"Of course all life is a process of breaking down, but the blows that do the dramatic side of the work - the big sudden blows that come, or seem to come, from outside - the ones you remember and blame things on and, in moments of weakness, tell your friends about, don't show their effect all at once." "Naturellement, toute vie est un processus de délabrement progressif, mais les coups qui confèrent sa dimension spectaculaire à ce travail - les coups massifs et brusques qui proviennent, ou semblent provenir, de l'extérieur -, ceux dont on se souvient, sur lesquels on rejette la faute et qu'on confesse, dans les moments de faiblesse, aux amis, ne font pas sentir instantanément leur effet." Écrit en 1934, alors que Francis Scott Fitzgerald a trente-huit ans, ce texte énigmatique et envoûtant relate une révolution minuscule dans la perception que l'auteur se fait de luimême. S'interrogeant sur son état, Fitzgerald en vient à constater que quelque chose s'est brisé profondément en lui, à son insu, qui modifie radicalement son regard sur lui-même et le monde. S'agit-il d'une sensation d'échec, d'une impuissance abyssale, d'un effondrement intérieur ? Un peu de tout cela ou encore autre chose...
Son style à la fois clinique et poignant entraîne le lecteur dans ses propres profondeurs, où, par un effet de miroir, il sonde son propre état...
On connaît tous l'adage «Carpe diem.» Ce qui est moins connu, en revanche, c'est qu'il est tiré des « Odes » d'Horace. Tout imprégné d'épicurisme, ces poèmes célèbrent le bonheur d'une vie simple, à l'abri des tentations de l'ambition ou de la richesse, et la sagesse de vivre pleinement l'instant, que la perspective du déclin et de la mort rend plus émouvant encore. Ce livre, grâce aux notes et à la traduction proposée en regard, permet au lecteur de redécouvrir une oeuvre qui inspira profondément Ronsard, La Fontaine, Molière, ou encore Hugo ; bref une oeuvre à la source de notre propre littérature.
Les poèmes recueillis dans Poésie en forme de rose (1964) sont parmi les plus célèbres de Pasolini. Ce recueil publié au sommet de la gloire de Pasolini, pendant le tournage de L'Évangile selon saint Matthieu et après celui de La Ricotta, fait réapparaître un Pasolini secret (plusieurs poèmes sont des journaux tenus pendant des tournages et des repérages) découvrant un autre monde (Israël, l'Afrique), alors que ses précédents recueils étaient profondément tournés vers l'Italie. Pasolini présentait ce recueil comme un « ensemble de prophéties, de journaux intimes, d'interviews, de reportages, de projets en vers, un roman autobiographique, une lutte inégale contre une longue campagne de diffamation, le moment d'un isolement moral et politique subi et délibéré ». On ne peut pas séparer la création poétique de Pasolini de ses autres activités.
La vie de hölderlin (1770-1843) nous apparaît comme coupée en deux.
Ses trente-six premières années lui firent don des grandes oeuvres, roman et poèmes, qui attestent son génie et ont fait sa gloire : il y invente en effet un singulier lyrisme dont l'écho n'a cessé, jusqu'à nous, de se faire entendre comme un son absolument neuf. mais s'ensuivirent encore trente-six autres années, que le poète passa dans une tour, chez un menuisier qui le recueillit lorsque le monde se fut accordé à dire qu'il avait perdu la raison.
De cette seconde moitié de sa vie, nous restent une cinquantaine de poèmes, dont on trouvera ici un essai de traduction. ces poèmes dits " de la folie ", que hölderlin confia à ceux qui vinrent le voir comme une attraction ou un modèle, témoignent d'un non moins singulier tournant dans son existence et son oeuvre : pendant trente-six ans, il n'aura plus fait que regarder autour de lui, bornant son travail à rendre, poétiquement, le passage du temps sur ce paysage.
De cette simplicité ressassée, oú il s'applique à effectuer en lui la réconciliation de la nature et de l'esprit, s'élève pour nous, très étrange, une autre beauté.
Il convient, pour Patrizia Cavalli, de renverser les lieux communs et les catégories habituelles de la critique : légèreté épigrammatique, journal intime, canzoniere amoureux.
L'opération qui se joue dans ce Toujours ouvert théâtre (le terme doit être également entendu ici dans son sens anatomique) n'est pas légère, mais âpre et cruelle ; elle n'est pas monodique ni intime, mais chorale et publique, elle ne concerne pas tant l'amour que la physiologie et l'éthologie d'un corps primordial. Le personnage innommé qui, entre mannequins hagards et figurants hautains, se déplace comme un somnambule sur cette scène sans rideau, n'est ni un moi lyrique ni un moi psychologique, - ce n'est même plus un moi.
C'est quelque chose d'inouï, ni humain ni animal, une vie inséparable de sa forme, et une poésie dont l'unique motif est l'habitude : un éthos. Ce poète désenchanté et presque préhistorique, maître hors pair du vers et de la rime intérieure, souverainement dénué de scrupules moraux, recroquevillé dans sa paresse " spirituelle ", est parvenu à retrouver l'unité de parole et de forme de vie que les Anciens appelaient " muse ", et a écrit la poésie la plus intensément " éthique " de la littérature italienne du vingtième siècle.
Quel poème merveilleux et charmant que l'Ondine ! Ce poème est lui-même un baiser ; le génie de la poésie embrassa le printemps endormi, et celui-ci ouvrit les yeux en souriant, et toutes les roses embaumèrent et tous les rossignols chantèrent, et ce que les roses ont embaumé et ce que les rossignols ont chanté, notre excellent Fouqué sut l'exprimer en l'appelant Ondine.
Hermann Hesse
Les Lettres du retour (1907) révèlent la crise intellectuelle et psychique d'un homme dans une situation de fragilité et de déséquilibre : un grand négociant, de retour en Allemagne après une absence de dix-huit ans outre-mer pour le compte d'une compagnie hollandaise.Nous sommes en avril/mai 1901. Bien qu'il soit de nationalité autrichienne, il doit passer quatre mois en Allemagne pour des raisons professionnelles. L'Allemagne n'est pas loin de l'Autriche et son père lui a toujours dit qu'être Allemand ou Autrichien, c'était « la même chose ». Mais en dépit de son désir de retour, tout ce qu'il a connu et vécu auparavant dans ce pays lui paraît irréel et fantomatique. On retrouve là ce qui faisait la teneur de la fameuse Lettre de Lord Chandos : l'aliénation et l'impossibilité d'être en phase avec le réel. Ces cinq lettres fictives sont adressées à un ami de longue date résidant à Londres.Un jour, l'homme d'affaires doit se rendre à une importante négociation commerciale et il n'éprouve que dégoût pour cette obligation professionnelle qui le détourne encore plus de la vraie vie à laquelle il aspire en vain. C'est alors qu'il passe par hasard devant une galerie où sont exposées des tableaux et des dessins de Van Gogh. L'homme d'affaires ne connaît pas encore cet artiste (ce qui n'est bien sûr pas le cas de Hofmannsthal), mais il se sent soudain en pays familier et tout ce qui le fuyait jusqu'alors converge de façon transfigurée, presque apaisée. Il vit là une véritable révélation. Il se sent renaître et extrait du chaos de la « non-vie », qui n'est pas celui de la mort mais de l'absence totale de repères et d'assurances. Beaucoup mieux que les mots et les signes linguistiques privés de leur pouvoir cognitif, la couleur irrigue le monde inventé et lui donne enfin vie. Cette puissance de la peinture qui fait de cet art « une écriture enchantée » ne peut paradoxalement s'exprimer que par la puissance dénigrée des mots.Ce texte bref exprime magnifiquement la crise intellectuelle des artistes de Vienne à la charnière entre deux siècles qui ont produit tout ce qui fait la modernité vouée au vide et de ce fait à se dépasser au-delà du kitsch et du travestissement : de la psychanalyse à l'expressionnisme en passant par le Bauhaus, Klimt, Schiele et le cubisme. Un livre posé et précipité, plein de désespoir et d'ambition.
Alexander Pope (1688-1744) représenta la quintessence du néoclassicisme européen. Dans la lignée d'Horace et de Boileau, il cultiva l'idéal d'une poésie raffinée qui devait refléter, mais aussi rectifier, un âge sophistiqué et sûr de lui, et fit ainsi l'admiration de Voltaire et de bien d'autres grandes figures des Lumières. Mais si la perfection de ses vers, l'esprit de ses satires, l'équilibre de ses compositions sont l'expression d'une société au faîte de son développement, c'est aussi qu'on y sent poindre la hantise du déclin, la crainte qu'à la fin le bon goût classique ne soit emporté par la marée montante d'une modernité commerciale, frivole et vulgaire.
Sous la pompe, la question, urgente, est celle de l'avenir ou de la possibilité même de l'art. La boucle de cheveux enlevée (1712/1714), qui narre sur le mode héroïcomique une dispute galante entre aristocrates oisifs, fut l'un de ses premiers chefs-d'oeuvre. Les sylphes et autres gnomes que l'auteur a empruntés à la tradition alchimique des quatre éléments y ornent, exquis et impuissants, les boudoirs des demoiselles, au milieu d'un luxe rococo dont le poème lui-même semble le plus beau bijou. Pourtant, si délicat que soit ce suprême « bibelot », comme eût dit Mallarmé, il resplendit aussi de toute la force ironique avec laquelle Pope a voulu y concentrer, jusqu'au seuil du néant, l'essence mystérieuse de la poésie. On trouvera dans cette édition, en regard du texte anglais, la traduction classique de Marmontel, qui, bien qu'en prose, a capturé mieux que toute autre l'esprit impondérable de l'original.
Depuis trois-quarts de siècle, la figure de Friedrich Hölderlin (1770-1843) s'est progressivement dessinée non seulement comme l'une des plus grandes de la poésie de langue allemande, mais de la poésie tout court, tant sa thématique
personnelle et surtout sa prosodie absolument singulière ont ouvert un espace neuf, où vint s'engouffrer une bonne part de la poésie européenne du XXème siècle. Formé à la lyrique la plus classique, nourri d'une solide culture philosophique et de la fréquentation des Anciens, Hölderlin aurait pu n'être qu'un Romantique allemand de plus, entrelaçant dans de beaux vers peines d'amour et désespoirs métaphysiques, auquel cas il n'occuperait pas, à coup sûr, la place éminente qu'il occupe dans la conscience des contemporains, et la vénération que beaucoup lui réservent.
Mais c'est que Hölderlin, tout en réactivant les formes les plus traditionnelles dont les Grecs surtout lui avaient donné le modèle et l'envie (l'Hymne, l'Ode, l'Elégie, etc.), en est peu à peu venu, lentement mais sûrement, à les miner de
l'intérieur, portant la langue allemande à une sorte de paroxysme, mêlant le style familier au sublime, pratiquant aussi bien l'ellipse brutale que l'orchestration ample, et surtout jouant, avec un art consommé et inégalable, de l'ordonnance ordinaire de la syntaxe, la faisant de plus en plus se contorsionner avec grâce, sans toujours lui éviter la fracture.
L'espèce de mystère qui en résulte, d'une profondeur frôlant donc parfois (mais seulement frôlant) l'inintelligibilité, est une des raisons, et sans doute la principale, du culte hölderlinien moderne.
C'est sur cette thématique intellectuelle, orchestrée d'images puissantes et d'un lyrisme souvent vibrant, que vint se greffer, dès 1934, l'interprétation de Martin Heidegger, lui-même tout occupé des Grecs et en quête d'une autre
Allemagne, et qui donc voulut dégager de l'oeuvre de Hölderlin non seulement un enseignement sur le destin grec de l'Allemagne, mais sur l'essence même de la Poésie. Dès lors, Hölderlin devint, pour certains, Le Poète. Et puis enfin, si Hölderlin séduit tant, c'est aussi pour ces trente-six années passées dans une tour, à partager la vie simple d'un menuisier, sans presque plus écrire, rien qu'une quarantaine de courts poèmes apaisés traitant du paysage, des saisons.
Ce qu'on appelle "les poèmes de la folie".
Encore faut-il qu'il soit traduit. S'illustrèrent à le faire en français, d'abord Gustave Roud et Geneviève Bianquis, puis Michel Deguy, Philippe Jacottet, François Fédier, bien d'autres encore.
La présente édition réunit, sans autre règle de choix que le goût personnel, des poèmes écrits par Hölderlin entre 1796 et 1804. Ils sont classés dans l'ordre chronologique, pour autant qu'on puisse les dater. Les premiers sont encore d'une facture classique, mais bientôt la singularité se fait jour. Certains sont des hymnes, d'autres des élégies, parfois n'en restent que des fragments, des esquisses, belles comme des ruines.
C'est une histoire de passion et de transgression, un chemin vers la révélation par-delà toute confusion.
Un récit flamboyant et audacieux qui met à nu la complexité des désirs et que Freud a qualifié de "chef-d'oeuvre".
Hélène, Circé, les Sirènes, Calypso, Nausicaa, Pénélope : autant de figures féminines qui jalonnent la vie d'Ulysse et nous entraînent au coeur de " l'Odyssée ". Femme fatale, ensorceleuse, mère, nymphe, jeune fille, déesse, nourrice, épouse : toutes aiment l'homme "aux mille tours". Si elles ne changent pas la destinée du héros, elles façonnent son identité et contribuent à ce que sa "gloire touche le ciel". Figures de l'amour mais, également, de la mémoire et de l'oubli, ce sont elles qui détiennent les clefs du retour. Et c'est autour d'elles qu'Homère tisse plusieurs des grands thèmes de l'Odyssée : la ruse et la mort, le mariage et la solitude, la gloire et l'oubli. Les extraits ici proposés dans une nouvelle traduction permettront au lecteur de redécouvrir ces figures qui ne cessent de nourrir notre imaginaire depuis près de trois mille ans.