Ce nouveau recueil de Christian Bobin est un véritable Manifeste à l'usage de qui veut échapper à cette modernité toujours plus performante de notre monde cartésien tourné vers le profit, un monde qui court à sa perte en renonçant à la beauté, à la poésie, à l'amour. "La poésie n'est pas un genre littéraire. Les vrais poètes ont un coeur en acier trempé. Ce sont des penseurs primaires qui savent que la lutte est sans pitié avec l'enfer de la Raison." La vie de la poètesse Anna Akhmatova est un exemple : cernée par l'ombre de Staline, elle est modèle de résistance et son oeuvre, hymne à la vraie vie : "Nous croyons, nous, modernes, avoir inventé la brièveté des messages, aussi leur rapidité. Mais qu'est-ce en regard de l'éclair du poème. La reine Akhmatoiva donne congé en un seul vers."
Je ne vois pas la mort comme une montagne de cendres mais comme un fleuve qui sort de la poitrine du mort, une barque chargée à ras bord de fleurs odorantes, une extase dans le noir, la vie à son zénith.
Avec Le Huitième jour de la semaine, réflexion poétique qui ressemble à un récit initiatique, Christian Bobin nous invite à un voyage intérieur où se confond l'intime et l'universel. André Comte-Sponville dans L'Événement du jeudi en décembre 1991 en avait parlé ainsi : "J'ai découvert Christian Bobin par hasard.
Une amie libraire m'avait offert un de ses livres, Le Huitième jour de la semaine, il y a une dizaine d'années, quand il était inconnu, et je sus alors ce que c'est qu'un chef d'oeuvre : un livre qui suffit à justifier qu'on ait vécu jusque-là, pour l'attendre, pour le découvrir, et cela valait la peine, oui, ou plutôt cela valait le plaisir, le bouleversant plaisir d'admirer - enfin ! - un contemporain". Il a réitéré ces propos à La grande Librairie du 4 décembre 2019.
"On a jeté de la vitesse dans quelque chose qui ne le supportait pas." René Char in Lettera Amorosa
Le Christ aux coquelicots est une lettre d'amour adressée à un Christ d'avant l'Église chrétienne, lavé de tout dogmatisme. Aux antipodes des poncifs religieux sur la puissance de Dieu, il nous fait toucher d'une manière miraculeuse à la fragilité du divin.
Par son inspiration, par sa lumière, par l'extrême pureté de sa langue, Le Christ aux coquelicots restera un livre tout à fait unique dans l'oeuvre de Christian Bobin. À qui s'adresse ce livre ? Aux amoureux pour qu'ils ne perdent pas leur amour dans le monde, et à ceux qui ne croient plus en rien parce qu'on leur a dit qu'il n'y avait plus rien ni personne dans cette vie comme dans l'autre.
Carnet du soleil s'inscrit dans la continuité de La plus que vive (Gallimard, 1996) dans la mesure où Christian Bobin reprend aujourd'hui sa plume pour écrire à celle qui bouleversa sa vie en disparaissant prématurément à l'âge de 44 ans : « Mourir ne referme pas le livre à sa dernière page » écrivait-il alors. En effet, il revient aujourd'hui vers elle, il lui parle de tout ce temps qui les sépare et pourtant...
Chez nous on cache son visage.
Le corps, pas d'importance. le corps va nu sous le soleil, le blond soleil qui brûle le jour, qui brûle la nuit.
Car chez nous il n'y a pas de nuit. ce qu'on appelle la nuit c'est par commodité, quand l'amour vient aux amoureux, quand deux corps se serrent l'un contre l'autre comme deux épis de blé sous le même vent. quand deux amants mélangent leurs jambes, on dit qu'ils font la nuit. une nuit privée, une petite nuit de rien du tout pour deux personnes, deux corps légers sous le soleil.
Même quand ils font la nuit, les amants ne se montrent pas le visage. interdit. intouchable. impensable.
Comme pour l'Intouchable, le succès d'estime des Fables fraîches pour lire à jeun ne s'essouffle pas au fil des ans. Il rassemble avec un art du raccourci saisissant le meilleur de l'humour et de la fantaisie de son auteur. Cet ensemble de nouvelles courtes tirées des plus savoureux recueils des années 40 et 50 que Pierre Bettencourt a imprimé lui-même sur sa propre presse, constitue une palette de situations que le caractère farceur, parfois insolent ou provocateur, mais toujours subtil et élégant de son auteur met en scène pour le plus grand bonheur des amoureux de la langue.
De l'humour, de la distance, de la grâce, un mélange de cruauté et de tendresse qui remet l'Homme à sa juste place dans l'univers qu'il devrait selon lui habiter avec une grande modestie, et comme par effraction.
L'Auteur retourne sur son passé pour y chercher la source même de son écriture. La mort croisée dans l'enfance, celle du père, est demeurée chez l'Auteur plus qu'une lampe, la fondation même de l'aventure des mots, de la vie tout court : "En partant, mon père, sans le savoir, m'a transmis toute sa force, son génie d'homme invisible. J'ai toujours considéré que loin d'être banale, la vie ordinaire était la plus haute vie, que nous n'en aurions pas d'autre.
Qu'il fallait faire avec, et parfois s'élever contre." Même la nuit la plus sombre ne parviendra pas à éteindre cette lampe que l'Auteur promène depuis ses premiers livres, et qui est la poésie même. Ecrits comme un peintre ferait des petits tableaux, ces fragments surgissent comme des instantanés, donnant toute sa place à l'inattendu.
«Lire Alexandre Romanès c'est connaître l'épreuve de la plus grande nudité spirituelle» écrit Christian Bobin. Ce nouveau recueil est une mise en abyme incroyablement poétique des deux mondes, celui des Gitans et celui de la société occidentale, dans lesquels vit Alexandre Romanès. Il y déplie leurs confrontations qu'il interroge avec un regard implacable et des gestes d'une sublime douceur, avec une violence vitale et une sensibilité issues d'une mémoire intérieure millénaire. En lisant Le Luth noir, les mots simples semblent retrouver la virginité originelle d'une langue commune, celle du coeur, où l'intuition, la pudeur, la liberté, l'émerveillement perdu mais aussi la mortelle nostalgie trouvent le chemin ascendant d'une pensée pure et délivrée de tout artifice, de toute intention.
L'écriture fragmentaire de La muraille de Chine s'inscrit dans la continuité de La Nuit du coeur (Gallimard, 2018), une muraille qui n'est autre que celle du langage que Christian Bobin combat depuis toujours, la fissurant de l'intérieur avec la simplicité du coeur, la sapant avec la violence de la beauté et la fulgurance du silence. « L'amour c'est d'être entendu sans avoir à parler et que la muraille de Chine du langage ne soit plus qu'une ruine fleurie. » Il ne s'agit pas de « détruire » le langage, mais bien au-delà, de lui redonner son berceau aérien de paroles, coupées de lumière et de vent.
J'avais la cinquantaine passée et les yeux déjà fatigués par tant d'histoires, par tant de tours et de détours de la vie, mais j'avais cependant la certitude - et dieu sait que je n'aime pas le mot certitude - j'avais pourtant la certitude d'avoir franchi pour la première fois une porte, une porte béante...
Les grands semeurs s'ouvrent toujours à la blessure. Par le fil d'Ariane de la blessure. Les voilà, les grands étourdissants, les parfaits déboussoleurs. Ils pensent à partir du vide, ils enjambent les garde-fous, ils rejoignent l'esprit d'aurore. Dans un besoin inextinguible de justesse. Ils épuisent leur folie, ils la fatiguent à l'infini, ils portent chaque seconde à son terme. Voilà. L'éveil, c'est toujours sortir d'un rêve. Z. B.
Un cratère à cordes est un texte « incandescent, aux intonations visionnaires qui nous plonge dans l'espace orgasmique et organique des sombres ardeurs du corps et de l'écriture ». Dans ce dernier écrit, Marcel Moreau empoigne avec ferveur et renouvellement les thèmes majeurs de son oeuvre : le livre, le corps, la femme, les mots, l'amour, le verbe, la création, l'ivresse, le rythme, les sens, la musique, le langage, avec ce ton jubilatoire, explosif, pulsionnel, abyssal, instinctif, dévergondé, épiphanique, effervescent, intestinal, flexueux, dionysiaque... qui définit son univers si créatif, tempétueux, riche en néologismes géniaux et en cris d'insoumission.
Derrière la façade mystérieuse de ces plantes ou de ces animaux bizarres n'appartenant ni à nos familles, ni à nos catégories, se dissimulait-il quelque part le double de cet étranger dont nous nous sommes crus les seuls détenteurs et qui, déposant parfois son sourire sur un de nos visages, nous a permis d'entrevoir les audaces de l'âme quand elle veut bien devenir l'âme humaine ?
« J'écris un petit livre qui n'est qu'une chanson, j'écris pour celle qui n'écrira jamais. Je reprends son enfance par la main et, pour la première fois, nous savons aller ensemble sur les chemins, cheminant côte à côte, devisant sous les nuages passagers. » Celle qui n'a pas les mots est sans doute le récit le plus autobiographique de Joël Vernet qui retourne sur les chemins de son enfance à travers le visage et la vie de sa propre mère, murée dans le silence d'une fin de vie douloureuse. Un parcours qui éclaire la vie et l'écriture de l'Auteur, sa vision du monde et son rapport à l'écriture. Texte poignant et magnifique par la justesse et la grandeur de sa modestie.
La vie, malgré. Malgré quoi ? Malgré tout.
Tout ce qui l'obscurcit, la salit, la détruit. La vie malgré la douleur, la déchéance, la mort. Au jour le jour. « Chronique », donc. Comme cette Chronique d'un égarement de l'auteur (texte publié par Lettres Vives en 2011) dont ce livre est en quelque sorte un prolongement. Ou « journal », si l'on préfère. Journal du temps. Car ces pages relèvent essentiellement du journal, de cette écriture non pas des événements de la vie de l'auteur, de ses sentiments, de ses pensées, mais du jour, de sa lumière, de son perpétuel recommencement - de cette extase ou Amnésie du présent, pour reprendre le titre d'un essai récemment paru. Journal, oui, de l'énigme d'être là, d'être vivant.
« Envisager est un titre à prendre au pied de la lettre, c'est l'acte de « prendre visage », d'emménager chez l'autre, d'entrer sous les portraits du peintre Gilbert Pastor. Cette nouvelle exploration de sa peinture, entamée par l'auteur en 1996 dans Chambre intérieure (titre épuisé aux éditions Unes), n'est finalement qu'un nouvel angle d'approche, ou un fil conducteur pour revenir sur ce thème récurrent et inépuisable dans son oeuvre qu'est celui du corps et du visage dans leur rapport intériorité-extériorité, une approche dans laquelle tout l'univers de Giovannoni se déploie avec une rare intensité, retenue, tension, angoisse, singularité. Le corps est bien là, et le visage aussi, dans son effroi, captif et traversé par l'étrangeté de son regard. Un grand moment de poésie...
Publié en Espagne en 2004, Cecilia est une parenthèse heureuse dans l'oeuvre sombre et visionnaire d'Antonio Gamoneda : une sorte d'art d'être grand-père qui nous vaut trente poèmes d'une clarté et d'une transparence qui n'excluent ni le mystère ni l'angoisse. Chant à la vie à travers le sentiment aigu de sa perte, chant d'amour à ce qui nous abandonne irrémédiablement, ce livre - traduit par Jacques Ancet et publié en édition bilingue -, est le parfait contrepoint au désespoir éblouissant de Clarté sans repos qui paraît simultanément aux Éditions Arfuyen.
J'attends, je n'attends vraiment, je n'attendrai jamais que Le Visiteur qui jamais ne vient, du Vishnu Purana.
Cette attente est ce que je dis ici. Elle prend d'innombrables formes. Car le Visiteur qui jamais ne vient peut et doit être attendu en tout. Il n'est réel qu'en cette attente, mais il est réel alors : en elle, pour ainsi dire, il vient. Il est le sens qui se diffère, l'espoir ou la vision qui s'offrent autant qu'ils se dérobent, la sérénité, en un mot, de l'attente quin'est qu'attente mais s'illumine comme attente.
Le Visiteur qui jamais ne vient est le tissu même de nos jours.