Berlin, fin des années 20. Quelques personnages se croisent dans le hall - et les chambres - d'un palace, où chacun croit avoir trouvé le lieu de son destin. La gloire éteinte d'une chanteuse sur le déclin, les illusions d'un baron cambrioleur perdu par les femmes, l'outrecuidance d'un industriel affolé par l'odeur de l'argent, la tristesse d'un commis anxieux de claquer ses pauvres deniers avant la lente agonie promise par les médecins, les émois d'une jeune fille blonde qui pose nue pour les peintres à la mode - le tout sous l'oeil unique, impitoyable, d'un dandy blessé de guerre, morphinomane extra-lucide. Il ne voit en tout cela qu'une danse macabre, qu'une sarabande promise au néant. L'hôtel semble être le lieu où se sont donné rendez-vous tous les mauvais rêves d'une Europe déjà promise au pire. Vicky Baum ose tout. Elle sait combiner comme nul autre l'art du roman à l'américaine (avec une intrigue solide, des rebondissements nombreux, des personnages forts et complexes) et une noirceur, une lucidité tout autrichiennes lorsqu'elle analyse la société européenne à la fin des années folles. Grand Hôtel est un roman qui emporte, écrit dans une langue subtile : il est donc susceptible de plaire autant aux « littéraires » qu'au grand public. Son adaptation au cinéma par E. Goulding (1930) avec Greta Garbo et Joan Crawford connut d'ailleurs un succès prodigieux.
Vicky Baum (1888-1960), juive d'origine autrichienne établie à Berlin, abandonna après la Première Guerre mondiale une carrière de musicienne pour se consacrer exclusivement à la littérature. Dès 1929 (l'année où paraît Grand Hôtel), elle pressent l'avènement de l'horreur. Elle s'exile peu après aux États-Unis. Les livres de cet auteur prolifique et populaire seront brûlés en Allemagne par les nazis.