La Révolution française peut être interprétée à la fois comme le produit de ce qu'elle a appelé l'Ancien Régime, et comme l'avènement de la civilisation où nous vivons depuis. Dans le premier cas, elle est le grand spectacle de ce qui s'est passé avant elle ; dans le second, elle inaugure le cours de l'égalité et de la démocratie modernes. Ce livre est une tentative pour la penser sous ces deux aspects, en renouant avec des questions posées par la tradition historiographique du XIXe siècle.
«Omniprésent et inéluctable, tel est Chronos. Mais il est d'abord celui qu'on ne peut saisir. L'Insaisissable, mais, tout autant et du même coup, celui que les humains n'ont jamais renoncé à maîtriser. Innombrables ont été les stratégies déployées pour y parvenir, ou le croire, qu'on aille de l'Antiquité à nos jours, en passant par le fameux paradoxe d'Augustin : aussi longtemps que personne ne lui demande ce qu'est le temps, il le sait ; sitôt qu'on lui pose la question, il ne sait plus.Ce livre est un essai sur l'ordre des temps et les époques du temps. À l'instar de Buffon reconnaissant les «Époques» de la Nature, on peut distinguer des époques du temps. Ainsi va-t-on des manières grecques d'appréhender Chronos jusqu'aux graves incertitudes contemporaines, avec un long arrêt sur le temps des chrétiens, conçu et mis en place par l'Église naissante : un présent pris entre l'Incarnation et le Jugement dernier. Ainsi s'engage la marche du temps occidental.On suit comment l'emprise du temps chrétien s'est diffusée et imposée, avant qu'elle ne reflue de la montée en puissance du temps moderne, porté par le progrès et en marche rapide vers le futur.Aujourd'hui, l'avenir s'est obscurci et un temps inédit a surgi, vite désigné comme l'Anthropocène, soit le nom d'une nouvelle ère géologique où c'est l'espèce humaine qui est devenue la force principale : une force géologique. Que deviennent alors les anciennes façons de saisir Chronos, quelles nouvelles stratégies faudrait-il formuler pour faire face à ce futur incommensurable et menaçant, alors même que nous nous trouvons encore plus ou moins enserrés dans le temps évanescent et contraignant de ce que j'ai appelé le présentisme ?»François Hartog
Spécialiste mondialement renommé d'Akkad, de l'Assyrie et des civilisations mésopotamiennes, Jean Bottéro lit en historien , mais sans étalage d'érudition, les premiers chapitres de la Genèse (dont il date et distingue les contributions diverses), Job, l'Ecclésiaste. Il nous livre de très antiques réflexions sur le sens de l'existence, et le pourquoi du Mal, et montre comment Israël en est arrivé à se convaincre de l'unicité et de la transcendance de Dieu.
L'homme n'est nulle part aussi présent que dans son visage. C'est pourquoi l'humanité s'est toujours efforcée d'en décrypter le mystère et de le fixer en image. La grande histoire du visage qu'entreprend ici Hans Belting, la première du genre, est un voyage à travers l'histoire de la civilisation européenne.
Cette histoire montre la course éperdue des images, leurs tentatives sans cesse renouvelées pour capturer le visage animé et leur échec permanent à le saisir comme Moi humain. Lorsque l'homme paraît sur un tableau, c'est toujours le visage qui en occupe le centre. En même temps, ce visage, dans son caractère vivant, se dérobe à toutes les tentatives de le fixer en image.
La vie pousse sans cesse à forger des images nouvelles, mais elle se soustrait à toute norme de représentation. L'art européen du portrait des Temps modernes n'a, pour l'essentiel, réussi qu'à engendrer des masques. Et même quand le cinéma projette le visage à l'écran dans une intimité sans pareille, il ne peut remplir la tâche qu'il s'est assignée de porter enfin l'être humain à l'image dans sa réalité.
Tout travail sur le visage est un travail sur l'image, et par conséquent sur le masque. Telle est la tension dont ce livre explore le secret. Dans les masques de théâtre, les mimiques des acteurs, dans la peinture de portrait, la photographie, dans les films, dans l'art contemporain, Hans Belting exhume les diverses recherches qui ont visé, en vain, à se rendre maître du visage.
« Le monde luxuriant des images de religion [compose] un imagier de lecture platonicienne de l'univers et des mystères de l'exister humain. » Alphone Dupront, Du Sacré , p. 105. Cet essai inédit d'Alphone Dupront n'est pas seulement posthume, comme presque tous ceux que nous avons publiés : c'est son testament. Conçu comme la première ébauche d'un très vaste sujet, il a été écrit « de crises cardiaques en infarctus (au pluriel) », dit sa veuve, « de sursis en sursis », disait Dupront. Jeté sur le papier ou dicté sous perfusion lors de longues hospitalisations ou entre celles-ci, c'est le travail de presque une vie de méditations et d'observations, un monument qui grandit encore l'oeuvre de l'historien du sacré.Pour Alphonse Dupront, il s'agissait non d'un « traité », mais d'un essai, une « méditation tâtonnante d'artisan en oeuvre de découverte d'une discipline neuve ». Il en parlait comme de sa « rhapsodie iconologique » et faisait ce constat : « Nous en sommes aux éléments du psychisme individuel et tout ignorants du psychisme collectif. »Invitant à une exploration approfondie de l'art religieux, il centre son approche phénoménologique sur les images de l'Occident chrétien, France et Italie surtout. Et ses interrogations, comme toujours chez lui, se nourissent de questions non seulement historiques, mais anthropologiques, psychanalytiques, sociologiques, phislophiques et même théologiques.Alphonse Dupront a toujours dénoncé « les simplifications faciles », partielles et surtout « réductrices ». Il ne déroge pas ici encore à son attention à toute complexité et au respect de la « pluralité des sens ». Ce livre n'est certes pas à la portée du plus grand public. Mais lequel des précédents l'a-t-il été ? D'une écriture plus fluide que les autres, il vise en tout cas un lectorat qui va bien au-delà des milieux
Catherine Maire avait consacré un livre qui a fait date, il y a vingt ans, au jansénisme au XVIIIe siècle, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Elle élargit ici son enquête à l'ensemble des affaires politico-religieuses qui ont scandé le siècle, de la bulle Unigenitus (1713) qui condamne le jansénisme et devient une loi du royaume en 1730 à la Constitution civile du clergé, en 1790, pendant la Révolution. Loin d'apaiser les tensions liées à la tradition gallicane, en effet, l'affirmation de l'indépendance de la monarchie par rapport au Saint-Siège à la fin du XVIIe siècle les a réactivées sur de nouvelles bases. D'où le titre de l'ouvrage L'Église dans l'État, qui souligne comment l'inclusion est devenue source de divisions.
L'auteur ne se contente pas de passer en revue les grandes controverses qui se sont succédé dans le sillage de l'affaire de la bulle Unigenitus, autour des biens ecclésiastiques, des refus de sacrements, de l'état civil des protestants ou de l'expulsion des jésuites. Elle met en évidence le fil rouge qui relie tous ces épisodes ; elle dégage les significations de ces querelles passionnées devenues pour nous inintelligibles ; elle fait ressortir les enjeux de cette recherche d'un impossible équilibre entre les libertés religieuses et les nécessités politiques.
Elle montre enfin comment ces disputes constituent le terreau où s'enracine la pensée des philosophes des Lumières. De l'abbé de Saint-Pierre à d'Holbach, en passant par Montesquieu, Voltaire et Rousseau, la philosophie prend une nouvelle vie en se liant à l'actualité dont elle naît et se nourrit.
Ce grand livre, consacré aux «gueules cassées» de la Grande Guerre, n'est pas seulement le mémorial des survivants des tranchées. Construit à partir de témoignages de tous ordres, il est aussi un livre d'analyse : il dresse la première évaluation du poids politique réel dans l'entre-deux-guerres d'une France décimée.
Les Anciens Combattants, moins acteurs que témoins, pèsent par leurs réactions, leurs opinions, leur comportement collectif, et d'abord leur existence même, qui atteste de l'ampleur du traumatisme de la guerre. Ils révèlent ainsi des attitudes et des mentalités largement partagées par les Français des années trente.
À travers eux s'expriment le souvenir durable d'un massacre sans précédent, des formes de sociabilité, des convictions morales et politiques, des manières d'être qui semblaient naturelles, charriées par un mouvement de masse - ils sont plus de trois millions d'adhérents. À l'image de la nation en armes, on rencontre chez eux des réactionnaires, des autoritaires, quelques révolutionnaires ; mais aux antipodes de l'image qu'on en donne habituellement, loin de l'esprit militaire, des ligues ou du fascisme, ils sont dans leur immense majorité, comme le pays, républicains, patriotes et pacifistes.
Philippe Buc examine dans ce livre comment la théologie chrétienne a façonné des siècles de conflits, depuis la première guerre judéo-romaine (66) jusqu'à l'invasion de l'Irak (2003), en passant par la première croisade (1096) ou la Révolution française. Même dans les sociétés sécularisées ou explicitement non chrétiennes, comme l'Union soviétique stalinienne, les formes qu'ont prises de nombreux séismes politiques (guerres civiles, purges, déportations, terrorisme, etc.) sont selon lui en grande partie explicables par le christianisme et les très anciens concepts religieux qui influencent la façon dont la violence est perçue et perpétrée.
Ce que veut comprendre Philippe Buc c'est non seulement la logique par laquelle une personne saine d'esprit est amenée à tuer ou mourir pour un principe, mais aussi les raisonnements qui légitiment l'imposition de la liberté par la contrainte ou le pardon des atrocités de la guerre. Analysant l'idéologie américaine contemporaine de la guerre, qui place la violence sous l'empire d'idées abstraites, comme la liberté ou la paix mondiale, il met au jour son profond enracinement dans l'Écriture sainte.
Fruit de quinze années de recherches d'une ampleur peu commune, Guerre sainte, martyre et terreur montre combien les pieux idéaux de sacrifice, de pureté et de rédemption n'ont cessé de donner sens à la violence, depuis les premiers siècles chrétiens jusqu'aux temps inquiets que nous vivons.
T. M., Avant-propos.
Étienne Smith, Sous l'empire des armées. Les guerres africaines de la France.
L'Empire, 1830-1945 :
Bertrand Taithe, L'affaire Voulet-Chanoine dans le sillage de l'affaire Dreyfus. Massacre et tournant humanitaire.
William Gallois, Violence lexicale de la culture impériale française.
Mahir Saul, «La jarre révolutionnaire bouillait». 1915-1916 : guerre anticoloniale dans l'Ouest-Volta.
Martin Mourre, La répression de Thiaroye : décrire les différents degrés de la violence coloniale.
Les années 1950-1960 :
Sarah Zimmerman, Apatridie et décolonisation. Les tirailleurs sénégalais guinéens et la Guinée de Sékou Touré.
Denis Leroux, Algérie 1957, l'opération Pilote : violence et illusions de la pacification.
Manuel Domergue, Cameroun : une guerre oubliée remonte à la surface.
Klaas Van Walraven, La portée historique du Sawaba. La France et la destruction d'un mouvement social au Niger, 1958-1974.
Meike De Goede, Objectivation, aphasie coloniale et histoire de la déportation des matsouanistes de Brazzaville (1959).
Les interventions extérieures :
Nathaniel Powell - Marielle Debos, L'autre pays des «guerres sans fin». Une histoire de la France militaire au Tchad (1960-2016).
Camille Evrard, Les interventions extérieures, points saillants de l'histoire de la présence militaire française : l'exemple ouest-saharien (1958-1978).
Richard Banégas, La politique d'intervention de la France en Afrique vue d'en bas. Réflexions à partir du cas de la Côte d'Ivoire.
Roland Marchal, Compter ses morts, compter les morts.
Bruno Charbonneau, De Serval à Barkhane : les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel.
Patrice Corre, Pour Felix Lanzmann.
Jean Khalfa, Pour Felix Lanzmann.
Chronique :
Micheline B. Servin, Pourquoi Aimé Césaire, Tennessee William ou Bertolt Brecht?
Le 31 juillet 1358, le massacre d'Étienne Marcel marqua la fin de la première Révolution de la bourgeoisie française. Grâce à l'étude approfondie des événements militaires, politiques, financiers consécutifs à la défaite et à la capture du roi Jean le Bon à Poitiers par les Anglais, ainsi que l'état économique et social de la France à l'époque, Jacques d'Avout donne tout son relief à la tentative d'Étienne Marcel et à son échec. Il dépouille le célèbre prévôt des marchands de ses couleurs d'image d'Épinal et nous présente un chef politique se heurtant à des adversaires supérieurs en habileté ou en duplicité.
«Cela fait plus de quarante ans que l'histoire ne cesse de m'étonner. J'ai beau en avoir pratiqué les formes les plus diverses, depuis le catalogue de manuscrits jusqu'à la synthèse de plusieurs siècles d'un continent, en passant par l'édition des sources et la monographie locale ; j'ai beau avoir étudié [...] l'aspiration à parler du passé d'une façon véridique et à énoncer à son sujet des affirmations susceptibles d'être étayées de preuves, l'histoire n'en reste pas moins pour moi un problème et un défi.Les neufs essais réunis dans ce volume jalonnent vingt-cinq ans de réflexion sur l'histoire [...]. Ils abordent les différentes questions qui se posent à son propos et dont l'une traverse ce recueil d'un bout à l'autre : celle du savoir portant sur le passé et des moyens permettant de l'acquérir, en particulier, de la connaissance médiate. Ils montrent, ce faisant, les changements que ces questions ont subis au cours des dernières décennies [...]. Et ils fournissent par la même occasion un aperçu des grandes orientations de la recherche historique du XX? siècle.»Krzysztof Pomian.
Avant l'âge des Lumières, on tolérait mal la religion des autres, ou alors avec réticence, comme une anomalie qu'il fallait souffrir sans l'accepter. La «tolérance des Modernes», élaborée par de grands penseurs comme Locke et Voltaire, renversait la perspective:elle mettait en place un système harmonieux de coexistence paisible entre les groupes les plus divers, tout en prônant de nouveaux droits - la liberté de conscience et la liberté d'exercer sa religion dans l'espace public. Cette nouvelle conception n'allait pas de soi. Elle donne à voir des éléments précurseurs en des lieux aussi divers que l'Empire ottoman et le ghetto de Venise. Après de nombreuses querelles politiques et théologiques, elle s'est enracinée en Hollande, en Angleterre, en France et dans les colonies d'Amérique. Denis Lacorne observe les manifestations les plus récentes de la tolérance dans le monde contemporain, il en analyse les usages et les limites, qu'il s'agisse des symboles religieux, de monuments, de manières de s'habiller, de ce qu'il est permis de dire et de proférer. De l'Europe au Nouveau Monde, les territoires de la tolérance n'ont cessé de s'étendre, des déistes aux athées, des baptistes aux quakers, des sikhs aux musulmans. Aujourd'hui la tolérance demeure une vertu contestée:le retour du religieux, la montée des fanatismes menacent le projet émancipateur des philosophes. Faut-il imposer des bornes à la liberté d'expression? Doit-on tolérer les ennemis de la tolérance? Pour y répondre, il nous faut redécouvrir cette grande tradition afin de mieux la défendre.
Le professeur Toynbee a une connaissance incomparable de l'histoire, ce qui lui permet d'en faire une analyse philosophique.
Dans la première partie de La Religion vue par un historien, l'auteur explique le point de vue de l'historien et ses difficultés à transcender les circonstances de temps et de lieu, les habitudes d'esprit, les modes de pensée et de vision de chaque époque. Un appendice intéressant nous présente quelques cas de martyrs chrétiens, et un chapitre très important est consacré à l'adoration des institutions religieuses.
Dans la deuxième partie, Toynbee traite plus particulièrement de la religion dans le monde occidentalisé et de la grande révolution spirituelle du XVIIe siècle. Plus tard, l'humanité fera une idole du technicien invisible.
Toynbee termine son livre sur un cri de foi et d'amour : «Nous pouvons croire en notre propre religion sans être obligés de penser qu'elle est la seule dépositaire de la vérité. Nous pouvons l'aimer sans être obligés de croire qu'elle est le seul moyen de salut.»