Monstrueuse, la matière de ce livre l'est, pour deux raisons. Le sujet, d'abord : le trafic d'hommes noirs, «infâme trafic» jusque dans les justifications qu'on a voulu lui trouver. Monstrueuse aussi, son étendue dans l'espace, de l'Afrique à la Méditerranée orientale puis de l'Afrique aux Amériques ; et dans le temps, puisque cette histoire est longue de près de quatorze siècles.Il fallait à Olivier Pétré-Grenouilleau, pour maîtriser dans sa totalité l'étude de ce trafic et l'ériger en objet historique, une approche globale, qui mettrait en relation l'histoire de l'esclavage avec d'autres domaines de la recherche historique - histoire des idées, des comportements, de l'industrialisation... Cette méthode comparative, alliée à une vision à la fois panoramique et plongeante, permettrait de découvrir comment des logiques différentes, propres à l'Afrique noire, au monde musulman et à l'Occident, ont pu se connecter pour donner naissance aux traites négrières. Comment, une fois pris le pli, enclenché l'engrenage négrier, les traites ont évolué jusqu'à leur terme, résultat d'une dynamique abolitionniste, certes ambiguë, mais radicale.De l'esclavage antique à la mise en place de nouveaux systèmes d'exploitation de l'homme, ce livre restitue pour la première fois dans son ensemble la complexité d'une histoire débarrassée des clichés et des tabous, riche aussi de révoltes et de combats. Un des phénomènes mondiaux à l'origine du monde moderne.
La Révolution française peut être interprétée à la fois comme le produit de ce qu'elle a appelé l'Ancien Régime, et comme l'avènement de la civilisation où nous vivons depuis. Dans le premier cas, elle est le grand spectacle de ce qui s'est passé avant elle ; dans le second, elle inaugure le cours de l'égalité et de la démocratie modernes. Ce livre est une tentative pour la penser sous ces deux aspects, en renouant avec des questions posées par la tradition historiographique du XIX? siècle.
Pour qui entreprend une histoire transnationale des avant-gardes picturales au XX?. siècle, la période que couvre ce deuxième tome, de 1918 à 1945, est la plus périlleuse. Car l'auteur doit se colleter avec le grand récit dicté par les avant-gardes elles-mêmes. Tout commence-t-il avec Dada ? Dès 1910 s'observait la remise en cause symbolique de Paris par les nouvelles générations dans de nouveaux centres : Berlin, Munich, Londres, Bruxelles, Cologne, Moscou, New York. Dada, certes né dans les charniers de la guerre, fut plus encore issu de l'histoire de la modernité artistique et littéraire depuis les années 1850. Les avant-gardes furent-elles idéologiquement progressistes ? Les acteurs ne cessèrent de négocier entre les logiques révolutionnaires, leurs ambitions nationales et celle de continuer tant bien que mal à se faire connaître sur la scène internationale. Loin que Paris fût la capitale unique, d'une ville à l'autre, et en particulier à Berlin, Prague, Budapest, Vienne, Moscou, mais aussi à Amsterdam, Bucarest, Zagreb, Barcelone et jusqu'à São Paulo, Mexico et au Japon, apparurent régulièrement de nouveaux groupes décidés à se faire une place dans le courant du modernisme. En revanche, l'entre-deux-guerres fut une période de marchandisation aboutie de l'innovation artistique. Dans les pratiques et les débats des avant-gardes, une problématique était récurrente : quelle place faire au marché, surtout en cas de succès ?
Dès sa publication en France en 1992, l'ouvrage de Ian Kershaw s'est imposé comme une indispensable référence. En effet, le retard pris par l'école historique française dans l'étude du national-socialisme est inquiétant, alors qu'à l'étranger les travaux sur le nazisme ne se comptent plus. Au point que même le spécialiste a du mal à en faire le tour. Quant au phénomène lui-même, il soulève de façon aiguë un certain nombre de problèmes théoriques d'interprétation d'une redoutable complexité. Aussi n'est-il pas surprenant que les étudiants aient quelque difficulté à s'orienter dans le dédale des analyses et contre-analyses dont l'histoire de l'Allemagne moderne continue de faire l'objet.
On comprend dès lors l'impact qu'a eu et continue d'avoir Qu'est-ce que le nazisme ? Ian Kershaw dégage les problèmes clefs d'interprétation de la dictature nazie, explique de manière concise les zones d'ombre ou les débats qui demeurent, montre comment les historiens d'horizons différents les ont traités et, enfin, tente d'évaluer les positions en présence.
L'historiographie occidentale étudie généralement la Conquête espagnole, comme l'indique le mot, du seul point de vue des vainqueurs. Mais l'autre face de l'événement ? Pour les Indiens, l'arrivée des Espagnols a signifié la ruine de leur civilisation. Commentont-ils vécu la défaite, comment l'ont-ils interprétée ? Commentle souvenir de ce cataclysme s'est-il perpétué dans leur mémoire collective ? Bref, quelle fut la vision des vaincus ?
Voici l'une des premières tentatives pleinement réussies pour arracher l'histoire à une vision européo-centrée, pour nous déprendre, lecteurs occidentaux, de nos habitudes mentales et nous faire passer de l'autre côté de la barrière.
Spécialiste mondialement renommé d'Akkad, de l'Assyrie et des civilisations mésopotamiennes, Jean Bottéro lit en historien , mais sans étalage d'érudition, les premiers chapitres de la Genèse (dont il date et distingue les contributions diverses), Job, l'Ecclésiaste. Il nous livre de très antiques réflexions sur le sens de l'existence, et le pourquoi du Mal, et montre comment Israël en est arrivé à se convaincre de l'unicité et de la transcendance de Dieu.
Assassinats, complots, scandales financiers, crises politiques... les dossiers secrets qui ont fait trembler la République. Le fonds « Panthéon » rassemble les archives les plus sensibles du ministère de l'Intérieur, celles qui étaient autrefois placées dans un coffre- fort. De la Commune à la Libération, toutes les grandes affaires et toutes les personnalités importantes y sont présentes.On y retrouvera notamment : le scandale de Panamá, l'assassinat du président Carnot, la surveillance de Mussolini, l'affaire Landru, la naissance du Parti communiste, l'affaire Stavisky, l'arrestation de Léon Blum, le mystérieux dossier du général de Gaulle... Bruno Fuligni s'est plongé dans ces archives pour en sélectionner les plus remarquables. En publiant les pièces de ces dossiers confidentiels, il nous conduit au coeur du secret, là où convergent pouvoir politique et enquête policière.
Michel de Certeau (1925-1986) est assurément une des figures les plus singulières, donc les plus importantes, de l'école historique française. Sans attendre le sauf-conduit de quiconque ni solliciter l'agrément des gardiens des lieux, il a traversé les frontières entre les champs de savoir, devinant l'appauvrissement de l'histoire par confinement, anticipant sa nécessaire ouverture aux disciplines autres à laquelle elle s'est aujourd'hui résolue.
Il a porté un regard incisif sur l'entrecroisement des méthodes, des visées et des modèles qui déterminent les manières d'écrire l'histoire. De cette interrogation toujours reprise, de ce vaet- vient entre passé et présent, les textes ici rassemblés nouent les fils : il y est question de Foucault, de Freud et de Lacan, mais aussi de l'analyse du pouvoir, du corps, de la torture (avec une lettre de Pierre Vidal-Naquet en réponse), de la folie et de la fiction en histoire. Non pas qu'il s'agisse, entre histoire, psychanalyse, linguistique ou anthropologie, de mélanger les genres et les méthodes, voire de brouiller les identités des savoirs, mais de se déplacer nécessairement d'un savoir à l'autre pour suivre une question née sur un autre bord, où elle ne peut recevoir un traitement satisfaisant. Il se marque, dans cet ouvrage, une exigence, rare, de pensée.
Précédé d'Un chemin non tracé par Luce Giard. Nouvelle édition revue et augmentée en 2016
Côté grand public, chacun croit savoir ce qu'est la «Révolution industrielle». Côté historiens et économistes, la notion même n'est plus une évidence.Depuis plus d'un siècle - de la parution des grands ouvrages classiques de l'historiographie britannique et du livre fondateur de Paul Mantoux, La Révolution industrielle au XVIII? siècle, aux travaux les plus récents - historiens et économistes n'ont cessé de débattre de la réalité du phénomène, de ses causes et temporalités explicatives.C'est la raison pour laquelle Patrick Verley propose une synthèse en deux parties. La première, intitulée «La Révolution industrielle : histoire d'un problème », permet au lecteur de comprendre comment, depuis la fin du XIX? siècle, s'est peu à peu construit cet objet historique ; elle ordonne et hiérarchise les acquis actuels.La seconde partie, intitulée «La Révolution industrielle : acteurs et facteurs», présente l'ensemble des personnages, produits, processus et inventions qui, tour à tour, se sont vu accorder une importance causale majeure dans la Révolution industrielle. Nombre de ces acteurs ou facteurs étant par ailleurs devenus des objets d'étude en soi, le lecteur, qui aura pu mesurer dans la première partie leur seule contribution à la Révolution industrielle, découvrira dans la seconde leur ampleur propre, qui souvent excède la période de cette révolution et ouvre à d'autres champs historiques.
L'Orphée de Marcel Detienne n'est pas celui, de loisir, qui chante le voyage d'hiver des Argonautes, ni celui qui descend aux Enfers, mais un Orphée qui vit absolument séparé de ceux et de celles qui naissent citoyens programmés, dressés à s'entre-tuer autour de leurs autels ensanglantés. Orphée dénonce le meurtre et le sang versé. Cette violence est celle de la vie quotidienne, visible dans les histoires des dieux et des déesses que se plaisent à écouter ses contemporains dans les banquets, dans les joutes poétiques comme dans des gestes aussi simples que planter un olivier, dresser une table ou faire l'amour. Il faut à Orphée une vie sans concessions, mais aussi des dieux radicalement différents. Alors, pour l'historien sagace et attentif, se lève un coin de la mythologie grecque, celle qu'Orphée voyait, en dissident extrême.
En 2007, une nation qui fait partie de l'Europe, comme tant d'autres, décide de créer un ministère de l'Identité nationale. Pour familières qu'elles paraissent, les notions d'identité et de nation se révèlent d'une complexité qui éveille la curiosité de l'histoire et de l'anthropologie. Aussi, conjuguant les deux disciplines, Marcel Detienne met en perspective quelques manières radicalement différentes de se représenter ce qui semble faire partie du « sens commun », à savoir ce que nous sommes ensemble et ce que les autres ne sont pas. Ces manières sont autant de fictions du passé ou du présent : le pur Celte de Padanie, en Italie ; l'Hindou-hindouiste à racines védiques, dans l'Inde contemporaine ; le Japonais né de la terre des dieux sans autres prédécesseurs ; l'Athénien qui se veut pur rejet de la Terre autochtone ; l'Allemand historial d'hier, plus grec que les Grecs, du temps de Heidegger et de Hitler : le native, « citoyen de souche » américain sur un continent ouvert à l'immigration. Sans oublier le Français de souche, à nouveau raciné.
Lyrisme visionnaire et convulsé de l'âge baroque, cérémonies exemplaires du Grand Siècle, sérénité désinvolte ou emphatique des Lumières, émotion retrouvée des cimetières romantiques : la mort n'a cessé de changer. À travers les correspondances et les épitaphes, les oraisons funèbres et les testaments, Michel Vovelle retrouve les gestes, les images et les rites d'un monde perdu, les attitudes collectives des hommes devant la mort, des guerres de religion à l'aube du monde contemporain.
Les sociétés occidentalisées ont fait des loisirs et des sports des référents et des modèles qui imprègnent toutes les sphères de la vie. Ces pratiques sont au croisement des grandes tendances politiques, économiques, sociales et culturelles de chaque époque. En faire l'histoire, c'est approcher l'essence même de chaque grand moment de l'Occident. Comment comprendre, en effet, l'avènement de la gymnastique au xixe siècle sans prendre en considération la montée des États-nations ? Comment évaluer les divertissements à la cour de Louis XIV sans parler des fondements de l'absolutisme royal ? Que dire des tournois médiévaux si on ne prend pas la peine de les reconduire à l'idéal du combattant que les chevaliers incarnent dans cette société d'ordre ? Ou encore, comment analyser les Jeux olympiques antiques sans les rattacher à la culture du corps, à la médecine et à la philosophie qui se développent dans l'Antiquité ? Vouloir détacher ces pratiques des sociétés qui les fondent et les organisent est - à proprement parler - impossible.
La société contemporaine invente les sports, mais sans aucune génération spontanée. Ainsi le sport doit-il beaucoup à cette vaste tranche chronologique qui va de la chute de l'Empire romain d'Occident à l'orée de la Révolution industrielle : on y relève des pratiques divertissantes et des formes d'exercices physiques auxquelles l'époque contemporaine a puisé.
Cet ouvrage original revient, pour chaque époque, sur les manières d'être, de vivre et de penser qui furent autant d'acceptions différentes de ce que l'on appelle aujourd'hui « loisir » et « sport ».