Écrit par l'un des grands maîtres de la littérature yiddish, cette autobiographie, au-delà de sa valeur historique, demeure un témoignage unique sur un shtetl polonais de la fin du XIXe aux débuts du XXe siècle. D'un monde qui n'est plus évoque avec tendresse et précision les souvenirs d'enfance d'Israël Joshua Singer. Ces Mémoires nous emportent dans l'atmosphère pittoresque du shtetl de Lentshin, non loin de Varsovie, où s'est réfugiée - sous la houlette du père d'Israël Joshua Singer, le rabbin Pinhas Mendel - une communauté de Juifs paysans expulsés de leurs villages par la police russe. À travers le regard de l'enfant, on plonge dans un quotidien pétri de croyances et de rituels où le mauvais oeil attend au coin de la rue. On découvre les secrets de chacun, l'austérité de la vie au shtetl, mais aussi les déchirements identitaires et les discriminations qui bouleversent les communautés juives polonaises en ce début de XXe siècle.
"Le préteur fait suivre sa femme, il ne découvre rien, et secrètement il craint que dans la chambre d'en haut, pendant la nuit, n'arrive ce qu'il ne veut même pas se dire à lui-même... Et alors tous les bruits, les vieux meubles qui se fendent et craquent dans la nuit, les chauves-souris nichées dans le grenier, les bruits innombrables d'une vieille villa, tous ces bruits se multiplient dans son esprit... Ils viennent (pense-t-il) des rencontres nocturnes de sa femme, ils passent dans le bois et du bois s'enfoncent en sifflant dans son coeur comme des coups de couteau... Et lui, le préteur, monte sur la table pour tendre l'oreille, capter ces bruits, se les traduire... Mais aucun bruit ne peut donner la certitude du fait; et il ne monte pas à l'étage au-dessus, il ne veut pas monter..." (L'auteur, quelques années avant sa mort, racontant à Giovanna Peroni son Préteur de Cuvio)