On la dit laide, revêche, frigide, avare, aigrie, ennuyeuse et ennuyée. On l'imagine avec ses chats, ses pelotes de laine et sa solitude. Parce qu'elle n'a pas eu la chance de trouver un mari ou de faire des enfants, la vieille fille représente un échec. Elle est celle qui n'a pas joué ou qui a perdu au jeu de l'amour. Elle est ce que l'on ne souhaite pas aux jeunes filles de devenir, une image épouvantail.
Pourtant, la vieille fille a-t-elle vraiment un destin aussi peu enviable?? Lui a-t-on d'ailleurs demandé son avis?? Et si la vieille fille ne racontait finalement pas tant sa propre condition qu'elle ne tendait un miroir à celles qui ont eu la chance de ne pas connaître ce sort honteux?? Si elle était plutôt celle qui échappe aux carcans, à la surveillance, aux loyautés et aux alliances impossibles à défaire, à l'espace et au temps constamment partagés??
Journaliste, Marie Kock est aussi ce qu'on appelle une « vieille fille ». Mêlant récit personnel, pop culture et études sociologiques, Vieille fille formule une hypothèse : qu'il est possible d'inventer d'autres manières de vivre, pour soi et avec les autres, de trouver l'amour ailleurs, autrement. D'avoir, simplement, envie d'autre chose.
Depuis septembre 2022 des femmes et des hommes, souvent jeunes, se sont engagés en Iran dans un travail de conquête politique et d'ouverture des possibles qui nous remue à un endroit précis : celui de la possibilité, toujours, du soulèvement. Voici la chronique à distance d'une révolte qui s'est installée dans la durée avec surprise, audace et incertitude. Ce long automne insurrectionnel convoque aussi d'autres séquences de l'histoire iranienne, se trouve éclairé par d'autres mouvements, d'autres mémoires de luttes et de violences. Une histoire longue du pouvoir et de la résistance, que Chowra Makaremi connaît par son passé familial, par ses recherches également, en tant qu'anthropologue attentive aux contre-archives et aux émotions collectives.
L'autrice donne aux événements une profondeur de champ qui permet d'en identifier les genèses multiples, et de saisir le basculement révolutionnaire irréfutable qu'ils représentent. Elle compose une archive à la lumière orange des feux de rue, devenus le symbole d'une révolte qui se vit comme une combustion de colère, une profanation, une contagion.
Le 13 juillet 1993, un Appel à la vigilance , signé par quarante ?gures de la vie intellectuelle française et européenne, alertait sur la banalisation des discours d'extrême droite dans l'espace éditorial et médiatique. Ses signataires rappelaient que ces discours ne sont pas simplement des idées parmi d'autres, mais des incitations à l'exclusion, à la violence, au crime et que, pour cette raison, ils menacent tout à la fois la démocratie et les vies humaines . En conséquence, ils proclamaient s'engager à refuser toute collaboration à des revues, des ouvrages collectifs, des émissions de radio et de télévision, des colloques dirigés ou organisés par des personnes dont les liens avec l'extrême droite seraient attestés .
Trente ans ont passé, et c'est peu dire que cette alerte n'a pas été entendue, notamment en France. Avec le recul, cet Appel à la vigilance prend la stature d'une prophétie ayant tôt cherché à conjurer ce qu'il nous faut aujourd'hui combattre : l'installation à demeure dans l'espace public des idéologies xénophobes, racistes, identitaires, rendant acceptables et fréquentables les forces politiques qui promeuvent l'inégalité des droits, la hiérarchie des humanités, la discrimination des altérités. Quand avons-nous baissé la garde ? Quelle est la responsabilité des journalistes et des intellectuels dans cette débâcle ? Comment, au nom de la liberté de dire, de tout dire, y compris le pire et l'abject, la scène médiatique est-elle devenue le terrain de jeu d'idées et d'opinions piétinant les principes démocratiques fondamentaux ?
« La génération actuelle de révolutionnaires du management s'emploie à inculquer de force la flexibilité aux salariés et considère l'éthos artisanal comme un obstacle à éliminer. On lui préfère de loin l'exemple du consultant en gestion, vibrionnant d'une tâche à l'autre et fier de ne posséder aucune expertise spécifique. Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Imaginez à côté le plombier accroupi sous l'évier, la raie des fesses à l'air. » Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think-tank à Washington.Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir... un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion professionnelle, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle l'une des réflexions les plus fines sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.
Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce « travail intellectuel », dont on nous rebat les oreilles depuis que nous sommes entrés dans l'« économie du savoir », se révèle pauvre et déresponsabilisant. De manière très fine, à l'inverse, il restitue l'expérience de ceux qui, comme lui, s'emploient à fabriquer ou à réparer des objets - ce qu'on ne fait plus guère dans un monde où l'on ne sait plus rien faire d'autre qu'acheter, jeter et remplacer. Il montre que le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d'un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l'« économie du savoir ».
« Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis... »
À quoi renvoie le « Q » qui complète désormais le plus souvent les quatre lettres du traditionnel sigle LGBT ? « Queer » : est-ce une identité de genre ? une orientation sexuelle ? un mouvement politique ? une théorie académique ?
Alors que l'on voit depuis quelques années le terme « queer » fleurir sur les pancartes lors des Marches des fiertés et se multiplier dans les ouvrages théoriques portant sur le genre et la sexualité ou encore dans les mots des activistes féministes, cet ouvrage entend aider les lecteurs et lectrices à y voir plus clair dans ce vaste champ des études et mouvements queers. Politiques des identités, rôles de genre, privilèges, exclusion, performance, normativité, liens entre sexualité, identité de genre, race et classe, influence de la pop culture...Queer Theory, une histoire graphique revient sur les concepts clés, les penseurs et penseuses les plus importantes - souvent peu connues du lectorat francophone -, les débats emblématiques et les événements historiques qui ont participé à l'émergence et la construction de la théorie queer.
Engagé et drôle, ce livre à mi-chemin entre l'essai et la bande dessinée est un portrait unique de l'univers de la pensée queer, depuis sa naissance jusqu'à ses développements les plus actuels.
Peut-on continuer à faire de la politique comme si de rien n'était, comme si tout n'était pas en train de s'effondrer autour de nous ? Dans ce court texte politique, Bruno Latour propose de nouveaux repères, matérialistes, enfin vraiment matérialistes, à tous ceux qui veulent échapper aux ruines de nos anciens modes de pensée.
Cet essai voudrait relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien -; et par conséquent dont ils ne voient pas l'immense énergie politique qu'on pourrait tirer de leur rapprochement.
D'abord la dérégulation qui va donner au mot de globalisation un sens de plus en plus péjoratif ; ensuite, l'explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités ; enfin, l'entreprise systématique pour nier l'existence de la mutation climatique.
L'hypothèse est qu'on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans, si l'on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation. Tout se passe en effet comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu'il n'y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants. C'est ce qui expliquerait l'explosion des inégalités, l'étendue des dérégulations, la critique de la mondialisation, et, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l'État national.
Pour contrer une telle politique, il va falloir atterrir quelque part. D'où l'importance de savoir comment s'orienter. Et donc dessiner quelque chose comme une carte des positions imposées par ce nouveau paysage au sein duquel se redéfinissent non seulement les affects de la vie publique mais aussi ses enjeux.
Depuis quelques années, les entreprises semblent enfin s'attaquer aux discriminations envers les femmes. Les inégalités femmes/hommes seraient en effet responsables d'un manque à gagner abyssal pour l'économie, et les entreprises dont les conseils d'administration ou les comités de direction s'ouvrent davantage aux femmes seraient plus performantes. Il faut donc agir, et vite !
De grandes dirigeantes du monde des affaires ou de la politique expriment ainsi publiquement un engagement féministe, tandis que les multinationales comme les start-up s'affichent en pionnières de cette lutte en proposant formations à l'empowerment destinées aux femmes, marketing reprenant slogans et symboles féministes, communication axée sur la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, ou encore politiques dites de diversité...
Ce nouveau féminisme qui emprunte au marché sa logique et son vocabulaire est celui offert par le capitalisme néolibéral aux femmes aspirant à " briser le plafond de verre ". Mais cette égalité qui vise avant tout à nous rendre plus compétitives et à nous mettre en concurrence est-elle désirable ? En abordant le féminisme sous l'angle du développement personnel ou de la logique entrepreneuriale, ne risquons-nous pas d'en affaiblir sa capacité à révolutionner la société ? Face à la tentative de récupération de nos souhaits d'égalité et d'émancipation, cet essai tente de hacker l'algorithme du féminisme néolibéral.
J'ai passé dix ans au pays psychiatrique, ma vingtaine. Années pendant lesquelles j'ai le corps bourré de chimie, la tête écrasée dans l'emprise des discours des psychiatres, une peur XXL verrouillée dans le ventre. Dans ce récit j'ouvre une fenêtre sur un espace qui est tout le temps clos : celui de l'hôpital psychiatrique et des violences qu'on y croise et subit, celui des consultations qui dissocient deux mondes bien distincts. D'un côté, les psychiatrisés, de l'autre, ceux qui possèdent les droits de dominer. Un espace dans lequel l'abus de pouvoir bat son plein. C'est cette histoire-là que je raconte.
J'ai des soucis de santé mentale, j'en avais avant la psychiatrie, j'en ai encore aujourd'hui et je surveille ma tête comme on veille le lait sur le feu. Pour me sentir plus forte j'ai eu besoin de trouver comment dire avec justesse ma propre histoire, et j'ai eu envie d'un récit collé au plus près de l'intime pour que d'autres s'y retrouvent. Ce livre vient d'un désir de mise en commun : pour une fois, les transmissions d'informations utiles se font de notre côté à nous. J'ai écrit pour que nous nous sentions moins seuls, j'ai écrit dans la crudité des événements, sans lisser les faits, sans tenter de minimiser leur cruelle portée.
Un récit chargé qui fait pourtant comme une bouffée d'air.
Lobby des pesticides. Lobby du tabac. Lobbies de la chimie, de l'amiante, du sucre ou du soda. On évoque souvent les « lobbies » de façon abstraite, créatures fantastiques venues du mystérieux pays du Marché, douées de superpouvoirs corrupteurs et capables de modifier la loi à leur avantage. Pourtant, les firmes qui constituent ces lobbies ne sont pas anonymes et leur influence n'a rien de magique. Leurs dirigeants prennent en toute conscience des décisions qui vont à l'encontre de la santé publique et de la sauvegarde de l'environnement.
C'est cet univers méconnu que Stéphane Horel, grâce à des années d'enquête, nous fait découvrir dans ce livre complet et accessible. Depuis des décennies, Monsanto, Philip Morris, Exxon, Coca-Cola et des centaines d'autres firmes usent de stratégies pernicieuses afin de continuer à diffuser leurs produits nocifs, parfois mortels, et de bloquer toute réglementation. Leurs responsables mènent ainsi une entreprise de destruction de la connaissance et de l'intelligence collective, instrumentalisant la science, créant des conflits d'intérêts, entretenant le doute, disséminant leur propagande.
Dans les cercles du pouvoir, on fait peu de cas de ce détournement des politiques publiques. Mais les citoyens n'ont pas choisi d'être soumis aux projets politiques et économiques de multinationales du pétrole, du désherbant ou du biscuit. Une enquête au long cours, à lire impérativement pour savoir comment les lobbies ont capturé la démocratie et ont fait basculer notre système en « lobbytomie ».
Jusqu'à une date récente, l'emprise du pétrole sur le monde s'oubliait. Elle allait tellement de soi. Elle réapparaît aujourd'hui au grand jour sous l'effet d'une double menace, énorme : le réchauffement climatique et l'épuisement des réserves de brut. Pourtant, l'examen de notre addiction au pétrole tarde à devenir une urgence.
Ce livre retrace la grande histoire de l'or noir, notre source principale et tarissable de puissance. Des premiers puits américains, depuis longtemps à sec, jusqu'à nos jours, Matthieu Auzanneau nous convie à une passionnante relecture de l'histoire moderne à l'aune du lien, sans cesse resserré, qui unit l'homme au pétrole. Il montre comment les voies empruntées par l'exploitation pétrolière ont déterminé bien des dynamiques et des rapports de forces au sein de l'humanité, il raconte comment l'abondance du pétrole a transfiguré l'expérience humaine. Mais cette abondance a ses travers et ses limites. Point de bascule de toute l'histoire économique contemporaine, le choc pétrolier de 1973 a pour origine l'amorce trois ans plus tôt d'un déclin inexorable de la production de brut américaine. La guerre d'Irak, trente ans plus tard, était une guerre pour le pétrole. La puissance appelle la puissance, qui est elle-même une affaire d'énergie.
Notre avenir est lié à celui que nous donnerons au pétrole, ou à celui qu'il nous imposera. Enjeu de bien des conflits, la fin du pétrole en tant que ressource primordiale de l'essor technique de l'humanité aura lieu bien avant que ce siècle ne s'achève. Et nul ne sait où cette fin nous conduira...
Sa mère, c'est trop haut, je fais une dépression, là. Comme nous tous, Jordan est épuisé. Au loin apparaît enfin le refuge où nous allons passer la nuit. Nous nous engageons en silence dans un ultime effort, nous qui ne sommes pas des habitués de la randonnée.
Je marche depuis plusieurs jours avec des éducateurs et des jeunes placés dans un foyer de la protection judiciaire de la jeunesse, parfois en alternative à l'incarcération.
Il y a Lyam, le grand taiseux agile comme un chamois, Omar, celui qui rêve de biceps surdimensionnés et d'oublier quelques nuits de sa vie, et Jordan, qui lutte chaque jour pour ne pas s'écrouler.
Arpenter les grands espaces, c'est échapper un temps à ce lieu où ils cohabitent, dans le nord de la France, avec d'autres adolescents. Des jeunes aux vies orageuses, remplies de plus de déceptions, de ruptures et de violences qu'une personne peut absorber en une vie entière. Tous les jours, des éducateurs et éducatrices les aident à ne pas chuter.
D'une écriture précise, fine et sensible, l'autrice propose une plongée en apnée dans un foyer pour adolescents dits délinquants. Et ne nous y trompons pas : ces adolescences sur la crête racontent aussi quelque chose de nous, du passage fragile à l'âge adulte. Et de ce qui se passe quand on dérape en grandissant.
De l'Angleterre à la Palestine, de l'Allemagne au Mexique, du Brésil à l'Égypte, de la France à l'Afrique du Sud, ce livre raconte une autre histoire du ballon rond, depuis ses origines jusqu'à nos jours.
Le football ne se résume pas au foot-business : depuis plus d'un siècle, il a été un puissant instrument d'émancipation pour les ouvriers, les féministes, les militants anticolonialistes, les jeunes des quartiers populaires et les contestataires du monde entier.
L'auteur retrace le destin de celles et ceux qui, pratiquant ce sport populaire au quotidien, en professionnels ou en amateurs, ont trop longtemps été éclipsés par les équipes stars et les légendes dorées. Prenant à contre-pied les clichés sur les supporters de foot, il raconte aussi l'étonnante histoire des contre-cultures footballistiques nées après la Seconde Guerre mondiale, des hooligans anglais jusqu'aux ultras qui ont joué un rôle central dans les printemps arabes de 2011. En proposant une histoire « par en bas », en s'attachant à donner la parole à tous les protagonistes de cette épopée, Mickaël Correia rappelle que le football peut être aussi généreux que subversif.
Avoir ses « ourses », ses « ragnagnas », ses « coquelicots » ou « l'Armée rouge dans sa culotte »... : quelle que soit la façon dont on l'appelle, ce phénomène naturel qui consiste, pour les femmes, à perdre un peu de sang tous les mois (sans en mourir !) reste un tabou dans toutes les sociétés. Pour en finir avec cette injustice, Élise Thiébaut nous propose d'explorer les dessous des règles de manière à la fois documentée, pédagogique et pleine d'humour : à partir de son histoire personnelle, elle nous fait découvrir les secrets de l'ovocyte kamikaze et de la mayonnaise, l'histoire étonnante des protections périodiques (ainsi que leurs dangers ou plaisirs), les usages étranges que les religions ont parfois fait du sang menstruel... Et bien d'autres choses encore sur ce fluide, qui, selon les dernières avancées de la science, pourrait bien être un élixir de jouvence ou d'immortalité.
Alors, l'heure est-elle venue de changer les règles ? La révolution menstruelle, en tout cas, est en marche. Et ce sera probablement la première au monde à être à la fois sanglante et pacifique.
Dès l'instant où je suis née, j'ai porté sur moi les marques évidentes du handicap. Ma relégation aux marges de la société s'est alors installée irrémédiablement et il semblait naturel que mon existence se déroule en bas de la hiérarchie des vies humaines.
Mais ce destin tragique n'a rien de naturel : il est écrit par une société qui érige des normes à coups de mesures légales et d'examens médicaux et exclut certains corps, certaines vies. Aller à l'école, travailler, se loger, tomber amoureuse, se déplacer, militer, élever des enfants... Toutes les activités qui font de nous des êtres sociaux sont très difficilement acces-sibles aux personnes handicapées. Plus que nos corps et nos esprits, ce sont les structures sociales qui entravent nos vies. Dans cet essai autobiographique, je retrace cette histoire de violences et de discriminations dont j'ai hérité et décrypte le système idéologique qui les soutient : le validisme. Mais je raconte aussi que nous, les personnes handicapées, pouvons nous réapproprier cette histoire et faire de nos identités des outils de lutte pour l'émancipation et des sources de fierté.
Des quartiers populaires aux Gilets jaunes, la question des violences policières est désormais centrale dans la société française. La transition entre une démocratie représentative, fondée sur la séparation des pouvoirs, et un État policier les fusionnant commence à être documentée par des sociologues et historiens, montrant qu'en laissant les coudées franches aux forces de l'ordre, le pouvoir politique ?nit par s'y aliéner.
Or, si les violences policières peuvent se systématiser, c'est qu'elles sont sous-tendues par d'autres abus, moins spectaculaires, plus raf?nés et éloignés des caméras, qu'il faut bien nommer pour ce qu'ils sont : des violences judiciaires . L'interpellation, la garde à vue, le jugement et l'emprisonnement des opposants politiques, d'un côté ; l'immunité accordée aux forces de l'ordre, de l'autre : c'est à chaque fois le pouvoir judiciaire qui valide ou actionne les agissements de la police. Dans un état d'urgence permanent, où la lutte contre le terrorisme semble tout autoriser, on assiste à une surenchère des arrestations, procès politiques et condamnations, qui brisent de plus en plus de vies.
C'est depuis son expérience intime de la répression, au coeur de la machine judiciaire, que Raphaël Kempf analyse les mécanismes judiciaro-policiers qui limitent de plus en plus gravement la capacité des citoyens à s'exprimer.
Pourquoi la cause climatique n'est-elle pas embrassée par les classes populaires, alors qu'elles sont in?niment moins responsables et in?niment plus victimes des dégradations environnementales que les catégories aisées ? Parce que la question est mal posée. Face aux partisans du capitalisme vert, qui nous promettent que nous pourrons continuer à jouir sans entraves, grâce aux technologies et au marché, la gauche semble désarmée. Elle a beau clamer que ?n du monde et ?ns de mois sont les deux faces d'un même combat, elle laisse s'installer l'idée que l'écologie est un nouvel ascétisme. Or nous voulons la vie large !
Il faut donc prendre le mal à la racine : s'attaquer frontalement aux inégalités et à l'hyper-concentration des richesses, qui sont le moteur de la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre et de la perte de biodiversité. Dénoncer les mythologies libérales de la « croissance verte » et du « découplage ». Faire de la justice climatique une authentique lutte sociale, fédérant les nouveaux damnés de la terre. Soustraire la dé?nition de nos modes de production et de consommation aux forces du marché, pour les soumettre à la délibération démocratique. Développer massivement les services collectifs essentiels, pour mettre ?n à l'insécurité de l'existence et réparer la planète. Bref, faire que la vie large ne soit plus le privilège de quelques-uns, mais la réalité de tous.
En traçant une voie à la fois désirable et praticable sans escamoter les dif?cultés de la transition, ce manifeste donne au combat pour la justice climatique une réelle puissance mobilisatrice.
La psychanalyse a-t-elle encore des choses à dire ? À une époque où les études de genre, les analyses de Foucault et les mouvements LGBTQI+ ont inventé d'autres perspectives en matière de genre et de sexualité, comment peut-on encore parler de l'Oedipe, de l' envie de pénis , de la différence des sexes ? Près de cent cinquante ans après son invention par Freud, soixante-dix ans après sa relecture par Lacan, la psychanalyse peut-elle prendre en compte les évolutions sociales sans être dénaturée ?
Certains psychanalystes s'érigent en experts de la vie psychique , en détenteurs des normes sexuelles et sociales : ils considèrent l'homoparentalité, la PMA ou la transidentité comme des symptômes du règne de la toute-puissance de l'individu. Selon eux, Foucault, Butler, Bourcier, Preciado ne comprennent rien à leur discipline et, pire, la dé?gurent.
Pourtant, Freud puis Lacan ont eu à coeur de laisser la psychanalyse ouverte à la réinvention : elle est un champ et une pratique traversés par les sciences, la culture et les mouvements de chaque époque. Si elle souhaite se réinventer et renouer avec ses origines subversives, la psychanalyse pourrait aujourd'hui dialoguer avec les théories féministes, les études queers et les mouvements trans, et se laisser instruire par d'autres expériences érotiques et politiques. C'est en redevenant une théorie critique et inventive, à l'affût des nouveaux savoirs et pratiques, que la psychanalyse peut renouer avec l'émancipation.
Je suis une personne née sous X, qui ne possède rien de son passé : ni antécédents médicaux, ni arbre généalogique, ni mémoire familiale. Je dois donc écrire mon histoire pour ne pas être qu'une somme de silences, de traumas et de dépossessions. Ce livre est une trace, une archive, une pièce du puzzle que je tente de compléter grâce à l'analyse politique de ce qui m'arrive.
On oublie trop souvent que si des familles sont constituées par l'adoption, c'est parce que d'autres, plus précaires, ont été détruites. Qu'il s'agisse des rapports de classes, des inégalités mondiales ou du continuum colonial, en contexte occidental, l'adoption est inscrite dans une histoire de violences. C'est de cette histoire que les personnes adoptées héritent ; contre ses persistances qu'elles luttent.
Devons-nous être une tabula rasa pour que l'adoption fonctionne ? Qui sont nos vrais parents ? Est-ce une chance d'être adoptée ? Suis-je une vraie Noire ? Cet essai autobiographique invite à s'interroger sur l'identité, la filiation et la parentalité à partir du regard que nous, personnes adoptées, posons sur la famille et la société.
Dans l'ordre de la modernité, le Nègre est le seul de tous les humains dont la chair fut faite marchandise. Mais dans un retournement spectaculaire, ce nom honni est devenu le symbole du désir de vie, une force pleinement engagée dans l'acte de création. En analysant cette étonnante contradiction de l'« expérience nègre », Achille Mbembe répond ici à quelques questions dérangeantes : la relégation de l'Europe au rang d'une simple province du monde signera-t-elle l'extinction du racisme, avec la dissolution de l'un de ses signifiants majeurs, le Nègre ? Ou au contraire, une fois dissoute cette figure historique, deviendrons-nous tous les Nègres du nouveau racisme qui pointe, avec la poussée antimigratoire en Europe et l'assignation raciale de catégories entières de la population ?
L'espèce humaine a accumulé des connaissances sur la nature pour tenter d'en prendre le contrôle. En vain. Nous avons beau nous voir en maîtres du vivant, le monde que nous habitons nous échappe largement.
En étudiant la résistance croissante aux antibiotiques, la capacité de la sélection naturelle à créer de la biodiversité, et même les formes de vie surprenantes qui se sont développées dans le métro londonien ou les rues de New York, Rob Dunn identi?e des lois du vivant qu'aucune activité humaine n'est capable d'abolir. Quand nous créons des îlots agricoles arti?ciels, répandons des déchets toxiques, construisons des mégapoles et modi?ons le climat, nous fournissons à ces lois anciennes de nouveaux matériaux à façonner, et aux ennemis naturels auxquels nous avions échappé l'occasion de revenir nous rendre visite. Dans un futur proche, la Terre sera, de notre fait, beaucoup plus accueillante pour de nouveaux micro-organismes que pour nous-mêmes.
Alors que faire ? Comprendre et respecter les lois de la vie et de l'évolution, répond Rob Dunn. Admettre humblement notre dépendance au reste de la nature, favoriser l'heureuse diversité du vivant, protéger les écosystèmes et les services qu'ils nous rendent : la survie de l'humanité est à ce prix.
Cent entreprises sont responsables de 70 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Et parmi elles, Aramco, Gazprom et China Energy sont les trois premières multinationales qui régurgitent le plus de CO 2 au monde. Inconnues du grand public, elles sont les championnes internationales du pétrole, du gaz et du charbon. Si ce trio était un pays, il incarnerait la troisième nation la plus émettrice, juste derrière la Chine et les États-Unis.
Cette enquête inédite révèle comment ces trois géants industriels déploient tout un arsenal de stratégies redoutables - corruption, néocolonialisme, lobbying, greenwashing, soft power, etc. - pour perpétuer notre addiction au carbone. En continuant coûte que coûte à extraire les ressources des entrailles de la Terre, ils attisent sciemment les flammes qui brûlent notre planète et agissent en criminels climatiques.
Des clubs privés de New York aux couloirs de l'Élysée, des banques de Pékin aux palaces de Riyad, l'auteur dévoile les cercles de pouvoir au coeur de ce capitalisme fossile et la manière dont ces firmes élaborent dans l'ombre une véritable bombe climatique, mettant en péril toute l'humanité.
Alors que la nécessité d'adopter des comportements individuels écoresponsables est sans cesse martelée, ce livre désigne les réels responsables du chaos climatique et montre qu'il est urgent de les mettre définitivement hors d'état de nuire.
À force de le lire et de l'entendre, cela semble admis : la langue française serait en péril. Diverses menaces contribueraient à la dégrader : les argots, les anglicismes, les barbarismes, le langage SMS, le politiquement correct, etc. De fait, défendre la langue est devenu un prétexte facilement recevable pour tempêter contre la société contemporaine (forcément décadente).
Mais qu'est-ce donc qu'aimer la langue française ? C'est passer du temps à lire, parler, écrire et surtout s'interroger : sur la langue, mais aussi sur les discours qui la concernent et sur ceux qui sont tenus en son nom. Le français n'est pas figé, il a une histoire, qui continue à s'écrire. Si la langue est un dispositif de maintien de l'ordre social, elle est aussi une construction politique qu'il est possible de se réapproprier.
Entrons ensemble dans l'histoire sociopolitique du français et dans les débats citoyens qui y ont trait ! Ce sera l'occasion de découvrir les liens subtils entre langue, politique et société. De voir qu'on peut à la fois aimer le français, sa richesse, sa complexité et son histoire, et avoir confiance dans sa vitalité, sans se complaire dans la nostalgie d'un passé mythique. Avoir l'ambition de se saisir de la langue française est une démarche exigeante, mais c'est une exigence joyeuse. Alors n'ayons pas peur de le proclamer : le français est à nous !
Une demi-heure de métro sépare les quartiers parmi les plus pauvres de France de ses zones les plus riches. Partis de Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, une centaine d'étudiants ont enquêté sur trois quartiers bourgeois du VIII e arrondissement de la capitale. Pour s'initier à la démarche sociologique, ils ont dû se familiariser avec un monde nouveau et étrange, dont les indigènes présentent des coutumes et préoccupations insolites.
Boire un café dans un palace pour observer ce qui s'y passe (et être traité comme un client illégitime), stationner dans les boutiques de luxe pour décrire leur organisation (et se faire mettre dehors), apprendre à manger un mille-feuille à 14 euros avec des " bourgeoises ", approcher des institutions prestigieuses où les femmes n'ont pas le droit de vote, se faire expliquer le Bottin mondain et l'arrangement des mariages, interviewer dans son hôtel particulier un grand dirigeant qui " fait partie de ces familles qui ont des châteaux un peu partout " : ce sont quelques-unes des expériences que ces étudiants du 93 ont vécues. En même temps qu'il leur a fallu dompter l'exotisme pour bien comprendre le milieu dans lequel ils pénétraient, ils ont dû encaisser l'humiliation des multiples rappels à l'ordre social que suscitait leur démarche.
Des premières incursions anonymes et timides jusqu'aux face-à face sans échappatoire, ce livre raconte de manière crue et joyeuse les batailles livrées pour mieux connaître un monde social dominant. L'enjeu : renverser l'habitude qui veut que ce soit " ceux d'en haut " qui inspectent l'existence de " ceux d'en bas ".
Qu'arrive-t-il à la gauche ? Est-elle effectivement en train d'agoniser ? Si on n'a cessé, tout au long de sa brève existence, de prononcer son requiem, elle a jusqu'à présent toujours déjoué les pronostics. Pourtant, aujourd'hui, partout dans le monde, les mouvements de la gauche organisée connaissent un déclin important. C'est peut-être qu'il faut y voir le symptôme d'un effacement plus profond et bien plus problématique, celui de l'« imaginaire de l'égalité », qui fut le principal moteur de la gauche mondiale depuis sa naissance au XVIIIe siècle... C'est en tout cas l'hypothèse pour le moins perturbante de ce livre.
Et pour saisir sa pertinence, Shlomo Sand nous propose de remonter aux sources de cet « imaginaire » et d'étudier le façonnement, les transformations et les ajustements de l'idée d'égalité sur plus de deux siècles. Des Diggers de la première révolution anglaise à la formation de l'anarchisme et du marxisme, du tiers-mondisme aux révolutions anticoloniales, des féminismes post-MeToo au populisme de gauche aujourd'hui, ce livre revient en profondeur sur les penseurs et les mouvements qui ont bâti la gauche mondiale. Il montre à la fois les dynamiques globales et transnationales qui les ont animés, souvent en écho les unes avec les autres, la manière dont ils ont pensé l'égalité, mais aussi comment ils se sont heurtés au « mur » de l'égalité réelle et ont pu en tirer, ou non, les leçons nécessaires.
Avec le brio et l'engagement qu'on lui connaît, Shlomo Sand relève le difficile pari d'une brève histoire mondiale de la gauche qui s'adresse, avec un grand sens de la pédagogie, au plus grand nombre, tout en proposant des hypothèses originales à l'heure où nous devons nous employer, de toutes nos forces, à réactiver l'imaginaire égalitaire.