig, fidèle à ses idéaux pacifistes, convie les peuples à fraterniser entre eux plutôt que d'alimenter les antagonismes et prêche pour une Europe unie.
Les passagers et l'équipage du navire «Le Chancellor» vont vivre de nombreuses épreuves : incapacité du capitaine à diriger son bateau, incendie, tempête, échouage, etc. Les passagers se réfugient sur un radeau où la nécessité de survivre les amène au cannibalisme...
Cette histoire écrite au mexique en 1943 reprend le thème principal de la septième croix : le comportement de l'allemand moyen sous le nazisme.
Mais ce qui en fait l'irremplaçable qualité, c'est sa tonalité dominante, qui est celle de l'élégie. c'est un requiem aux amis écrasés, aux parents, à la propre jeunesse d'anna seghers, partie mélancoliquement à la recherche du temps perdu...
Ces quinze jeunes filles en fleur ont succombé à la tragédie allemande : déportations, suicides, bombardements, tortures, leni, marianne, nora, gerda, else, elli, sophie, lotte...toutes disparues sans retour.
La méthode narrative donne une force beaucoup plus impressionnante au drame : le récit couvre simultanément deux époques, qui entrent sans cesse en collision. l'idylle du passé, à peine éclose, est impitoyablement piétinée par la brutalité du présent. davantage encore : l'idylle est obscurcie dès sa naissance, car l'ombre du destin ultérieur s'appesantit sur elle. les élans sincères, les sentiments délicats de l'adolescence sont démentis et ravagés par les lâchetés, les compromissions et les cruautés de l'âge mûr.
" L'ensemble des textes de Maintenant constitue une autobiographie déchirée, une des plus subversives et maudites que nous ait légué cette génération. Une autobiographie qui oscille entre le lyrisme et le sarcasme le plus grossier, situant Cravan de plein droit parmi les précurseurs essentiels de l'aventure dada. " (Maria Lluïsa Borràs, Arthur Cravan. Une stratégie du scandale, Jean-Michel Place, 1996).
" pendant un certain temps elle se tint les yeux baissés ; puis, soudain, reprenant possession d'elle-même, elle promena sur les rangs des spectateurs son regard fixe mais distrait, comme replié en lui-même.
" quels yeux tragiques elle a ! " fit observer un vieux fat aux cheveux grisonnants assis derrière aratov, qui avait la mine d'une cocotte de province et qui passait à moscou pour un critique avisé. ce vieux fat était un sot et ne disait que des sottises. mais son observation était juste pourtant. aratov qui, depuis l'apparition de clara, ne la quittait pas des yeux, se souvint à ce moment seulement de l'avoir vue chez la princesse; et que non seulement il l'avait vue, mais qu'il avait remarqué qu'elle avait alors, à plusieurs reprises, dirigé vers lui son regard sombre et fixe.
Et à cet instant encore - ou bien n'était-ce qu'une illusion ? - il semblait que le visage de la jeune fille se fût soudain animé au moment où elle le découvrit au premier rang, et qu'à nouveau elle le fixait avec insistance. ".
Une dizaine de nouvelles publiées par Emmanuel Bove de son vivant dans divers journaux et magazines et qui n'ont jamais été réédités depuis (ni même, pour la moitié d'entre elles, répertoriées par ses biographes), suivi de la totalité de ses (rares) interviews, d'essais critiques et d'une bio-bibliographie détaillée, illustrée de plusieurs portraits et caricatures représentant l'auteur.
Une histoire d'amour bohème dans le vieux New York, près de Washington Square, entre Eden Bower, une jeune chanteuse fraichement débarquée de l'Ouest et Hedger, un peintre, qui vit en solitaire avec son bouledogue César dans un studio et dont l'arrivée de cette très belle voisine changera la vie.
" de tous mes livres peu me sont indispensables : deux sont toujours parmi les choses à ma portée, où que je sois.
Ici même ils sont près de moi. ce sont : la bible et les livres du grand poète danois jens peter jacobsen. a propos, connaissez-vous ses oeuvres ? procurez-vous le petit volume six nouvelles et le roman niels lyhne. commencez par la première nouvelle, qui a pour titre mogens. un monde vous saisira : le bonheur, la richesse, l'insondable grandeur d'un monde.
...lisez ensuite l'admirable livre sur le destin et les passions de marie grubbe, les lettres de jacobsen, ses pages de journal, ses fragments et enfui ses vers qui vivent en résonances infinies.
Vivez quelque temps dans ces livres, apprenez-y ce qui vaut, selon vous, d'être appris ; mais surtout aimez-les. cet amour vous sera mille et mille fois rendu, et quoi que devienne votre vie, il traversera, j'en suis certain, le tissu de votre être, comme une fibre essentielle, mêlée à celles de vos propres épreuves, de vos déceptions et de vos joies. " rainer maria rilke " lettres à un jeune poète "
Le Philoctète de Heiner Müller n'est pas une adaptation de la pièce grecque mais un palimpseste qui efface et recouvre l'oeuvre première, et la laisse transparaître par instants sur le mode de la radiographie. Dans ce Philoctète il n'y a pas de choeur, pas de deus ex machina, pas d'apparition d'Héraclès pour rendre possible le happy end final. C'est un Philoctète sans Dieu (x). Heiner Müller ne rivalise pas avec Sophocle, il détruit, démolit, déconstruit le modèle tragique des philosophes allemands qui, à l'aube du 19e siècle, ont inventé la Grèce des Allemands qui devait faire pièce à la Grèce de Racine et des Français. Le Philoctète de Heiner Müller brise et fait saigner la statuaire grecque implicite dans l'interprétation de Hegel (dans l'Esthétique). De son Philoctète beckettien Heiner Müller a dit un jour qu'il était " le négatif d'une pièce communiste ". Le vers müllérien, habité par des tensions contraires, entre tragique et brutalité, semble avoir subi le maximum de violence qu'un vers puisse endurer sans cesser d'être de la poésie.