Le Parti sous Staline:non pas le P.C.U.S., mais, pour une fois, le parti des communistes. Présentés par Nicolas Werth, voici les textes qui racontent les tâches, les ambitions et les hantises quotidiennes des militants. Autobiographies, interrogatoires, enquêtes, rapports, directives et confessions, souvent tirés des inappréciables Archives de Smolensk, disent l'idéal et la misère de ceux qui avaient rêvé d'inventer l'homme nouveau et de mériter dans l'effort et dans la peine le digne nom de communistes.
«Les documents que nous présentons ici n'ont nullement l'ambition de former un récit continu du mouvement anarchiste en France ni de fournir l'image complète de la doctrine et de l'action. Il suffira pourtant de les parcourir pour en constater l'intérêt ; leur saveur, leur variété nous justifieront d'avoir préféré ici l'inédit au connu et sacrifié l'explication générale du phénomène anarchiste à quelques coups de projecteur limités mais essentiels.
Il nous a paru, en effet, que quelques textes - comme les curieux Mémoires de Ravachol ou de Garnier, un des «bandits tragiques» - des dossiers de police inédits et des correspondances privées - comme celle de Victor Serge - étaient dans leur crudité et leur continuité aussi éclairants que de longs commentaires et, surtout, portaient sur les hommes et leurs actes un témoignage d'une autre nature que l'analyse historique, qui méritait donc d'être entendu.
D'où cette galerie d'hommes, d'actes de témoignages que relie seulement un fil conducteur mais qui, de la Commune à la Grande Guerre, illustre les moments les plus marquants de la geste anarchiste. L'action militante, individuelle avec Ravachol, devient collective avec l'entrée des anarchistes dans les syndicats et les Bourses du Travail. Elle redevient individuelle et dégénère avec Bonnot et sa bande.» Jean Maitron.
Les marginaux n'ont pas toujours existé. Longtemps, le pauvre, le vagabond, le truand - grand ou petit - a été accepté par la société, qui le reconnaissait - et le punissait - comme tel. Les choses changent à la fin du Moyen Âge. Le travail devient la valeur sociale fondamentale des sociétés européennes. Ceux qui ne vivent pas de leur travail sont désormais des asociaux, «inutiles au monde»:il faut donc les enfermer ou les mettre au travail forcé, car leur existence même défie l'ordre social. Ils deviennent alors des marginaux et s'organisent de façon autonome aux frontières de la société régulière, en bandes ou en cours des miracles que de nombreux textes médiévaux et du XVI? siècle nous décrivent. C'est le monde de la marginalité et l'histoire de sa progressive exclusion que décrit Bronislaw Geremek.
Une révolution sans révolution ? Un siècle avant que la France ne fasse du passé table rase et qu'elle n'enfante, dans la douleur, une société neuve, l'Angleterre invente pacifiquement une monarchie tempérée qui devient aussitôt une référence obligée de la réflexion politique. Car la Glorieuse Révolution de 1688-1689, qui fascinera tant Voltaire et Montesquieu, ne veut pas être une rupture radicale : elle se donne bien plutôt comme un retour aux libertés immémoriales de la nation. L'événement a laissé derrière lui des monuments : le Bill of Rights, la loi sur la tolérance ; il a trouvé en Locke son éclatant théoricien. Au plus près des sources, Bernard Cottret restitue ici dans toute sa savoureuse complexité, dans ses hésitations, dans ses contradictions aussi la genèse d'un moment décisif de l'expérience politique occidentale.
La pluie, la boue, un engagement hasardeux, une canonnade incertaine. Pourquoi Valmy ? Depuis, on s'affronte sur le sens d'un combat qui divise parce qu'il définit notre histoire. Voici les pièces du dossier. Pour la première fois, à travers les registres de contrôle des troupes, Jean-Paul Bertaud retrouve les hommes : ceux qui, d'une bataille confuse, ont fait le premier moment de la guerre des peuples et le symbole d'un monde neuf. Les hommes, le pays réel : la démocratie en armes.
David O'Connell a rassemblé pour la première fois le corpus des propos de Saint Louis, c'est-à-dire tout ce qui a été dit par le roi et jugé digne d'être rapporté par ceux qui ont écrit sur lui, en son temps. C'est un voyage unique dans la psychologie historique, le vocabulaire, l'outillage verbal et mental d'un roi du XIII? siècle et de ses historiographes. Car le roi pieux et sage - considéré comme saint de son vivant, canonisé vingt-sept ans après sa mort - est un prêcheur hanté par la passion de l'exemple. Le primat de la parole qui s'exprime ici est une chose nouvelle, puisque jusqu'alors on célébrait les héros et les saints dans des poèmes, des chansons de geste ou des hagiographies. Saint Louis parle volontiers. Paix et guerre, foi et justice, pauvreté et charité, corps et péché, ce sont les mots, les images, les obsessions d'une voix vive encore. Histoire et légende:ils disent les tâches et les espoirs du métier de roi, les angoisses du pénitent, et la simplicité d'un saint du juste milieu au siècle de la parole.
La Cour suprême, toutes chambres réunies, le 12 juillet 1906, après une longue et minutieuse instruction qui ne laissa rien subsister de l'accusation, proclama enfin l'innocence du capitaine Dreyfus, condamné une première fois le 22 décembre 1894, une deuxième fois le 9 septembre 1899, en annulant sans renvoi le jugement du Conseil de guerre de Rennes. Ce capitaine paria, privé des honneurs militaires, comment est-il devenu le symbole d'une République de justice et de liberté ? De l'affaire de famille à l'affaire d'État, il fallut des années de démarches, de mobilisation, de conviction inébranlable partagée par une poignée pour convaincre nombre de ténors politiques et consciences intellectuelles - malgré les apparences, en dépit de la force de l'appareil d'État, contre l'alliance de l'armée, de la justice et de l'Église. Voici les souvenirs de Mathieu Dreyfus, l'âme de la réhabilitation, le «frère admirable» et l'animateur du premier groupe de pression dans l'histoire politique contemporaine.
Quarante ans de guerre ininterrompue, une des grandes tragédies du XX? siècle, dont les origines précises, en 1945-1946, sont toujours demeurées obscures. Paris et Saigon avaient accrédité la thèse de l'agression Viet Minh. Dans son Histoire du Vietnam (1952), Philippe Devillers avait déjà balayé les pieuses légendes et les mensonges flagrants. L'ouverture des archives publiques et des papiers privés lui permet, trente-cinq ans après, de reconstituer le puzzle et d'aboutir aux conclusions définitives. Elles établissent ce que l'on osait à peine supposer:le pire.
Écoutez ces voix toutes proches, écoutez ces voix:elles viennent de si loin. Écoutez parler ces gens très ordinaires:tous sont juifs, chacun à sa mode; et c'est pourquoi un jour ils ont quitté leur pays natal. Pourquoi? pourquoi tous ces chemins devaient-ils mener en France? Cinquante histoires de vie, provoquées puis recueillies par Lucette Valensi et Nathan Wachtel, cinquante destins se répondent pour raconter cette histoire et pour évoquer une mémoire. Mémoire individuelle et, inséparablement, mémoire collective dans laquelle le souvenir n'a de sens que parce qu'il témoigne d'une expérience partagée. Ces voix juives venues de partout racontent toutes l'exil et le deuil. Mais elles disent aussi la volonté de survivre et de sauver la mémoire du bonheur et de l'indicible. Inlassables, elles répètent l'impératif biblique, l'obligation essentielle et toujours actuelle:zakhor, souviens-toi.
Le football a envahi notre culture quotidienne. Avec lui, le sport s'est fait spectacle, image, texte. Il draine les passions et l'argent. Il n 'en a pas toujours été ainsi. À ses débuts, voici un siècle, le ballon rond importé d'Angleterre n'intéressait que quelques marginaux. Obstinément, il s'est imposé face à la gymnastique, à l'athlétisme, au rugby, jusqu'à devenir le port populaire par excellence. Alfred Wahl raconte ce long cheminement qui peut servir de révélateur aux transformations majeures de la société contemporaine : tant il est vrai que le football, premier jeu de France, est devenu un fait social total.
«Il existe, soutient Chateaubriand, un monument précieux de la raison en France:ce sont les cahiers des trois ordres en 1789. Là se trouvent consignés, avec une connaissance profonde des choses, tous les besoins de la société.» La Révolution est née de la conjonction d'une crise économique et d'une crise politique où s'affrontaient la monarchie, incapable de se réformer, l'aristocratie, attachée à ses privilèges, la bourgeoisie, enrichie par la prospérité économique de la veille et enhardie par les Lumières au point de vouloir gouverner, et les éclats inattendus, anciens dans beaucoup de leurs traits, nouveaux dans d'autres, du prolétariat des villes et des campagnes subitement poussé à de brutales et massives initiatives. Dans ce climat complexe furent rédigés, en toute liberté, le plus souvent à la fin de l'hiver 1788 et au début du printemps 1789, en pleine crise, des dizaines de milliers de cahiers de doléances. Pour la première fois, la majeure partie du peuple de France a la parole. Des dizaines de milliers de cahiers, Pierre Goubert et Michel Denis ont extrait les passages les plus significatifs et les plus vivants. Le lecteur demeure frappé par leurs contradictions, leur médiévalité autant que par leur nouveauté.
Le 17 octobre 1945 : les masses portent Juan Perón au pouvoir. Qu'est-ce que le péronisme ? Une doctrine : le justicialisme ; une réussite personnelle : celle du Lider et d'Evita. Mais aussi la réponse complexe et contradictoire aux problèmes posés par la croissance convulsive d'un pays jeune. L'aventure péroniste prend, vingt ans plus tard - après un dernier échec aussi, et la mort du vieux chef - son vrai sens : entre fascisme et socialisme, les textes essentiels dessinent pour l'histoire la figure ambiguë d'un bonapartisme latino-américain.
Non pas le capitalisme, mais les capitalistes : des propriétaires fonciers aux maîtres de forges, des banquiers aux patrons techniciens, des grands spéculateurs aux nouveaux industriels, voici la longue ascension des rois du siècle.
Journaux intimes et proclamations publiques, généalogies et papiers d'affaires disent la vérité, les valeurs communes et les contradictions d'un groupe qui, ancien et nouveau mêlés, conquiert opiniâtrement sa place parmi les élites d'une société dont il ne met en cause ni les rigidités, ni les hiérarchies.
Leur percée sociale accomplie, les capitalistes auront su proposer à la france du xixe siècle des valeurs : le travail, l'enrichissement, et l'idéalisation de leur personnage collectif : le patron est l'homme par qui le bien-être arrive.
Du collège au lycée, de la Renaissance à la République, voici l'histoire d'une institution scolaire. On n'en a souvent retenu que les mutations et les innovations, réelles ou projetées. Archives à l'appui, Marie-Madeleine Compère insiste au contraire sur l'extraordinaire continuité des formes et des pratiques : des contenus transmis à l'architecture scolaire, des fonctionnements sociaux aux valeurs culturelles, elle domine, pendant plus de trois siècles, la généalogie de notre enseignement secondaire.
Régulièrement célébré depuis sa naissance internationale en 1890, le 1er mai, affirmation de la conscience de classe, démonstration de force revendicative et fête des travailleurs, est considéré par le pouvoir comme un baromètre social. Loin d'une histoire sèchement politique, voici une histoire symbolique : affiches, discours, chansons, récits et archives rendent sensibles la signification de la date et les formes de la fête, la portée des gestes et des mots, la mise en scène des cortèges et de l'espace, le langage des fleurs, des musiques et des couleurs. Du Grand Jour au Grand Soir, de la journée de huit heures aux congés payés du Front populaire, les battements de ce que Thorez appelait «le grand coeur de la classe ouvrière».
L'histoire de l'abbatiale Saint-Denis, haut lieu de la monarchie française, ne s'est pas arrêtée avec la fin de l'Ancien Régime, ni même avec la destruction des tombeaux royaux ordonnée par la Convention en 1793. Napoléon I?r, attentif à l'appel de Chateaubriand, en ordonne la restauration et l'élit comme lieu de son tombeau ; Louis XVIII y transfère les cendres de Louis XVI ; Napoléon III souhaite y être enterré. À la mort de Viollet-le-Duc, en 1877, les travaux sont presque achevés, mais l'avènement de la République et les conflits avec l'Église vont-ils faire de la basilique un monument sans usage ?Commence alors un troisième chapitre dans la chronique de ce «lieu de mémoire» entre tous exemplaire : celui de sa réaffectation culturelle. Comment concilier le souvenir des rois et des empereurs, l'exercice du culte et les exigences d'un tourisme toujours plus nombreux ? Le Saint-Denis d'aujourd'hui saura-t-il assumer ses héritages contradictoires ? Sans doute n'est-il pas de lieu où soit posé avec davantage d'acuité le plus difficile des problèmes du patrimoine : quelle vie rendre à nos grands monuments ?
Le 6 février 1934, les anciens combattants et les ligues d'extrême droite manifestent dans Paris contre la République des scandales. Le sang coule. Le lendemain, le gouvernement Daladier démissionne. Le drame, apparemment, se dénoue. Serge Berstein reprend ici les dossiers de la commission officielle d'enquête et les confronte, pour la première fois, avec les archives personnelles de Daladier. Dans les figures de l'événement, il retrouve l'expression d'une société en crise. Mais le 6 février, révolution composite et manquée, est aussi un précédent décisif : le temps des radicaux est passé ; la République parlementaire s'est suicidée ; la voie est libre pour d'autres tentatives.
Entre les administrateurs d'Ancien Régime et les technocrates contemporains, voici les hauts fonctionnaires du XIX? siècle. Préfets et diplomates, directeurs généraux, hauts magistrats, membres des grands corps de l'État, ils assurent la continuité avec l'ordre ancien en même temps qu'ils incarnent les valeurs nouvelles : le mérite, la compétence, la technique. Portrait d'un groupe social en expansion, mais aussi moment essentiel de notre histoire : car, intellectuels et hommes d'action, ces hommes-orchestres ont su très tôt choisir, contre les apparences éphémères, la réalité du pouvoir et devenir, lieu de passage obligé, le carrefour de la classe dirigeante.