Le sexe est l'univers par excellence où se conjuguent le pouvoir, la corruption et la cruauté.
Chasseurs, chasseresses, persécuteurs, captives, rapaces, mangeuses d'hommes, traqués et finalement détraqués, les personnages de ces huit nouvelles de Pepe Carvalho composent un véritable tableau de chasse épinglé sous la plume de Manuel Vazquez Montalban. Emblème historique de ce théâtre de la prédation, Marylin Monroe s'offre comme le sujet le plus monumental de ce recueil. Entre-temps, sous le socle de la star, sur le pavé cassé de la Barcelone reconstruite, on voit grouiller, dans l'ombre de l'Histoire et de ses statues, ses figurants vieillis, cortège de fantômes, derniers habitants d'une mémoire où le détective découvre ses seules enquêtes encore possibles.
" Carvalho passa devant les épiceries transformées en vitrines de la pitance de l'Espagne profonde : chorizos, boudins, salaisons et principes légumineux en tout genre.
Lentilles françaises et de Salamanque, haricots violets du Barco ou de Toulouse, flageolets, maïs moulu, fèves des Asturies, haricots de la Virgen et de la Granja et un revenez-y de pois chiches d'Arévalo ou de Pedrosa, haricots noirs, du Leon ou d'ailleurs, farine de gesse, piles de maquereaux en conserve, tripes, bucardes et savoureuses matières déshydratées, sablés, touron et massepains en tout genre.
Le spectacle était un défi au conservatisme alimentaire et à la prudence des passants - comme si on pouvait manger prudemment. On ne peut pas manger prudemment. On ne doit pas manger prudemment. Si on ne peut pas manger, on ne mange pas, un point c'est tout. Emportant sa secrète indignation, Carvalho descendit la rue du Prado pour l'une de ses meilleures enquêtes criminelles chez les " people " madrilènes.
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Pepe Carvalho termine son millénaire et attaque le nouveau avec sa fine équipe : Charo, revenue d'Andorre où elle a tenu un hôtel pendant sept longues années, et Biscuter, qui commence une plongée inattendue dans l'univers des sectes.
Quant à Pepe, un peu fauché mais toujours soucieux de vieillir avec dignité, revenu de toutes les illusions, il lui faut bien se rendre à l'évidence : la vie est une succession de surprises, et le retour dans la sienne de la belle Yes, la fille de rêve, vingt ans après Les Oiseaux de Bangkok, en est une de taille. L'intrigue se noue sur un fond politique d'extrême urgence : les nouveaux enjeux des, petites nations, dites nations sans Etats, sur l'échiquier européen.
Quimet, Catalan très influent, et néanmoins client de Charo " de toute la vie ", envisage demettre en place des services de renseignements très secrets au sein d'un réseau européen. Qui mieux que le privé le plus célèbre de Barcelone pourrait conseiller une telle entreprise, éclose dans les têtes d'hommes politiques et militants nationalistes placides mais retors et d'activistes prêts à tout ?
À travers son détective Pepe Carvalho, Montalbán se livre à une analyse de la société espagnole au sortir du franquisme. Dès la première enquête, Tatouage, les personnages évoluent dans l'univers de leur auteur : la Barcelone de la fin des années soixante-dix, avec ses bars louches, ses maquereaux, ses prostituées, les séquelles de la police franquiste, les milieux anarchistes et les partis de gauche ( Meurtre au Comité central ), le monde des affaires ( Les Mers du sud ). L'une après l'autre, les enquêtes de Pepe Carvalho reflètent les conflits personnels et sociaux de l'Espagne vus par les yeux d'un alter ego de l'auteur, sceptique et désabusé, hédoniste et jouisseur : Pepe Carvalho, fin gourmet, a pour maîtresse Charo, une prostituée libérée et libérale du Barrio chino et pour secrétaire-cuisinier Biscuter, un ancien détenu de droit commun des geôles franquistes.Mythique, la série constitue une oeuvre incontestablement originale qui redonne vie avec une remarquable intensité à une Barcelone aujourd'hui disparue agitée par les soubresauts d'un monde passant d'un siècle à l'autre.
Le mot sordide vient du latin sordidus, qui veut dire sale, infime, méprisable, ignoble, cet adjectif dérive lui-même de sordes, qui ne signifie pas seulement saleté ou immondice, mais aussi bassesse, mesquinerie et avarice infâme.
Je me demande si ces adjectifs ou ces substantifs rendent entièrement compte des histoires que je présente. Le " sordide " n'est plus ce qu'il était. Il y a beaucoup de choses qui sont évidemment sordides, sans être pour autant méprisables, ignobles ou mesquines. Il y a un sordide qui réside précisément dans l'impuissance de ses protagonistes à se comporter autrement, et cette constatation interdit le jugement terrible et sans appel implicite dans le mot sordide.
M.V. Montalbân
On se souvient qu'à la fin de L'homme de ma vie Pepe a tué sur la jetée le sociologue Anfruns, gourou d'une secte de grand pouvoir. Son petit doigt lui dit qu'il éviterait les ennuis en quittant Barcelone. Pepe Carvalho embarque donc son fidèle Biscuter dans sa vieille Ford Fiesta et les voilà assis, sur le pont du ferry de Gênes, buvant des dry et voguant vers un tour du monde. Il reviendra à Barcelone, seul, fauché, au bord de la vieillesse sans doute, mais peut-être réconcilié avec lui-même. Soulagé. L'inspecteur Lifante va régler la question.
Entre-deux, des centaines de pages qui forment un roman monde, un roman bilan, un roman mémoire, un roman ciné (combien d'épisodes calqués sur des scènes de films : le parallèle Kaboul- Vienne du Troisième Homme, par exemple), un roman jeu de piste pour un lecteur déboussolé. Un roman d'amour, surtout, à la littérature.
Un roman qui est pour Pepe l'occasion d'arpenter les « terres mythiques de sa mémoire », où l'actualité rejoint le mythe et rarement par les chemins les plus courts : du Bosphore à Bangkok, à l'Australie, à l'Argentine en traversant le Pacifique à la voile avec un Basque tueur de l'ETA, l'Afrique en tournée de solidarité, du Maroc à l'Espagne en clandestins, un château cathare et un dénouement inattendu et plutôt bouleversant.
Un finale placé sous un quadruple parrainage : Bouvard et Pécuchet, se raccrochant à leur double pupitre comme à une bouée de sauvetage, Don Quichotte et Sancho Pança, le premier aspirant au bercail, le second reparti pour le rêve, dans une atmosphère visuelle de Rencontres du troisième type.
Millénaire Carvalho, comme tous les tours du monde, tourne en rond et se mord la queue :
Remémoration, nostalgie, bilan vital, état des lieux indigné sur une planète devenue très petite.
Plus que jamais, un Vázquez Montalbán affleurant, jouant en maître de la fiction et du réel.
" nul écrivain ne saurait être tenu pour tout à fait responsable de la conduite de ses personnages, moins encore de celle de son personnage principal.
Carvalho, par exemple, a son quant-à-soi, et ses goûts lui sont personnels, pourtant, si on les connaît, ce n'est que par la grâce de mon écriture. fréquemment, les lecteurs de la série carvalho m'interrogent sur les raisons de l'attachement parfois démesuré que montre pepe carvalho pour la cuisine. j'ai, moi, la réponse toute prête, une réponse intelligente et que je revendique, mais carvalho n'a jamais dit mot sur la question.
Selon moi, la cuisine est une métaphore de la culture. manger, c'est tuer et ingurgiter un être qui a été vivant - animal ou plante. si nous dévorions l'animal mort ou la laitue arrachée tels quels, d'aucuns diraient que nous sommes sauvages. maintenant, si nous faisons mariner la bête en vue de l'accommoder plus tard avec des herbes de provence et un verre de vin vieux, alors nous avons mis en oeuvre une délicate opération culturelle, fondée à parts égales sur la brutalité et sur la mort.
" montalban a réuni en ce volume plus de 120 recettes de pepe carvalho, avec les textes d'origine et des explications simples et précises pour les exécuter avec le brio du célèbre privé.
Les trois enquêtes de ce deuxième volume ont été écrites entre 1977 et 1984, c'est-à-dire pendant les années où l'Espagne se grise de société permissive : movida, cartes de crédits, salons de massage, sexe à gogo, drogue et magouilles, alors que les nouveaux maîtres de la société néo-libérale sont déjà en train de prendre le contrôle des affaires. Ce n'est donc pas un hasard si les meurtres concernent des hommes d'affaires appartenant à des multinationales, des femmes disparues au coeur de la jungle et des bordels thailandais, des marins qui se terrent aux Caraïbes, paysages de tous les fantasmes de l'Occident. Carvalho est là, en justicier et analyste lucide, avec ses recettes de cuisine, sa manie de brûler les livres, sa méfiance envers tous les pouvoirs, son amour de Barcelone et son pessimisme désabusé.
Redécouvrir Montalban à travers son détective et alter ego Pepe Carvalho force l'admiration pour un écrivain qui a révolutionné le genre poplicier.
Magie de l'imagination...
Et Manuel Vazquez de Montalban jette son célèbre détective Pepe Carvalho dans le bain de l'énigme la plus inquiétante et la plus mystérieuse de l'Espagne contemporaine : celle de Luis Roldan, ancien directeur de la Garde civile, en fuite, poursuivi par la justice de son pays, apparemment corrompu, peut-être vivant, peut-être mort, peut-être caché là, nul ne le sait. Véritable défi lancé à l'indéfectible perspicacité de Carvalho, cette enquête est menée tambour battant et contée par un Manuel Vazquez Montalban au meilleur de son humour plutôt explosif, aux prises avec un sujet fourni par l'actualité la plus récente.
Une fois encore, Carvalho cherche son oxygène en nageant dans les eaux troubles de l'Espagne contemporaine.
À la fin des années quatre-vingts et au début des années quatre-vingt dix, Pepe Carvalho, vieilli et fatigué contemple la disparition progressive de la vieille Europe et l'émergence d'un néo-libéralisme incarné dans la transformation de Barcelone en ville olympique. On peut affirmer sans crainte que les trois romans de ce volume sont visionnaires et annoncent le paysage du XXIe siècle tel qu'il se dessine aujourd'hui. Dans l'espace clos des Thermes, métaphore d'une unification européenne vouée à l'échec et où s'agite le monde cosmopolite et individualiste des bourgeoisies en voie de mondialisation, on s'entretue, on meurt beaucoup et on mange peu. En écrivant Hors jeu, Montalbán n'imaginait sans doute pas jusqu'où irait la corruption du monde du football, l'enrichissement de ses clubs ni le drame qu'a entrainé pour l'Espagne une spéculation immobilière encore balbutiante à la veille des Jeux Olympiques de 1992. Et dans Le Labyrinthe grec, Carvalho n'est qu'un simple spectateur de la mort, impuissant à découvrir l'assassin qui n'est plus un individu mais bien le système lui-même. Pourtant, dans ces deux derniers romans, Pepe semble prendre sa revanche sur l'aventure des Thermes et cuisine plus que jamais, les fourneaux étant sans doute la meilleure des consolations lorsque le vieux monde se dérobe.
" Dans ces trois nouvelles que j'ai rassemblées sous la bannière de l'amour, Carvalho se souvient d'une vieille aventure sentimentale dans Les Cendres de Laura, première exhumation du passé passionnel du détective.
Carvalho est confronté au cadavre problématique d'une femme qu'il avait aidée à sortir d'une vie monotone et inerte, mais il se demande s'il n'est pas responsable aussi d'un processus qui peut conduire à la liberté ou à la mort.
Dans Ce qui aurait pu être et n'a pas été, le récit développe la théorie selon laquelle il y a des amours qui tuent. La mort d'un vieux rocker exhume des amours sordides que la victime elle-même avait ourdies, tel bourreau régnant en despote sur les sentiments d'autrui.
Dans La fille qui ne savait pas dire non, on découvre une femme étrange et inhabitée, amoureuse d'elle-même, transformée par une amoralité irresponsable en victime de ses propres désirs.
Face à ce genre de personnage féminin, Carvalho est affectivement vaincu et presque séduit. Trois histoires courtes, trois intrigues, trois dénouements au service d'un temps narratif bref qui réduit le rôle des temps morts et du fait divers qu'on trouve dans les romans de Carvalho. Parfois, l'écriture est une façon de prendre des notes visuelles afin que le lecteur puisse rajouter lui-même des muscles aux événements et aux personnages.
" M.V.M., 1995 Traduit de l'espagnol par Claude Bleton.
" Que sais-tu sur Buenos Aires ? " demande son oncle à Pepe Carvalho.
" Tango, disparus, Maradona ", répond le détective qui part pour la capitale argentine, à la recherche de son cousin Raul qui a disparu. L'aventure commence dans l'avion. S'enchaînent ensuite les coups bas, les coups de poing, les coups de coeur, les surprises gastronomiques et vinicoles, les plongées dans la métropole du Rio de la Plata sur un rythme effréné. Depuis le tango qu'on écoute dans les boîtes glauques, Borges qu'on se récite à tour de page et qui sert de référence à la dérive de Pepe dans la ville, les yeux verts d'Alma, la belle militante dont la fille aussi a disparu lors des tragiques événements de 1977, les parties dans les hautes sphères du pouvoir, les festins pantagruéliques, jusqu'aux assassinats qui donnent au détective du fil à retordre, Vazquez Montalban nous entraîne dans une découverte passionnante du Buenos Aires d'aujourd'hui, drôle et pathétique à la fois, sensible et acérée.
On ressort, de la lecture de cette enquête très réussie, avec le sentiment que la nostalgie désespérée du détective barcelonais n'est pas vraiment gratuite..