« Les questions économiques sont trop importantes pour être laissées à une petite classe de spécialistes et de dirigeants. La réappropriation citoyenne de ce savoir est une étape essentielle pour transformer les relations de pouvoir. » T. P.
En présentant l'évolution en longue durée des inégalités entre classes sociales dans les sociétés humaines, Thomas Piketty propose une perspective nouvelle sur l'histoire de l'égalité. Il s'appuie sur une conviction forte forgée au fil de ses recherches : la marche vers l'égalité est un combat qui vient de loin, et qui ne demande qu'à se poursuivre au xxie siècle, pour peu que l'on s'y mette toutes et tous.
Contrairement à une idée reçue, le blanc est une couleur à part entière, au même titre que le rouge, le bleu, le vert ou le jaune. Le livre de Michel Pastoureau retrace sa longue histoire en Europe, de l'Antiquité la plus reculée jusqu'aux sociétés contemporaines. Il s'intéresse à tous ses aspects, du lexique aux symboles, en passant par la culture matérielle, les pratiques sociales, les savoirs scientifiques, les morales religieuses, la création artistique.
Avant le XVIIe siècle, jamais le blanc ne s'est vu contester son statut de véritable couleur. Bien au contraire, de l'Antiquité jusqu'au coeur du Moyen Âge, il a constitué avec le rouge et le noir une triade chromatique jouant un rôle de premier plan dans la vie quotidienne et dans le monde des représentations. De même, pendant des siècles, il n'y a jamais eu, dans quelque langue que ce soit, synonymie entre « blanc » et « incolore » : jamais blanc n'a signifié « sans couleur ». Et même, les langues européennes ont longtemps usé de plusieurs mots pour exprimer les différentes nuances du blanc. Celui-ci n'a du reste pas toujours été pensé comme un contraire du noir : dans l'Antiquité classique et tout au long du Moyen Âge, le vrai contraire du blanc était le rouge. D'où la très grande richesse symbolique du blanc, bien plus positive que négative : pureté, virginité, innocence, sagesse, paix, beauté, propreté.
Accompagné d'une abondante iconographie, cet ouvrage est le sixième d'une série consacrée à l'histoire sociale et culturelle des couleurs en Europe.
« Stress », « burn out » ou « charge mentale » : les xxe et xxie siècles ont vu une irrépressible extension du domaine de la fatigue. Les épuisements s'étendent du lieu de travail au foyer, du loisir aux conduites quotidiennes. Une hypothèse traverse ce livre : le gain d'autonomie, réelle ou postulée, acquis par l'individu des sociétés occidentales, la découverte d'un « moi » plus autonome, le rêve toujours accru d'affranchissement et de liberté ont rendu toujours plus difficile à vivre tout ce qui peut contraindre et entraver.
Que nous est-il arrivé ?
Ce livre novateur révèle une histoire encore peu étudiée, riche de métamorphoses et de surprises, depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours. Les formes « privilégiées » de fatigues, celles qui mobilisent les commentaires, celles qui s'imposent en priorité aux yeux de tous, évoluent avec le temps. Les symptômes de la fatigue se modifient, les mots s'ajustent (« langueur », « dépérissement », « pénibilité »...), des explications se déploient, des degrés se précisent, des revendications se font jour.
Un parcours passionnant qui croise histoire du corps et de sensibilités, des structures sociales et du travail, de la guerre et du sport, jusqu'à celle de notre intimité. Pour éclairer tout autrement notre présent.
Aimez-vous le vert ? À cette question les réponses sont partagées. En Europe, une personne sur six environ a le vert pour couleur préférée ; mais il s'en trouve presque autant pour détester le vert, tant chez les hommes que chez les femmes. Le vert est une couleur ambivalente, sinon ambiguë : symbole de vie, de sève, de chance et d'espérance d'un côté, il est de l'autre associé au poison, au malheur, au Diable et à ses créatures. Le livre de Michel Pastoureau retrace la longue histoire sociale, artistique et symbolique du vert dans les sociétés européennes, de la Grèce antique jusqu'à nos jours. Il souligne combien cette couleur qui a longtemps été difficile à fabriquer, et plus encore à fixer, n'est pas seulement celle de la végétation, mais aussi et surtout celle du Destin. Chimiquement instable, le vert a symboliquement été associé à tout ce qui était instable : l'enfance, l'amour, la chance, le jeu, le hasard, l'argent. Ce n'est qu'à l'époque romantique qu'il est définitivement devenu la couleur de la nature, puis celle de la santé, de l'hygiène et enfin de l'écologie. Aujourd'hui, l'Occident lui confie l'impossible mission de sauver la planète.
L'Histoire mondiale de la France a été le livre-événement de l'année 2017.
Le projet était fort et reste d'une actualité brûlante : face aux crispations identitaires qui dominent le débat public, comment défendre une conception ouverte et pluraliste de l'histoire ? Et faut-il pour cela abandonner l'objet « Histoire de France » aux récits simplificateurs ? À ces questions, les historiennes et historiens engagés dans cette aventure éditoriale ont tenté d'apporter des réponses simples et concrètes. Elles tiennent dans la forme même du livre : une histoire de France, de toute la France, en très longue durée, qui mène de la grotte Chauvet aux événements de 2015. Une histoire qui ne s'embarrasse pas plus de la question des origines que de celle de l'identité, mais prend au large le destin d'un pays qui n'existe pas séparément du monde qu'il prétend même parfois incarner tout entier.
Ce livre qui a fait date est ici proposé avec plus de 150 illustrations originales et quinze nouvelles dates (de l'empereur Julien au génocide des Tutsi, en passant par Shakespeare et le Débarquement). Dans l'esprit du projet, elles viennent enrichir la lecture complètement renouvelée et pleine de surprises de l'histoire de France qui a fait son succès populaire.
Voici donc une nouvelle version d'un livre de référence pour tous les lecteurs : en texte et en images. Elle est servie par une maquette élégante et aérée qui offre un grand confort de lecture et une bonne place aux illustrations.
L'histoire de la couleur bleue dans les sociétés européennes est celle d'un complet renversement : pour les grecs et les romains, cette couleur compte peu et est même désagréable à l'oeil : c'est une couleur barbare.
Or aujourd'hui, partout en europe, le bleu est de très loin la couleur préférée (devant le vert et le rouge).
L'ouvrage de michel pastoureau raconte l'histoire de ce renversement. en mettant l'accent sur les pratiques sociales de la couleur (lexiques, étoffes et vêtements, vie quotidienne, symboles) et sur sa place dans la création littéraire et artistique, il montre d'abord le désintérêt pour le bleu dans les sociétés antiques.
Puis il suit la montée et la valorisation progressives des tons bleus tout au long du moyen age et de l'époque moderne. il insiste notamment sur les enjeux esthétiques, moraux et religieux liés à cette couleur, du xiie au xviiie siècle. enfin il met en valeur le triomphe du bleu à l'époque contemporaine, dresse un bilan de ses emplois et significations et s'interroge sur son avenir.
Parler du bleu c'est nécessairement être conduit à parler aussi des autres couleurs.
Celles-ci ne sont donc pas absentes du livre : le vert et le noir, auxquels le bleu fut parfois assimilé ; le blanc et le jaune, auxquels il a fréquemment été associé ou opposé ; et surtout le rouge, son contraire, son complice et son rival depuis le moyen age.
Le rouge est en Occident la première couleur que l'homme a maîtrisée, aussi bien en peinture qu'en teinture. C'est probablement pourquoi elle est longtemps restée la couleur «par excellence», la plus riche du point de vue matériel, social, artistique, onirique et symbolique.
Admiré des Grecs et des Romains, le rouge est dans l'Antiquité symbole de puissance, de richesse et de majesté. Au Moyen Âge, il prend une forte dimension religieuse, évoquant aussi bien le sang du Christ que les flammes de l'enfer. Mais il est aussi, dans le monde profane, la couleur de l'amour, de la gloire et de la beauté, comme celle de l'orgueil, de la violence et de la luxure. Au XVIe siècle, les morales protestantes partent en guerre contre le rouge dans lequel elles voient une couleur indécente et immorale, liée aux vanités du monde et à la «théâtralité papiste». Dès lors, partout en Europe, dans la culture matérielle comme dans la vie quotidienne, le rouge est en recul. Ce déclin traverse toute l'époque moderne et contemporaine et va en s'accentuant au fil du temps. Toutefois, à partir de la Révolution française, le rouge prend une dimension idéologique et politique. C'est la couleur des forces progressistes ou subversives, puis des partis de gauche, rôle qu'il a conservé jusqu'à aujourd'hui.
Longtemps, en Occident, le noir a été considéré comme une couleur à part entière, et même comme un pôle fort de tous les systèmes de la couleur. Mais son histoire change au début de l'époque moderne : l'invention de l'imprimerie, la diffusion de l'image gravée et la Réforme protestante lui donnent, comme au blanc, un statut particulier. Quelques décennies plus tard, en découvrant le spectre, Newton met sur le devant de la scène un nouvel ordre des couleurs au sein duquel il n'y a désormais plus de place ni pour le noir, ni pour le blanc : pendant presque trois siècles, ce ne seront plus des couleurs. Toutefois, dans le courant du XXe siècle, l'art d'abord, la société ensuite, la science enfin redonnent progressivement au noir son statut de couleur véritable. C'est à cette longue histoire du noir dans les sociétés européennes qu'est consacré le livre de Michel Pastoureau. L'accent est mis autant sur les pratiques sociales de la couleur (lexiques, teintures, vêtements, emblèmes) que sur ses enjeux proprement artistiques. Une attention particulière est portée à la symbolique ambivalente du noir, tantôt pris en bonne part (fertilité, humilité, dignité, autorité), tantôt en mauvaise (tristesse, deuil, péché, enfer, mort). Et comme il n'est guère possible de parler d'une couleur isolément, cette histoire culturelle du noir est aussi, partiellement, celle du blanc (avec lequel le noir n'a pas toujours fait couple), du gris, du brun, du violet et même du bleu.
" Je suis parti en historien sur les traces des grands-parents que je n'ai pas eus. Matès et Idesa Jablonka sont autant mes proches que de parfaits étrangers. Leur vie s'achève longtemps avant que la mienne ne commence. Ils ne sont pas célèbres. Ils n'ont rien dit ou fait de mémorable. Ils ont été emportés par les tragédies du XXe siècle : le stalinisme, la Deuxième Guerre mondiale, la destruction du judaïsme européen.Pour écrire ce livre, à la fois oeuvre d'histoire et biographie familiale, j'ai exploré une vingtaine de dépôts d'archives et rencontré de nombreux témoins, en France, en Pologne en Israël, en Argentine, aux États-Unis. J'ai cherché à être non pas objectif - cela ne veut rien dire, car nous sommes rivés au présent, enfermés en nous-mêmes -, mais radicalement honnête. Cette transparence vis-à-vis de soi implique à la fois la mise à distance la plus rigoureuse et l'investissement le plus total. La double nécessité de dire "je" et de fuir le ton emphatique que les circonstances pourraient justifier, le devoir de faire part de mes certitudes comme de mes doutes, de mes intuitions comme de mes renoncements, rendent, je l'espère, mon travail plus solide. "
Pendant des décennies, les nations africaines ont lutté pour la restitution d'innombrables oeuvres d'art volées pendant l'ère coloniale afin d'être exposées dans des musées occidentaux. Bénédicte Savoy met en lumière cette histoire largement méconnue. Elle s'appuie sur de nombreuses sources inédites pour révéler que les racines de cette lutte remontent bien plus loin que ne l'indiquent les débats récents, et que ces efforts ont été menés par une multitude de militants et dirigeants des nations nouvellement indépendantes.
Peu après 1960, lorsque dix-huit anciennes colonies d'Afrique ont accédé à l'indépendance, un mouvement en faveur du rapatriement des oeuvres a été lancé par les élites intellectuelles et politiques africaines. L'autrice retrace ces combats et examine aussi comment les musées européens ont tenté de dissimuler des informations sur leurs collections.
En expliquant pourquoi la restitution est essentielle à toute relation future entre les pays africains et l'Occident, ce livre pose les éléments du débat autour de ces questions cruciales pour le présent et l'avenir.
Cet ouvrage d'une ambition exceptionnelle présente sous une forme accessible à un large public une histoire inédite de l'esclavage depuis la Préhistoire jusqu'au présent. Il paraît vingt ans après le vote de la loi Taubira, alors que la prise de conscience du passé esclavagiste est chaque jour plus aiguisée au sein de la société française. L'histoire de l'esclavage, trop longtemps tenue pour une forme de passé subalterne, est ici replacée au coeur de l'histoire mondiale. Le livre renouvelle une approche comparée dans l'étude du phénomène esclavagiste, qui conduit le lecteur de l'Inde ancienne aux Antilles du XVIIIe siècle, de la Chine des Han jusqu'au Brésil colonial, de l'Egypte médiévale à l'Ouganda contemporain.
Vous souvenez-vous des couleurs de votre enfance ? Comment la couleur s'inscrit-elle dans la mémoire ? Comment est-elle capable de l'influencer ? de la stimuler ? de la modifier ? Elle-même, échappe-t-elle au travail du temps ?
Pour tenter de répondre à ces questions, Michel Pastoureau nous propose un journal chromatique, s'étendant sur plus d'un demi-siècle.Fait de souvenirs personnels, de notations prises sur le vif, de propos débridés, mais aussi de digressions savantes ou de remarques propres au sociologue, à l'ethnologue ou au linguiste, il retrace l'histoire des couleurs en France et en Europe depuis le milieu du XXe siècle. De nombreux champs d'observation sont évoqués ou parcourus : le vocabulaire et les faits de langue, la mode et le vêtement, la vie quotidienne, le sport, la publicité, les drapeaux, la peinture, la littérature, l'histoire de l'art.
Domestiqué sept ou huit millénaires avant notre ère, le taureau est resté le plus sauvage des animaux domestiques. Il se dégage de lui une impression de puissance, de vitalité et de fécondité, qui en a fait un dieu pour de nombreux peuples de l'Antiquité. Le christianisme à ses débuts est parti en guerre contre les cultes qui lui étaient rendus et lui a substitué le boeuf, animal pacifique, paisible et travailleur. D'où une certaine éclipse du taureau dans la culture européenne pendant plusieurs siècles : il se limite alors à la vie des campagnes et à la fécondation des vaches. Toutefois, à partir du XVIe siècle, puis surtout du XIXe, la réapparition des jeux et spectacles tauromachiques le remettent sur le devant de la scène et suscitent des polémiques qui se sont accentuées au cours des dernières décennies.
Au début du XIXe siècle, on « avait » la nostalgie comme on avait le typhus, et on en mourait souvent. Ce livre raconte l'histoire de cette émotion mortelle, depuis le premier diagnostic posé par un étudiant en médecine de Mulhouse le 22 juin 1688 jusqu'à sa disparition à la fin de la Belle Époque.
Si la nostalgie n'est plus ce qu'elle était, encore faudrait-il savoir ce qu'elle fut : désignée comme, littéralement, « mal du pays », brûlant désir de rentrer chez soi, la nostalgie touchait surtout les soldats, les colons, les esclaves ou les travailleurs migrants, tous expatriés à mesure que le monde s'élargissait, avec la conquête de nouveaux continents, les guerres impériales et l'expansion coloniale. Elle y fit parfois plus de morts que la violence des combats.
S'appuyant autant sur l'histoire de la médecine et de la psychiatrie, que sur les témoignages des conscrits napoléoniens ou les études sur la « nostalgie africaine » des colons français en Algérie, Thomas Dodman donne une profondeur historique à ce qui est aujourd'hui un sentiment bénin inhérent à l'espèce humaine. Effectivement, la nostalgie n'est plus ce qu'elle était, et sa transformation est aussi la question de l'historien : Pourquoi cesse-t-elle d'être une maladie ? Comment cette pathologie de l'espace est-elle devenue, au tournant du XXe siècle, recherche du temps perdu ? L'enquête ouvre alors des pistes pour comprendre les inquiétudes que suscitent la modernité, le cosmopolitisme et l'émergence d'un capitalisme bientôt triomphant.
Que peuvent avoir de commun saint Joseph et Obélix, la prostituée médiévale et l'arbitre de base-ball, les frères du Carmel et les baigneurs de la Belle Epoque, les sans-culottes de l'an II et les musiciens de jazz ? Ils portent un vêtement rayé, signe de leur situation sur les marges ou en dehors de l'ordre social. Structure ambiguë, qui ne distingue pas clairement la figure et le fond, la rayure est longtemps restée en Europe une marque d'exclusion ou de transgression. Le Moyen Âge voyait dans les tissus rayés des étoffes diaboliques, et la société moderne a longtemps continué d'en faire l'attribut vestimentaire de tous ceux qu'elle situait au plus bas de son échelle (esclaves, domestiques, matelots, bagnards).
Toutefois, à partir de l'époque romantique, ces rayures dégradantes, sans vraiment disparaître, commencent à être concurrencées par des rayures d'une autre nature, porteuses d'idées nouvelles : liberté, jeunesse, plaisir, humour. Aujourd'hui, les deux systèmes de valeurs cohabitent. Mais il y a rayures et rayures. Celles du banquier ne sont pas celles du malfrat ; celles des passages cloutés ou des grilles de la prison ne sont pas celles du bord de mer ni des terrains de sport.
En parcourant cette longue histoire de la rayure occidentale, Michel Pastoureau s'interroge plus largement sur l'origine, le statut et le fonctionnement des codes visuels au sein d'une société donnée. Qu'est-ce qu'une marque infamante ? Un signe d'exclusion ? Pourquoi les surfaces rayées se voient-elles mieux que les surfaces unies ? Est-ce vrai partout dans le monde ? S'agit-il d'une donnée neurobiologique ou d'un problème culturel ?
Dans l'imaginaire européen, quelques animaux jouent un rôle plus important que les autres et forment une sorte de «bestiaire central». Le loup en fait partie et en est même une des vedettes.
Il occupe déjà cette place dans les mythologies antiques, à l'exemple de la louve romaine, qui a nourri Romulus et Rémus, du loup Fenrir, destructeur du panthéon nordique, et des nombreuses histoires de dévorations, de métamorphoses et de loups-garous. Ces derniers sont encore bien présents au Moyen Âge, même si la crainte du loup est alors en recul. Les bestiaires dressent du fauve un portrait négatif et le Roman de Renart en fait une bête ridicule, bernée par les autres animaux et sans cesse poursuivie par les chasseurs et les paysans.
La peur du loup revient à l'époque moderne. Les documents d'archives, les chroniques, le folklore en portent témoignage: désormais les loups ne s'attaquent plus seulement au bétail, ils dévorent les femmes et les enfants. L'étrange affaire de la Bête du Gévaudan (1765-1767) constitue le paroxysme de cette peur qui dans les campagnes ne disparaît que lentement. Au xxe siècle, la littérature, les dessins animés, les livres pour enfants finissent par transformer le grand méchant loup en un animal qui ne fait plus peur et devient même attachant. Seuls la toponymie, les proverbes et quelques légendes conservent le souvenir du fauve vorace et cruel, si longtemps redouté.
Il est difficile de parler de Nohant sans dire quelque chose qui ait rapport à ma vie présente ou passée », écrivait George Sand. C'est par Nohant, par sa maison, que je l'ai rencontrée. À vrai dire, elle ne fut pas un modèle de ma jeunesse. Pour « la bonne dame », je n'éprouvais pas d'attirance. Ses romans, La Petite Fadette, etc., que la grand-mère de Marcel Proust tenait en si haute estime, me paraissaient bons pour les distributions de prix. Je participais à la dépréciation dont Sand a été victime après sa mort. Je la trouvais d'un âge qui n'avait plus grand-chose à dire aux filles de Simone de Beauvoir, dont je me revendiquais.
Ma découverte fut en partie fortuite. La demeure de l'Indre, héritée de sa grand-mère, représente ses racines, mais aussi un refuge contre Paris, qui fit sa renommée et qu'elle n'aimait pas, une « oasis » propice au travail : elle y écrivit l'essentiel de son oeuvre, comme Chopin y composa la majeure partie de la sienne. Nohant, elle en rêvait comme d'un phalanstère d'artistes, une communauté égalitaire, un endroit de création et d'échanges par la musique (Liszt, Chopin, Pauline Viardot), la peinture (Delacroix, Rousseau), l'écriture (Flaubert, Dumas, Fromentin, Renan, Tourgueniev...), le théâtre, la conversation.
Ce lieu, Sand l'a investi. L'art y établit la communion des coeurs et des esprits. C'est aussi une cellule politique, inspirée par le socialisme de Pierre Leroux, noyau républicain support de journaux et ferment subversif des manières de vivre et de penser. Nohant est le creuset d'une utopie, pénétrée par le désir de changer le monde.
Pas plus que personne, Sand n'a réalisé son rêve. Aujourd'hui, il nous reste ce lieu, de pierre et de papier, témoin d'une histoire d'amour aux accents infinis.
Michelle Perrot
Après les succès de l'Histoire du corps et l'Histoire de la virilité, Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello dirigent cette très ambitieuse Histoire des émotions en trois volumes, héritière du programme des Annales, de l'histoire des mentalités et de celle des sensibilités, portée par les renouvellements historiographiques les plus récents. Elle réunit pour la première fois les meilleurs spécialistes français et étrangers de l'histoire des émotions, toutes générations confondues.
Les deux premiers volumes paraissent en octobre ; le troisième en 2017. Ce premier tome, dirigé par Georges Vigarello, commence en Grèce avec les larmes d'Achille et le rire de Lysistrata et nous conduit jusqu'à la veille de la Révolution, avec l'invention du sourire dans la peinture. Il nous fait traverser la christianisation des émotions, voyager dans les monastères et les familles du Moyen Age, nous initie aux colères des princes.
On y retrouve la culture de cour et la mécanique des humeurs, les passions des mystiques, les douceurs et les douleurs de la mélancolie, les joies de l'amitié avec Montaigne, comme le code de l'honneur des chevaliers. Sans oublier bien sûr les grandes émotions populaires.
Après les succès de l'Histoire du corps et l'Histoire de la virilité, Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello dirigent cette très ambitieuse Histoire des émotions en trois volumes, héritière du programme des Annales, de l'histoire des mentalités et de celle des sensibilités, portée par les renouvellements historiographiques les plus récents. Elle réunit pour la première fois les meilleurs spécialistes français et étrangers de l'histoire des émotions, toutes générations confondues.
Les deux premiers volumes paraissent en octobre ; le troisième en 2017. Ouverte par les Lumières, la séquence qui fait l'objet de ce deuxième volume, dirigé par Alain Corbin, fournit un chapitre très riche de l'histoire des émotions. Dès le milieu du XVIIIe siècle se dessinent des attentes nouvelles. La notion " d'âme sensible " émerge peu à peu. C'est le temps du journal intime et celui de l'émerveillement face au paysage.
Un " moi météorologique " se fait jour, sensible aux aléas des phénomènes naturels. Dans ce siècle de la Révolution et des révolutions, la colère, la terreur, l'indignation côtoient l'exaltation, la joie, la ferveur ou la mélancolie sur la scène politique. De nouveaux rituels les expriment et leur donnent corps. Des barricades aux champs de bataille, des grandes chasses aux catastrophes naturelles, du Romantisme à l'impressionnisme, des émois de l'orgasme à la vénération de la Vierge Marie, de multiples gammes des émotions sont ici mises en lumière.
A l'extrême fin du XIXe siècle, des savants commencent à mesurer l'expression des émotions. La psychologie, peu à peu, s'impose.
Après les succès de l'Histoire du corps et l'Histoire de la virilité, Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello dirigent cette très ambitieuse Histoire des émotions en trois volumes richement illustrés, qui réunit pour la première fois les meilleurs spécialistes français et étrangers de l'histoire des émotions, toutes générations confondues.
Ce troisième volume, qui s'ouvre à la fin du XIXe siècle, révèle l'accroissement comme la complexification de l'espace intérieur dans la conscience occidentale, la saisie de troubles toujours plus variés, depuis l'émotion jusqu'au sentiment, à la passion, voire aux perversions ou à la folie. Au XXe siècle s'impose le constat d'un profond déplacement du régime émotif lui-même. Tout change lorsque l'accroissement de l'individualisme, le triomphe de l'univers privé, doublés du relatif effacement des « soutiens » collectifs habituels, de l'école à l'entreprise, transforment la relation à l'intériorité, diffusant paradoxalement une insécurité inédite, une compassion sélective, une irrépressible attente de protection. Une anxiété inédite a gagné les consciences. Elle se nourrit aussi de la confrontation aux violences extrêmes d'un siècle de fer et de sang.
Directeur de volume : professeur d'histoire européenne à l'université d'Auckland (Nouvelle Zélande), professeur émérite à Paris-III-Sorbonne Nouvelle et à l'université de Californie (Santa Barbara), Jean-Jacques Courtine a publié Déchiffrer le corps, penser avec Foucault (J. Millon, 2011), et, avec Alain Corbin et Georges Vigarello, Histoire du corps et Histoire de la virilité (Seuil, 2006 et 2011).
Les contributeurs : Bruno Nassim Aboudrar, Stéphane Audoin-Rouzeau, Antoine de Baecque, Ludivine Bantigny, Éric Baratay, Yaara Benger Alaluf, Christophe Bident, Christian Bromberger, Esteban Buch, Anne Carol, Jacqueline Carroy, Pierre-Henri Castel, Jean-Jacques Courtine, Stéphanie Dupouy, Ute Frevert, Sarah Gensburger, Claudine Haroche, Eva Illouz, Claire Langhamer, Nicolas Mariot, Charles-François Mathis, Olivier Mongin, Dominique Ottavi, Michel Peraldi, Jan Plamper, Richard Rechtman, Bertrand Taithe, Christophe Triau, Sylvain Venayre.
Bien des chemins mènent à la chambre, le sommeil, l'amour, la méditation, Dieu, le sexe, la lecture, la réclusion, voulue ou subie.
De l'accouchement à l'agonie, elle est le théâtre de l'existence, là où le corps dévêtu, nu, las, désirant, s'abandonne. On y passe près de la moitié de sa vie, la plus charnelle, celle de l'insomnie, des pensées vagabondes, du rêve, fenêtre sur l'inconscient, sinon sur l'au-delà. La chambre est une boîte, réelle et imaginaire. Quatre murs, plafond, plancher, porte, fenêtre structurent sa matérialité.
Ses dimensions, son décor varient selon les époques et les milieux sociaux. De l'Antiquité à nos jours, Michelle Perrot esquisse une généalogie de la chambre, creuset de la culture occidentale, et explore quelques-unes de ses formes, traversées par le temps: la chambre du roi (Louis XIV à Versailles), la chambre d'hôtel, du garni au palace. la chambre conjugale, la chambre d'enfant, celle de la jeune fille, des domestiques, ou encore du malade et du mourant.
Puis les diverses chambres solitaires: la cellule du religieux, celle de la prison : la chambre de l'étudiant, de l'écrivain. Nid et noeud, la chambre est un tissu de secrets. Dans ce livre, Michclle Perrot contribue à l'histoire des chambres. Nuit et jour.
L'été 1914 vit la majeure partie de l'Europe plonger dans une guerre si dévastatrice qu'elle ébranla le système politique et les croyances d'un continent entier. La catastrophe terrifia les survivants, choqués de voir qu'une civilisation qu'ils considéraient comme un modèle pour le reste du monde ait pu sombrer dans une sauvagerie sans précédent. En 1939, les Européens engageaient un second conflit qui allait se révéler pire encore : une guerre où le massacre de civils occupait une place centrale et dont le point culminant fut le génocide des Juifs.Ian Kershaw livre une synthèse magistrale sur le premier XXe siècle européen ensanglanté à vingt ans de distance par deux guerres mondiales. Et poursuit le récit de cette séquence fondatrice de notre présent jusqu'au moment où le continent émerge de ses ruines, recomposé en deux blocs, divisé par la guerre froide.Voici sa lecture de l'histoire européenne, dont il restitue toute la cohérence avec une maîtrise, une profondeur de vue, une vivacité inégalables. Car c'est d'abord sur les causes et leur enchaînement fatal qu'il s'interroge, mettant notamment l'accent, pour rendre compte de cette séquence catastrophique, sur quatre facteurs : l'explosion du nationalisme ethnique, la virulence des révisionnismes territoriaux, l'acuité des conflits de classe et la crise prolongée du capitalisme.
Autrefois sources de nuisances locales circonscrites, les effets des activités humaines sur l'environnement se sont transformés en pollutions globales. Le climat se réchauffe, les mers s'acidifient, les espèces disparaissent, les corps s'altèrent : en rendre compte d'un point de vue historique permet de ne pas sombrer dans la sidération ni dans le découragement face à un processus qui semble devenu inéluctable. Car le grand mouvement de contamination du monde qui s'ouvre avec l'industrialisation est avant tout un fait social et politique, marqué par des cycles successifs, des rapports de force, des inerties, des transformations culturelles. En embrassant l'histoire des pollutions sur trois cents ans, à l'échelle mondiale, François Jarrige et Thomas Le Roux explorent les conflits et l'organisation des pouvoirs à l'âge industriel, mais aussi les dynamiques qui ont modelé la modernité capitaliste et ses imaginaires du progrès.
À partir d'un travail dans les archives de toute la France, pour beaucoup inédites, Ludivine Bantigny restitue l'énergie des luttes, des débats, des émotions et des espoirs portés par les acteurs de 68 : toutes celles et tous ceux - ouvriers, étudiants, militants mais aussi danseurs, médecins, paysans, artisans, poètes d'un jour, et les femmes à parts égales avec les hommes - qui ont participé au mouvement. Elle s'intéresse aussi à « l'autre côté » : la police, le pouvoir et les oppositions à la contestation.
Son livre s'attache au vif des événements : à la diversité de leurs protagonistes plus qu'aux seuls porte-parole désignés, à leurs pratiques plus qu'à la rhétorique dont on les a ensuite enveloppés, à la grève qui met le temps en suspens. « Les événements » : si la formule est restée vague faute de pouvoir à coup sûr qualifier ce qui s'était passé, du moins a-t-elle le mérite de revenir précisément aux faits, aux projets, à l'inventivité, à tout ce qui a été imaginé, de grand et de petit, pour réellement « changer la vie ».